De quel droit l’Etat s’ingère-t-il dans une affaire de registre des baptêmes propre à l’Eglise catholique ? C’est la question qui sera prochainement examinée par la Cour européenne de justice (CJUE), après qu’un Belge a obtenu de la part de l’Autorité de protection des données de son pays une décision contraignant l’Eglise à prendre acte du fait qu’il l’avait « quittée ». Face à cette injonction absurde – on ne peut faire que le baptême n’ait pas été – le diocèse de Gand, qui fait l’objet de l’injonction, a porté l’affaire devant cette juridiction européenne compétente en matière de telles affaires de respect de la vie privée dans le cadre du Règlement général sur la protection des données, le fameux RGPD.
La procédure n’est pas anodine, car en demandant à la CJUE d’interpréter le droit communautaire dans le cas particulier des registres de baptême du diocèse de Gand, c’est pour l’ensemble de l’Union européenne que vaudra sa réponse, de telle sorte que tous les diocèses des pays membres seraient affectés si leur droit de répertorier les baptêmes n’était pas reconnu.
La désinscription des registres de baptême : un caprice d’apostat
Des cas similaires se sont présentés en Irlande, en France et en Slovénie, rappelle Sophie van Bijsterveld, professeur de droit, religion et vie en société de l’université (vaguement) catholique Radboud à Nimègue, aux Pays-Bas. A chaque fois, l’autorité nationale de protection des données personnelles a estimé que la loi ne prévoit pas le droit d’être retiré du registre des baptêmes sur demande, et cela a été confirmé dans deux affaires par un tribunal judiciaire.
Ces procédures en sont restées là ; celle qui nous occupe ayant eu un autre sort, elle passe en quelque sorte à l’échelon supérieur. Le Pr van Bijsterveld estime que la CJUE ne « devrait pas » aller dans le sens de l’Autorité belge, « en tenant compte de la liberté de religion et d’une interprétation raisonnable du droit communautaire ».
Elle souligne d’emblée que le fait de vouloir être « débaptisé » n’a pas de sens : « Cela semble facile, mais c’est une erreur. En effet, le baptême ne peut être annulé. Il s’agit de supprimer les données pertinentes du registre des baptêmes. »
Le baptême, une marque spirituelle indélébile
En effet. Le baptême est une réalité, un événement dont on ne peut dire qu’il n’a jamais eu lieu, ni qu’on puisse l’effacer. La foi catholique affirme que le baptême imprime un caractère, une marque spirituelle indélébile, quel que soit l’avis du baptisé à ce sujet ou son refus d’y croire. En ce sens, l’Etat laïque qui prétend respecter la liberté de croire et la liberté religieuse ne peut intervenir sur ce chapitre, ou ne « devrait » pas le faire.
Quant à exiger la modification des registres, cela contreviendrait au droit de l’Eglise de consigner par écrit les baptêmes afin de pouvoir en toute circonstance connaître le statut d’une personne à cet égard : en vue d’un mariage ou de la réception d’un autre sacrement par exemple, d’autant que la conversion personnelle faisant suite à cette apostasie publique n’est jamais exclue. Cette apostasie peut d’ailleurs figurer dans le registre dans lequel sera apposée la mention : « A renié son baptême. » Et cela suffit : c’est ce que le Conseil d’Etat a jugé en France en février 2024 après une saisine infructueuse de la CNIL par un homme fâché avec l’institution…
La CJUE sera-t-elle plus anti-catholique que la France ?
Le juge administratif français a reconnu que « l’Eglise doit (…) pouvoir contrôler que le sacrement du baptême n’a été reçu qu’une seule fois dans la vie d’une personne », notamment si l’intéressé veut par la suite se marier religieusement.
A quoi il faut ajouter, comme le note le cabinet d’avocats Sisyphe, que « ces documents non dématérialisés ne sont (…) accessibles qu’aux intéressés pour les mentions qui les concernent, ainsi qu’aux ministres du culte et aux personnes œuvrant sous leur autorité, dans une finalité de suivi du parcours religieux des personnes baptisées et de l’établissement éventuel d’actes ultérieurs dans le cadre de l’administration du culte catholique ». Et le RGPD ne s’y oppose nullement, selon le juge administratif français, les motifs de la conservation des données étant pour l’Eglise « légitime ». C’est un pays laïque qui l’affirme… Alors que l’ancienne présidente de l’Irlande, Mary McAleese, était allée personnellement jusqu’à dire que le baptême des petits enfants violait les droits de l’homme.
Voilà qui paraît limpide. Reste à voir si les juges de la Cour de justice de l’Union européenne seront prêts à respecter ce droit de l’Eglise catholique. Un cas test…