La crise bancaire menace en Italie : ce qu’il en coûte de s’opposer à l’UE et à Bruxelles

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Ambrose Evans-Pritchard, analyste économique respecté au Daily Telegraph de Londres, s’interroge sur la crise bancaire qui menace en Italie, et livre au passage quelques réflexions intéressantes qui montrent ce qu’il en coûte de s’opposer à l’UE. L’arrivée au pouvoir de l’improbable coalition Lega-Cinque Stelle a permis à l’euroscepticisme de conquérir un nouveau bastion, mais on ne cesse de nous expliquer que le pays se trouve dès lors dans une situation économique critique. Pourquoi ? Parce que les banques centrales et la Commission de Bruxelles lui sont hostiles, et appuient même sur les bons leviers pour enfoncer l’Italie sous l’eau. Reste à savoir si elles y parviendront.
 
Ce sont les déclarations de Matteo Salvini, vice-Premier ministre de cette Italie rétive à l’égard du pouvoir européen qui ont provoqué le premier gros problème. Alors qu’il venait de qualifier Jean-Claude Juncker et son aréopage d’» ennemis de l’Europe barricadés dans leurs bunker de Bruxelles », le « marché » a répondu en faisant augmenter de manière drastique les intérêts sur l’endettement italien à 10 ans : à 3,62 %, la note publique a gonflé au point de rendre la situation quasi insoutenable. Ledit marché était sensible à la colère des instances européennes…
 

La crise bancaire qui menace l’Italie vient des prises de position de Bruxelles

 
Salvini répondait à une lettre sévère de la part de la Commission qui contestait les prévisions de dépenses du gouvernement « populiste » italien – des dépenses de nature à creuser profondément le déficit. Rome devait revoir sa copie, parce que le déficit prévu de 2,4 % du PIB s’éloigne selon Bruxelles à hauteur de 1,4 point du niveau jugé acceptable à l’aune des règles fort complexes du Pacte de stabilité.
 
Mais c’est l’Italie en tant que telle qui est vulnérable sur ce plan financier parce que, comme le souligne Evans-Pritchard, les banques italiennes détiennent une belle part de la dette publique, soit 387 milliards d’euros, un portefeuille dont la valeur s’érode : cette perte automatique a pour deuxième effet de réduire leur matelas de capitaux.
 
Contraintes à en lever de nouveaux, les banques se heurtent à un climat hostile. L’autre option consiste à réduire les prêts consentis à l’économie réelle, avec les effets néfastes qui en découlent pour l’industrie et l’activité économique du pays. En un mot : la méfiance plus ou moins téléphonée à l’égard des emprunts souverains peut fort bien mettre un pays à genoux. Sans surprise, les banques les plus exposées se dépêchent actuellement de vendre ces obligations afin de réduire tout « risque de concentration » : pour une banque comme UBI, celle-ci est actuellement évaluée à 60 %.
 

L’Italie dans le collimateur de Bruxelles pour cause de « populisme »

 
Tout cela se produit alors que les agences de notation comme Moody’s et Standard & Poor’s s’apprêtent à publier leur verdict pour l’Italie. Du côté du mouvement Cinq Etoiles, on fanfaronne : Luigi di Maio, l’autre vice-Premier ministre italien, a fait savoir que la montée de la marge actuarielle au-delà de l’indice 400 – marquant un risque énorme par rapport à des emprunts sûrs – ne lui fait pas peur et que le gouvernement ne fera pas marche arrière. Le budget assure-t-il, « vise à réparer les dommages subis par le peuple italien, piégé par les banques ».
 
Mais si les banques sombrent – et c’est le risque, et donc aussi le levier d’action des fédéralistes européens – cela n’augure rien de bon non plus pour les Italiens.
 
Ceux-ci ont déjà eu beaucoup à souffrir de l’Europe, et surtout de l’euro. Le Telegraph rappelle que les salaires réels étaient plus élevés en Italie du temps de la lire : « L’ère de l’euro a été marquée par un quart de siècle de dépression », avec une petite remontée avant 2007, et une chute brutale depuis.
 
Aujourd’hui, les banques italiennes font face à la chute de leurs actions en même temps qu’elles subissent un asséchement des liquidités. Seule solution : se tourner vers la Banque centrale européenne – et donc, au fond, se soumettre au fédéralisme de fait – pour obtenir des prêts que la BCE consent pour éloigner la crise.
 

L’UE et Bruxelles menacent l’Italie au nom d’une “fausse science”

 
Evans-Pritchard cite Ashkoda Mody, ancien chef délégué du FMI pour l’Europe, à propos de la dette jugée acceptable par la zone euro au nom du pacte de stabilité : du « non-sens théologique » où l’on attache un poids démesuré à quelques points de décimales au nom d’une « fausse science », pour reprendre les expressions du journaliste. « Ces chiffres n’ont absolument aucun sens. La règle fiscale est économiquement illettrée et dysfonctionnelle, et pourtant, un discours s’est installé qui l’a rendu en quelque sorte sacro-saint », a déclaré l’économiste lors d’un forum tenu à l’American Enterprise Institute.
 
D’ailleurs, l’ancien Premier ministre italien, Matteo Renzi, qui était dans les bonnes grâces de Bruxelles il faut le dire, a pu proposer des déficits de 2,9 % pendant trois années d’affilée sans qu’on en fasse tout un plat. Emmanuel Macron peut même s’en permettre davantage. Voilà qui alimente, constate Evans-Pritchard, le soupçon d’une dispute qui n’est pas du tout économique mais bien politique, visant au contrôle politique.
 
Matteo Salvini, pour sa part, répond par le mépris, refusant de s’inquiéter de la marge actuarielle croissante à l’instar de son homologue Cinque Stelle – il répète à qui veut l’entendre les mots de Gabriele d’Annunzio, « me ne frego » (« je m’en fous »). L’expression, cela n’échappe à personne en Italie, était aussi le cri de ralliement des Chemises noires de Mussolini pendant les années 1930.
 

Ce qu’on autorise à Renzi ou à Macron, on le refuse à Salvini

 
Salvini ajoute que l’Italie ploie avec l’Europe sous le coup des politiques ravageuses mises en place par la machinerie bruxelloise depuis une décennie, et accuse une spéculation orchestrée : « Derrière cette poussée se trouve une manipulation à l’ancienne de la part de spéculateurs – comme George Soros il y a 25 ans – cherchant à acheter des actifs italiens à prix soldés. Mais les spéculateurs perdent leur temps. Ce gouvernement n’a pas l’intention de faire marche arrière. »
 
Ambrose Evans-Pritchard semble avoir compris, voire approuvé le message. Il cite le professeur Luigi Zingales, expert des banques européennes à l’université de Chicago. Celui-ci accuse la zone euro d’avoir fait à l’Italie ce que les créanciers étrangers ont fait à l’Allemagne en 1930, fermant brutalement le robinet des flux de capitaux avant d’imposer une austérité drastique. Il ne faut pas s’étonner des conséquences politiques de cette myopie, dit-il, interpellant Bruxelles. Trois solutions, et trois seules existent, selon ce professeur : « Il faut choisir entre changer l’Italie en profondeur pour le rendre apte à l’euro ; ou bien changer les règles de l’euro ; ou bien sortir de l’euro. »
 
Si l’Italie doit sombrer parce qu’elle s’engage dans un « cercle vicieux », comme le disent certains économistes », il sera difficile de ne pas juger qu’il s’agit là des effets d’une sanction venue de plus haut.
 

Anne Dolhein