On le sait peu, mais Munich, capitale de la Bavière attire chaque année en février une conférence internationale sur la sécurité. Pour sa soixantième édition, de hauts responsables Américains y sont attendus et Donald Trump y a donné rendez-vous aux Russes et aux Ukrainiens pour y traiter des négociations de paix en Ukraine, comme à une sorte de cocktail mondain. Volodimyr Zelenski, le président de l’Ukraine, qui sera présent, n’avait pas répondu vendredi matin, mais son entourage avait fait savoir que rien n’était prévu avant d’avoir arrêté une position commune avec les alliés de Kiev. La Russie gardait quant à elle un mutisme complet. Seul le président Macron a confié au quotidien anglais The Financial Times qu’« une paix qui soit une capitulation, c’est une mauvaise nouvelle pour tout le monde ». Le choix de Munich pour lancer une conférence sur la paix ne peut pas en effet ne pas rappeler aux diplomates la rencontre qui eut lieu en 1938 à Munich entre Hitler, Mussolini et les représentants de la France et de la Grande-Bretagne, et qui eut le résultat que l’on sait.
Conférence sur la sécurité à Munich ravagée par l’insécurité
La conférence de Munich sur la sécurité a été lancée en 1963 par un éditeur allemand atlantiste dans le cadre de la Détente et du marché commun, afin d’y réunir des représentants des pays membres de l’OTAN et ceux du reste du monde. Depuis, la chose a pris de l’importance. En 2024, par exemple, y ont pris part mille représentants de 109 pays dont 45 chefs d’Etat ou de gouvernement. Cette année, le président en est Jens Stoltenberg, qui fut premier ministre travailliste norvégien et secrétaire général de l’OTAN. Il est au moins ironique que se tienne à Munich une telle conférence, alors que l’insécurité est telle en Bavière que des voitures y écrasent par dizaines les habitants, sans que les autorités n’y puissent rien. Après le marché de Noël à Magdebourg, voilà que l’Allemagne vient de subir l’agression d’une foule de manifestants par un demandeur d’asile afghan refusé mais toléré, qui a fait des dizaines de blessés graves.
Trump affiche son mépris pour l’Europe en plein déclin
Cet attentat confirme la déréliction de l’Europe : une grenade vient d’éclater dans un bar de Grenoble, juste après que le maire écologiste de la ville eut lancé aux journalistes qui lui demandaient ce qu’il pensait des reproches qu’on lui fait sur l’insécurité à Grenoble : « A vrai dire, je m’en fous un peu. » C’est dans ce contexte que Donald Trump montre son mépris pour les dirigeants actuels de l’Europe en annonçant sa volonté de réintégrer la Russie dans le G7 sans consulter personne et de négocier la paix en Ukraine avec Poutine, directement sans l’Europe. Puis il a lancé une initiative surprenante : une rencontre entre Américains, Russes et Ukrainiens à Munich pour commencer les négociations de paix. Or Trump n’est pas le fou ni le lourdaud dont une certaine presse dresse la caricature. Il n’ignore pas deux choses. Un Munich est, à tort ou à raison, un symbole dans l’imaginaire historique et diplomatique européen : celui de la capitulation des démocraties occidentales devant une puissance totalitaire. Deux, n’ayant prévenu personne de son projet, il ne peut recueillir, au moins dans un premier temps, que des refus, du silence, et de la mauvaise humeur.
L’Ukraine décline le cocktail mondain de Trump
On connaît cependant la méthode de Trump, héritée de Richard Nixon, qui est de jouer la surprise pour être imprévisible. Elle peut dérouter ou déplaire, mais on a déjà vu depuis quelques semaines des changements de pied spectaculaires, chez lui-même, chez ses partenaires et chez ses adversaires, qui n’amènent pas toujours de mauvais résultats. Evitons-donc toute précipitation pour juger l’arbre à ses fruits. Qu’a-t-il dit au juste ? « La Russie sera là, avec des gens à nous. L’Ukraine est aussi invitée, au fait. Je ne sais pas exactement qui sera là, de quels pays, mais des représentants de haut rang de la Russie, de l’Ukraine et des Etats-Unis. » Une formule aussi cavalière ne pouvait bien sûr pas recevoir de réponse formelle du Kremlin, mais Dmytro Lytvyn, conseiller de Zelensky a réagi : « Pour le moment, il n’y a rien sur la table. Des discussions avec les Russes ne sont pas envisagées. La position ukrainienne demeure inchangée. L’Ukraine doit d’abord parler avec l’Amérique. L’Europe doit participer à toute discussion sérieuse pour une paix véritable et durable. »
La double nature de Trump l’oblige à écouter l’Ukraine et l’Europe
On est donc dans un dialogue de sourds. Donald Trump est fondé à se poser des questions sur la légitimité de Zelensky, dont le mandat est expiré, et sur celle des dirigeants européens, démonétisés et perclus de scandales, mais ils sont cependant les représentants légaux de leurs pays respectifs, tout autant que Vladimir Poutine. Trump peut aussi considérer à juste titre que l’aide internationale à l’Ukraine a été mal utilisée, et que l’Europe a très mal manœuvré depuis 2015, en particulier depuis 2022. Mais alors il faut qu’il reconnaisse que c’est le président Biden qui l’y a poussé, que ce sont les services américains qui ont organisé la révolution de la place Maidan, etc. Il a le droit aussi de penser que l’OTAN coûte cher à l’Amérique, que les Européens doivent dépenser plus pour leur propre défense, mais alors, il doit reconnaître en même temps que l’OTAN a été un instrument de domination de l’Amérique sur le monde. Et, puisqu’on parle gros sous, il faut que les Etats-Unis cessent d’inonder la planète de leur dette en imprimant du dollar, et qu’ils cessent de s’instituer en tribunal global sanctionnant toutes les entreprises dont la concurrence les gêne. Autrement dit Trump doit prendre conscience de ce qu’il est en réalité, c’est-à-dire de ses deux natures.
La sécurité, composante du cocktail mondialiste
Pour l’instant, il se comporte, et il se conçoit, en candidat de rupture anti-Biden et anti-arc-en-ciel qui a réussi un coup génial et qui entreprend de réparer méthodiquement les erreurs catastrophiques de son prédécesseur. C’est très bien. Mais il est également le président des Etats-Unis, c’est-à-dire l’héritier légal de toutes ces erreurs, leur responsable juridique. La mauvaise politique de Biden qui a mis, avec la mauvaise politique de Poutine, le feu à l’Europe, que la mauvaise politique des Européens a avalisées et empirées, est la politique des Etats-Unis et de la Russie. Les Etats-Unis ne peuvent pas laisser en l’air leur allié d’Europe qu’ils ont poussé à l’erreur, sous prétexte que ça leur coûte cher, ou qu’ils préfèrent lâcher du lest à Poutine pour mieux se recentrer sur Gaza ou Taïwan. C’est une question d’intelligence à long terme. Peut-être le rapport des forces actuelles le leur permet-il, mais il causerait de tels ressentiments ! Et puis, de même que Poutine a sauvé l’OTAN et l’Europe de Bruxelles, toutes deux en état de mort cérébrale en 2022, un Munich, ou un Yalta Trump-Poutine, aurait le même effet : et Trump qui prétend la combattre serait l’un des meilleurs agents dialectiques de la révolution arc-en-ciel. La paix en Ukraine servirait alors à la même chose que la guerre en Ukraine qui l’a précédée : faire avancer le mondialisme.