Le Conseil constitutionnel, temple de l’omerta républicaine

Conseil constitutionnel omerta républicaine
 

Conçu en 1958 pour surveiller le fonctionnement de la Constitution, le Conseil constitutionnel est devenu le temple du politiquement correct, chargé d’y soumettre les lois votées par le législateur : récemment il a retoqué la loi sur l’immigration et salué en silence l’inscription de l’avortement dans la Constitution. Cette dérive idéologique de la fonction s’accompagne de, et a été rendue possible par une confusion d’origine sur le rôle qui est le sien, exploitée par tous les pouvoirs de la République complices, exécutif, législatif et judiciaire. Un seul exemple : la rémunération de ses membres est illégale et nul n’en parle. L’omerta républicaine protège les 9 « sages », qui rendent de si utiles arrêts, toujours indiscutables et en dernier ressort.

 

Le Conseil constitutionnel valide des comptes faux

Les plus pinailleurs d’entre vous se rappellent peut-être Roland Dumas, avocat d’affaires (à tous les sens du terme), lui-même menacé de plusieurs affaires, ami sulfureux du sulfureux Mitterrand ; il avait fini président du Conseil Constitutionnel. A l’occasion de l’élection présidentielle de 1995, il avait validé, c’était de son ressort, les comptes de campagne de Jacques Chirac, tout en avouant qu’ils étaient invalides, afin de ne pas troubler les Français en annulant l’élection, au nom de la continuité républicaine en quelque sorte. C’était le moindre de ses péchés. Un récent article de l’IREF, l’Institut de recherches économiques et fiscales, rappelle, sous la plume de Thierry Benne, quelques raisons principales de l’incapacité structurelle du Conseil constitutionnel à dire correctement le droit : ce prétendu temple de la Constitution n’est qu’un décor de carton-pâte rongé par les conflits d’intérêt.

 

L’indemnité des membres doublée dans le secret du temple

Le nom de Conseil constitutionnel énonce une première ambiguïté : il est à la fois le conseil du gouvernement en matière de Constitution et le juge de la constitutionnalité des lois. Cette même consanguinité se retrouve dans son recrutement. Ses membres sont nommés par trois présidents, celui de la République, du Sénat, de l’Assemblée nationale : toute l’élite républicaine rassemblée les nomme et les rémunère. Dès janvier 1960, Giscard, qui allait changer la règle des saisines une fois président en 1974, leur donnait un petit coup de pouce en tant que ministre des Finances : un abattement fiscal sur ce qu’ils appelaient leur indemnité. Et le 16 mars 2001, Florence Parly, secrétaire d’Etat au budget de Laurent Fabius (l’actuel président du Conseil constitutionnel) alors ministre des Finances dans le gouvernement de Lionel Jospin sous la présidence de Jacques Chirac (on ne saurait rêver meilleure concorde transpartisane républicaine dans la cohabitation), Florence Parly écrivait au président du Conseil constitutionnel pour l’informer que le traitement des membres serait majoré, à compter du premier janvier 2002, de… 57 % !

 

L’enrichissement illicite du conseil garanti par l’omerta

Pas mal, tout de même, mais parfaitement inconstitutionnel. L’article 63, au titre VII, de la Constitution, prévoit en effet que « les règles d’organisation et de fonctionnement » du Conseil soient fixés par une loi organique. Ce qui est bien le cas : l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel précise bien, en son article 6, l’indemnité perçue par le président et les membres du Conseil. Mais cette loi organique, modifiée treize fois entre 1959 et 2013, n’a nullement été modifiée en 2000 ni en 2001. C’est pourquoi l’augmentation monumentale décidée par Parly/Jospin/Chirac est illicite, de sorte que la lettre l’annonçant est restée secrète : l’omerta républicaine a couvert l’enrichissement illégal des membres du conseil.

 

Le temple de la Constitution est une foire

On ne l’a su que fortuitement. En 2017, Nicole Belloubet (l’actuel ministre de l’Education nationale), postulant au poste de garde des Sceaux, dut faire une déclaration de patrimoine dans laquelle elle révélait avoir touché 15.000 euros (brut) chaque mois du Conseil, soit… 8.300 de plus que l’indemnité constitutionnelle ! L’observatoire de l’éthique publique, alors dirigé par l’ancien député socialiste René Dosière, parrain de Macron à la présidentielle, releva cette anomalie, qui allait devenir publique en 2019, sans que cela ne débouche sur nulle réforme concrète, malgré deux tentatives de réformes, dont l’une portée par une socialiste, Cécile Untermaier, désavouée par son propre parti. Chaque année, la loi de finance reproduit donc cette illégalité qui aboutit à ce que les membres du Conseil Constitutionnel, chargés de dire la loi constitutionnelle en dernier recours, perçoivent une rémunération double de ce qui est fixé par la loi organique expressément prévue par la Constitution elle-même !

 

L’omerta républicaine garantie par toutes les institutions

Le tout garanti par une omerta républicaine sans fissure. Le président de la République, garant de la Constitution, se tait. Le Parlement, qui a été alerté, vote en silence les lois de finances. Le président de la Cour des comptes, le bon M. Moscovici, s’estime incompétent. La Haute autorité pour la transparence de la vie publique, elle aussi s’affirme bizarrement « incompétente » dans le cas Belloubet pour vérifier les rémunérations des candidats pressentis à un poste ministériel. Le Conseil d’Etat a opposé des fins de non-recevoir aux recours dont l’un venait de Contribuables associés, qui défend l’argent des Français. Le Parquet National Financier, quelque fois si turbulent, oppose ici son silence à deux signalements écrits qui lui ont été adressés. Quant à la Cour européenne des Droits de l’homme, elle semble indifférente au fait que le pouvoir double l’indemnité d’un juge sans rien en dire et au mépris de la Constitution. Cette omerta générale laisse sans voix. C’est comme si une maffia républicaine s’assurait, tous partis confondus, que le juge constitutionnel rende bien les arrêts qui conviennent à la gouvernance en place, de sorte que jamais la volonté populaire ne puisse excéder les bornes qu’on lui fixe.

 

Pauline Mille