L’affaire est pour le moins curieuse : depuis quand des cardinaux ont-ils besoin de réitérer leur soutien au Saint-Père quand leur raison d’être est précisément de porter assistance et conseil au pape, et que la pourpre cardinalice est le signe du martyre qu’ils sont prêts à subir pour la défense de la foi catholique ? Il est donc surprenant d’apprendre que la garde rapprochée du pape, les neuf cardinaux nommés par François pour réformer la Curie, aient fait la démarche de lui apporter publiquement leur soutien. La nouvelle a été diffusée, sans le moindre commentaire, par le biais d’une note à l’occasion du point presse quotidien du Vatican. Véritable acte d’allégeance, la protestation de fidélité laconique appelle les éclaircissements.
En voici le texte intégral :
« Le Conseil des cardinaux a entamé aujourd’hui sa dix-huitième session.
« D’emblée, le cardinal Oscar Andrés Rodríguez Maradiaga, coordinateur du groupe, après avoir répondu à la salutation du Saint-Père, l’a remercié au nom de tous les membres de ses paroles lors du discours de Noël à la Curie romaine le 22 décembre 2016, saluant en lui l’encouragement et l’orientation qu’il donne pour le travail du Conseil.
« En ce qui concerne les événements récents, le Conseil des cardinaux a exprimé son entier soutien au travail du pape, tout en l’assurant de sa pleine adhésion et son soutien plénier à sa personne et à son Magistère. »
Le pape François reçoit de manière insolite le soutien de sa garde rapprochée
Sibylline, la note évoque des « événements récents » dont elle ne donne pas le détail. Mais tout semble indiquer qu’il s’agit de la campagne d’affichage qui a recouvert la Ville éternelle d’images du pape avec une interpellation en dialecte romain : « Francè, Où es ta miséricorde ? » Les affiches visaient la décapitation de l’Ordre de Malte, la persécution dont font l’objet les Franciscains de l’Immaculée et d’autres prêtres d’esprit traditionnel, le silence opposé aux « quatre cardinaux » et à leurs « Dubia »…
Une édition satirique de l’Osservatore Romano a suivi, dépeignant notamment le pape comme répondant « oui et non » à ces « Dubia » : peut-être était-elle aussi visée.
Les neuf cardinaux du conseil du pape étaient-ils véritablement solidaires pour signer cet acte d’allégeance ? Telle qu’elle est rédigée, elle gratifie le pape d’une sorte d’impeccabilité doctrinale et d’un magistère des plus orthodoxes, comme si personne ne trouvait rien à y redire. L’histoire dira sans doute si les cardinaux Óscar Andrés Rodríguez Maradiaga, Giuseppe Bertello, Francisco Javier Errázuriz Ossa, Oswald Gracias, Reinhard Marx, Laurent Monsengwo Pasinya, Seán Patrick O’Malley, George Pell et Pietro Parolin sont tous d’un semblable avis.
Le Conseil des neuf cardinaux sur la défensive ; c’est donc qu’il y a attaque
En attendant, le cardinal Marc Ouellet, préfet de la Congrégation pour les évêques, déclarait la semaine dernière que la campagne d’affichage était « l’œuvre du démon » : « Ces méthodes de posters anonymes sont une œuvre du démon, qui veut nous diviser. Ce ne sont pas les méthodes qui doivent être utilisées dans la vie de l’Eglise. » Une dénonciation qui a aussitôt suscité des critiques : cette campagne constituait une expression publique de ce que pensent des fidèles du pape, eux qui ne peuvent espérer faire entendre leur inquiétude et leur souci pour l’Eglise à la manière d’un cardinal qui a un accès direct au souverain pontife.
La journaliste Hilary White avait réagi avec le sens aigu de la formule qui la caractérise, en commentant :
« Vraiment ? Ce ne sont pas les méthodes que nous devons utiliser ? Que suggère donc votre éminence ? Des Dubia, peut-être ? Officiellement soumis par l’autorité légitime en accord avec les exigences du droit canonique ? Et ça marche bien, ça ? »
L’allégeance des neuf cardinaux au pape François
Une chose est sûre, une campagne d’affiches un peu insolente semble avoir plus d’efficacité que de multiples pétitions de prêtres, de cardinaux, de spécialistes de la théologie morale, du droit canonique, toujours en termes respectueux. En tout cas pour faire réagir le pape.
Question : est-ce lui qui a exigé une protestation formelle d’adhésion de la part de sa garde rapprochée ? Tel un dictateur argentin s’assurant, mi-inquiet, mi-menaçant, de la fidélité de ses plus proches généraux ?