Deux messages du pape François réitèrent le relativisme du Document sur la Fraternité humaine

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Le pape François a voulu marquer le 5e anniversaire du Document d’Abou Dhabi sur la Fraternité humaine, qu’il co-signa en février 2019 avec le grand imam de l’université Al-Azhar du Caire, l’imam Al-Tayeb, par deux interventions qui restent totalement dans le ton de ce texte initial : aucune référence à la véracité de la religion catholique, pas de mention de la Sainte Trinité, mais au contraire un discours lénifiant sur l’écoute de l’autre et l’unicité de la famille humaine : tous enfants de Dieu, en somme.

Qu’ordinairement, seul le baptême puisse faire de l’homme un fils adoptif de Dieu en le rétablissant dans cette relation perdue par le péché originel, voilà une vérité totalement absente des messages pontificaux. Que la fraternité humaine, qui suppose la relation à un même père, soit une contradiction de l’islam qui ne peut concevoir un Dieu qui soit Père (et encore moins un Dieu Père, Fils et Saint-Esprit), n’y figure pas non plus, à plus forte raison.

Dans son message adressé par la bouche du cardinal Miguel Angel Ayuso Guixot, préfet du Dicastère pour le Dialogue inter-religieux à Mohamed Abdesalam, secrétaire général du Zayed Award for Human Fraternity, François a répété le mantra qui traverse tous ses documents écrits dans l’optique de son encyclique Fratelli Tutti : « Il est encourageant de voir que le parcours de dialogue, de camaraderie et d’estime mutuelle qui a commencé à Abu Dhabi il y a cinq ans continue de porter ses fruits. Je tiens tout particulièrement à renouveler ma gratitude au Dr Ahmad Al-Tayyib, grand imam d’Al-Azhar, et à Son Altesse le cheikh Mohamed bin Zayed Al Nahyan, président des Emirats arabes unis, pour leur soutien déterminant aux initiatives visant à promouvoir les valeurs de fraternité et de camaraderie sociale fondées sur la vérité que tous les êtres humains ne sont pas seulement créés égaux, mais qu’ils sont intrinsèquement liés en tant que frères et sœurs, enfants de notre unique Père qui est aux cieux. »

Notre Père est en effet aux cieux, et c’est ainsi qu’il nous est donné de l’adresser… mais il ne peut s’agir d’Allah, dieu de l’islam, qui « n’a jamais engendré de fils ».

 

Prix Zyed pour la Fraternité humaine

L’organisation et le Prix Zayed pour la Fraternité humaine, doté d’un million de dollars et attribué par des représentants choisis notamment par le grand imam d’Al-Azhar, le pape et le Secrétaire général des Nations unies, ont un site internet dédié, aux mises à jour très parcellaires. On trouve davantage d’informations sur les réseaux sociaux. Ont été récompensés cette année les organisations musulmanes indonésiennes Nahdlatul Ulama et Muhammadiya. Au sujet de la première, wikipédia nous apprend que sa principale activité consiste « en la vérification de l’orthodoxie des livres religieux, la gestion d’écoles religieuses et de mosquées, l’assistance aux orphelins et aux pauvres, et la gestion d’organismes pour promouvoir un commerce, une industrie et une agriculture conformes aux principes islamiques ». Avec ses 40 millions de membres et son objectif qui consiste à répandre un enseignement islamique « tolérant », cette association semble s’inscrire dans le cadre d’une certaine restructuration de l’islam – même si elle a publié à plusieurs reprises des fatwas favorables à la mutilation génitale féminine… Contrairement à Nahdlatul, Muhammadiya préfère la charia aux oulémas, et dénonce le syncrétisme et le soufisme qui ont plutôt la faveur de Nahdaltul. Ainsi tout le monde est récompensé en même temps…

Le Prix Zayed a également récompensé un chirurgien cardiothoracique britanno-égyptien, le Pr Magdi Yacoub, pionnier et spécialiste des transplantations cardiaques et pulmonaires au Royaume-Uni, né dans une famille copte. Silence radio, ici, sur les graves questions morales que soulève la greffe d’organes vitaux, qui ne peut se faire qu’en utilisant un cœur battant et des poumons irrigués sous peine d’échec, et pour laquelle on a inventé le concept de la « mort cérébrale ».

La troisième lauréate, la sœur chilienne Nelly Leon Correa, a été récompensée quant à elle pour son travail auprès des détenues dans son pays, en vue de leur réinsertion. Spécialiste de l’accompagnement pyschospirituel (mélange explosif), elle obtient de bons résultats auprès de ses protégées avec un taux de récidive modeste (6 % dans les deux ans de la sortie de prison), mais son approche semble politisée : « Au Chili, la pauvreté est emprisonnée », disait-elle ainsi au pape François lors de sa visite en 2018. On notera à son honneur que plutôt que de laisser « ses » prisonnières sans assistance spirituelle pendant la période du confinement covid, elle a préféré accepter de rester « emprisonnée » pendant 18 mois avec elles plutôt que de les abandonner.

 

Les messages de François parlent d’humanité, pas de Dieu

Le pape a donc nommé ces récipiendaires dans son message, dans lequel il a salué leur « solidarité sociale », et « un amour tolérant pour ceux qui sont différents, une véritable attention aux pauvres et aux malades, en particulier aux enfants, et un désir d’aider à la réhabilitation des prisonniers et à leur réinsertion dans la société ». Mais de la charité surnaturelle, pas un mot.

Le pape s’en tient en réalité à ce qui est si problématique dans la Déclaration d’Abou Dhabi elle-même : « Le pluralisme et les diversités de religion, de couleur, de sexe, de race et de langue sont une sage volonté divine, par laquelle Dieu a créé les êtres humains. » Et c’est bien pour cela qu’il a conclu son message par ces mots : « Je prie donc pour que tous ceux qui participent à la Journée internationale soient encouragés non seulement par l’exemple des bonnes œuvres des lauréats, mais aussi par les idées et les croyances religieuses qui leur ont inspiré une telle générosité de cœur. » Parfaite expression du relativisme qui voit dans toutes les religions un chemin de salut.

Un autre message adressé en ce même 4 février par François, toujours par le truchement du cardinal Ayuso Guixot, disait toute l’admiration qu’éprouve le pape pour son destinataire, PLURIEL, la Plateforme universitaire de recherche sur l’islam, créée en 2014 sous l’impulsion de la Fédération des universités catholiques européennes. Son 4e congrès bisannuel s’est tenu du 4 au 7 février à Abou Dhabi précisément pour marquer le 5e anniversaire du Document sur la fraternité humaine, sous le regard bienveillant du ministre émirati de la Tolérance Cheikh Nahyan bin Mubarak, chargé d’ouvrir les travaux.

Le congrès s’est donné pour mission d’étudier l’impact du Document, sa réception dans le monde et les « transformations nécessaires pour promouvoir la fraternité humaine universelle dans les domaines social, politique et théologique ». Ce dernier axe « théologique dialogique » est finalement le plus important : « Il interroge comment les chrétiens et les musulmans repensent leur compréhension de la fraternité et de la mission, en réponse à cet idéal de fraternité inclusive. Cela soulève des questions sur l’interprétation traditionnelle, le terme “fraternité” et sa portée religieuse. Comment le christianisme et l’islam peuvent-ils développer une notion de fraternité englobant toute l’humanité ? »

 

Le pape François appelle à la « flexibilité intellectuelle » pour promouvoir la fraternité

Réponse simple (mais elle ne s’exprimera pas ainsi, soyons-en sûrs) : en renonçant à la certitude d’adhérer à la seule vraie religion, et, de fait, en « transformant » l’enseignement traditionnel. C’est toute la question de la restructuration des religions pour les rendre compatibles avec le relativisme moderne.

Le pape François, dans son message, a apporté sa vision : il faut en finir avec « la méconnaissance de l’autre ». « Connaître l’autre, construire une confiance mutuelle, changer l’image négative que nous pouvons avoir sur cet “autre”, qui est mon frère en humanité, dans les publications, les discours et l’enseignement, est le moyen d’initier des processus de paix acceptables par tous », estime François, pour qui il faut cesser de percevoir « trivialement » comme un ennemi « l’autre différent », afin de rejeter « la civilisation de l’anti-frère ».

En soi, mieux se connaître mutuellement n’est certes pas un mal. Mais il y a une forme d’angélisme dans cette approche, renforcé par la dénonciation de « l’absence d’écoute ». Le pape cite ici Fratelli tutti : « Sans relation et sans contraste avec celui qui est différent, il est difficile de se comprendre de façon claire et complète soi-même ainsi que son propre pays, puisque les autres cultures ne sont pas des ennemis contre lesquels il faudrait se protéger, mais des reflets divers de la richesse inépuisable de la vie humaine. » D’une certaine façon, cela évacue la hiérarchie des cultures, l’idée que certaines sont meilleures que d’autres, ou mauvaises.

Troisième et dernier conseil de François : « Débattre présuppose une éducation à la flexibilité intellectuelle. » Venant d’un homme qui ne cesse de dénoncer la « rigidité » de ceux qu’il trouve trop traditionnels, que ce soit en matière de doctrine ou de liturgie, l’expression prend toute sa saveur. « Ecoutez le monde, n’ayez pas peur de ce monde, écoutez votre frère que vous n’avez pas choisi mais que Dieu a mis à côté de vous pour vous apprendre à aimer », a-t-il conclu.

Ecouter le monde et se laisser enseigner par lui : c’est toute la logique de la « synodalité » qui, au demeurant, suppose aussi dans l’esprit du pape l’écoute des non chrétiens. Pourtant, les catholiques sûrs de leur foi et de la vérité qui sont allés au bout du monde pour appeler tous les hommes à écouter leur message et à se convertir au Christ, qui est la Vérité, l’ont fait justement par amour. Quitte à mourir par amour.

 

Jeanne Smits