Derrière la réunion d’imams, de rabbins, de patriarches et d’un cardinal catholique, sans compter un bouddhiste et d’autres représentants des « religions traditionnelles », tous ensemble à Bakou dans le cadre des événements préparatoires de la COP29, se profile un message : toutes les religions ont un rôle similaire à jouer dans la « lutte contre le changement climatique » ; le discours spirituel peut et doit s’unifier autour de cet objectif. Le Sommet mondial des leaders religieux qui se tient ces 5 et 6 novembre dans la capitale de l’Azerbaïdjan porte d’ailleurs un titre qui dit tout : « Religions du monde pour une planète verte. » La religion n’est plus ici ce qui relie l’homme à Dieu – à moins de dire que la « planète » (et finalement tout l’univers) est dieu, dans un panthéisme tout ce qu’il y a de plus classique. Cela colle bien avec l’esprit général de la nouvelle « religion climatique », au nom de laquelle on offre des sacrifices écologiques au nom d’une morale écologique.
La réunion est critiquable à plus d’un titre, à commencer par son aspect « inter-religieux » qui a nécessairement, et quoi qu’on veuille, une dimension relativiste. Mais la tenue de la COP29 en Azerbaïdjan ajoute de nouveaux objets de contestation. Du point de vue des alarmistes eux-mêmes, d’abord, qui acceptent sans sourciller l’hypocrisie d’une réunion « anti-CO2 » dans un pays considéré comme le berceau de l’extraction pétrolière, dont 90 % des exportations sont des hydrocarbures. 50 % des revenus de l’Etat en proviennent (et on imagine que tous les chantres des renouvelables seront quand même ravis de festoyer à Bakou aux frais de la princesse Pétrole !), et un tiers du PIB en dépend. Si l’Azerbaïdjan entend réduire sa production de pétrole, il défend tout de même le gaz naturel en tant qu’« énergie de transition » pour les nations qui cherchent à se « sevrer » des énergies dites fossiles et, profitant des sanctions contre la Russie, voit le marché Européen s’offrir à lui par la vertu du pipeline du sud traversant la Géorgie et la Turquie pour rejoindre l’Italie. Bakou compte augmenter sa production d’un tiers au cours des dix années à venir.
Le Sommet des leaders religieux en Azerbaïdjan – malgré l’Arménie
Mais il y a un aspect plus tragique : celui de la guerre contre l’Arménie, qui a conduit à la disparition de la petite république arménienne enclavée du Haut-Karabagh. Bernard Antony commentait le 22 septembre 2023, il y a à peine plus d’un an :
« L’armée de l’Azerbaïdjan musulman, cent fois plus nombreuse que celle de l’Artsakh et cent fois mieux équipée, a obtenu la reddition des derniers combattants chrétiens de ce confetti de territoire arménien.
« Il faut rappeler que la plupart des Arméniens du Haut-Karabagh sont des réfugiés rescapés des pogroms azéris anti-arméniens perpétrés d’abord, le 27 février 1988, dans la ville de Soumgaït, en république socialiste soviétique d’Azerbaïdjan, et en bien d’autres lieux ensuite de cette république devenue indépendante en 1991.
« Soviétique ou indépendant, l’Azerbaïdjan est soumis depuis des décennies à la dictature islamo-totalitaire de la famille Aliyev, de père en fils. L’actuel potentat est Ilham Aliyev.
« Au lendemain de la reddition, il n’y aura pas beaucoup d’Arméniens du Haut-Karabagh, voire aucun, pour accepter l’ukase azéri de prendre la nationalité azerbaïdjanaise. Cela, on le sait, signifierait inéluctablement la soumission à la dhimmitude et, très vite, la conversion à l’islam. »
Une semaine plus tard, Bernard Antony notait que l’épuration ethnique était sur le point d’être achevée dans le Haut Karabakh. L’Azerbaïdjan menait sa guerre avec le soutien de la Turquie et la complicité de la Russie, qui naguère protégeait encore l’Arménie.
La COP29, une vitrine pour le président de l’Azerbaïdjan
Le président Ilam Aliyev a précisément adressé un message aux leaders religieux réunis dans le palais Gulustan, lu mardi matin par le Premier ministre devant leur assemblée : saluant leur « détermination à contribuer à une cause commune conformément à l’esprit d’inclusivité » face à l’habituel catalogue de catastrophes détaillé en ces occasions, il a souligné comment l’Azerbaïdjan a mérité de recevoir la COP29, lui qui « a adhéré à de nombreuses conventions et accords relatifs aux problèmes environnementaux ».
Aliyev a même osé dire :
« Le renforcement de la sécurité internationale, de la paix et de la tranquillité dans le monde constitue l’un des facteurs essentiels pour lutter contre le changement climatique et les problèmes environnementaux en général. Dans un passé récent, notre pays a été impliqué dans une guerre injuste, ayant été soumis à des revendications territoriales infondées, et a dû en subir les lourdes conséquences. Lors de votre visite au Karabagh, terre historique de l’Azerbaïdjan, vous aurez l’occasion de voir les conséquences douloureuses des crimes tels que l’écocide, le culturicide et l’urbicide commis par l’Arménie pendant les 30 années d’occupation. Vous pourrez voir de vos propres yeux l’important travail de reconstruction en cours dans notre pays, basé sur l’économie verte et les énergies renouvelables, pour rétablir l’équilibre écologique dans la région. »
De fait, à l’issue du Sommet mondial, les leaders religieux auront droit à une visite guidée du territoire dont les Arméniens, ces affreux producteurs de CO2, ont été expurgés. A quand la justification générale de la guerre contre les pays pollueurs (ou décrétés tels) ?
L’Œuvre d’Orient dénonce la COP29 en Azerbaïdjan
Deux semaines avant l’événement, l’Œuvre d’Orient, qui vient au secours des chrétientés d’Orient, avait appelé au boycott de la COP29. Sans succès puisque le cardinal Claudio Gugerotti, préfet du Dicastère du Vatican pour les Eglises orientales, assiste au Sommet mondial en multipliant les marques d’amitié et de reconnaissance à l’égard de l’Azerbaïdjan qui a financé des opérations culturelles au Vatican à travers la fondation Heydar Aliyev, soulignant qu’« au milieu de la propagation des conflits religieux dans le monde, la politique de multiculturalisme menée par le gouvernement de l’Azerbaïdjan, la coexistence pacifique des représentants des différentes religions dans le pays et la liberté de religion constituent la plus grande contribution à la paix ».
L’Œuvre d’Orient n’est pas d’accord. « L’Œuvre d’Orient, engagée depuis près de 170 ans auprès des chrétiens d’Orient, s’indigne de l’honneur accordé à l’Azerbaïdjan d’accueillir le sommet international de la COP29, alors que ce pays est responsable de graves violations des droits humains contre sa population et d’un nettoyage ethnique des 120.000 Arméniens du Haut-Karabakh. L’Azerbaïdjan détruit en ce moment même leur patrimoine millénaire : églises rasées, cimetières détruits, villes et villages renommés… », affirme son communiqué du 21 octobre. « La décision d’organiser la COP29 en Azerbaïdjan est un affront aux valeurs de justice, de paix et d’écologie que ce sommet mondial est censé défendre », déclare Mgr Pascal Gollnisch, son directeur général. Soulignant que l’Azerbaïdjan détient de nombreux prisonniers politiques arméniens, prisonniers de guerre du Haut-Karabakh, l’Œuvre d’Orient demandait « que la tenue de la COP29 à Bakou soit conditionnée à la libération des prisonniers politiques du Haut-Karabakh, illégalement détenus depuis plus d’un an », appelant à un boycott du Sommet dans le cas contraire.
Mais le sort des chrétiens, réellement dramatique, mobilise moins que le sort de la planète tel que le présentent les adeptes de la religion du climat.
Le Sommet des leaders religieux en Azerbaïdjan, une réunion spiritualo-globaliste
Le Sommet des leaders religieux a été organisé conjointement par le président Aliyev, le ministre azéri de l’écologie et des ressources naturelles, le comité d’Etat pour le Travail avec les institutions religieuses, le Conseil des Anciens de l’islam, le Bureau des musulmans du Caucase et le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE).
On y retrouve, comme il est devenu habituel ces dernières années, des délégués du Vatican (le cardinal Gugerotti en tête, et à la table des plus hauts dignitaires), de l’université Al-Azhar du Caire qui œuvre à la restructuration de l’islam et a joué un rôle moteur pour la Déclaration d’Abou Dhabi sur la fraternité humaine. La Russie est aussi accueillie comme une partenaire honorable et représentée par le patriarche Kirill de Moscou, grand promoteur de la guerre contre l’Ukraine, qui a envoyé un vidéo-message d’encouragements : « La destruction des écosystèmes peut conduire à la destruction de toute l’humanité… J’espère que la voix unie des leaders des religions traditionnelles réunis ici aujourd’hui sera entendue par les décideurs et contribuera à sauver la création de Dieu. »
Egalement présent à la table d’honneur : Miguel Angel Moratinos, haut représentant de l’Alliance des civilisations de l’ONU. Il a déclaré : « Le changement climatique est l’un des défis mondiaux les plus urgents. Le gouvernement de l’Azerbaïdjan, qui accueille la COP29, comprend parfaitement que les pays ne peuvent pas s’attaquer seuls à ce problème. C’est pourquoi le sommet des chefs religieux est organisé au moment idéal. » Et de noter que les responsables religieux ont une approche unique du problème climatique, « centrée sur l’homme », alors que selon lui « l’aspect humain » passe malheureusement souvent inaperçu dans les discussions mondiales. Les personnalités religieuses, contrairement aux hommes politiques, se concentrent sur des valeurs morales telles que la compassion, la justice et la dignité humaine, a-t-il fait valoir.
C’est doublement intéressant : d’une part, c’est la mise en évidence, sans doute involontaire, du caractère inhumain des mesures « climatiques », qui de fait sont prises en se moquant bien des répercussions sur les populations, en particulier les plus pauvres, de la cherté et de la raréfaction de l’énergie. De l’autre, c’est l’expression du dévoiement religieux qui s’opère lorsqu’on met l’homme au centre… et non pas Dieu.
A la COP29 en Azerbaïdjan, les leaders religieux auront leur Pavillon de la Foi
Prochaine étape : la COP29 proprement dite se tiendra du 11 au 22 novembre à Bakou. A cette occasion, le Conseil des Anciens de l’islam lancera la deuxième édition du « Pavillon de la foi » qui avait été inauguré lors de la COP28 à Dubaï en décembre dernier. Il réunira une coalition de 97 organisations représentant 11 religions avec l’objectif d’intégrer la « spiritualité et l’éthique » dans l’action climatique, en « restaurant les racines spirituelles afin de prendre la crise climatique à bras-le-corps », en affirmant « le rôle du leadership des femmes en vue d’atteindre la justice climatique », et en « mobilisant la sagesse indigène et interconfessionnelle », entre autres.
« Lors de la COP29, le Pavillon de la Foi explorera également d’autres sujets liés aux modes de vie durables, aux éco-villages inspirés par la foi, au financement innovant de la lutte contre le changement climatique et au dialogue intergénérationnel. Le pavillon mettra en lumière les principes énoncés dans l’“Appel de la conscience : Déclaration commune d’Abou Dhabi sur le climat”, dans un cadre interactif qui fera du pavillon de la foi un carrefour d’idées transformatrices et de solutions collaboratives. Ces efforts s’appuieront sur des valeurs communes et sur l’engagement des communautés religieuses du monde entier. Le pavillon mettra l’accent sur l’engagement commun de ces diverses communautés à relever les défis environnementaux et explorera la manière dont les enseignements spirituels peuvent inspirer une action urgente en faveur du climat », explique le Conseil des Anciens de l’islam.
Développement durable, justice climatique, urgence climatique, construction d’un avenir meilleur pour l’humanité deviennent ici, pour les religions réunies dans une même croyance environnementale, l’horizon de leur action commune.
Comme Notre Seigneur Jésus-Christ, son incarnation, sa passion, sa mort et sa résurrection pour faire des baptisés les enfants de Dieu et offrir le salut éternel à l’humanité déchue semblent éloignés de tout cela ! Ou plus exactement : tenus à l’écart. La spiritualité globale du XXIe siècle a d’autres urgences.