Alors que de nombreux pays européens connaissent une chute de la natalité sans précédent, beaucoup s’inquiètent de savoir comment mettre fin à cet hiver démographique déjà bien entamé, qui annonce un suicide lent de nos peuples. C’est le cas en Pologne, où le démographe Mateusz Lakomy a cherché à analyser les causes de la dénatalité dans son pays. Il ne prétend pas avoir réponse à tout, mais il a mis en évidence un point sur lequel on devrait pouvoir intervenir. Il s’agit de la difficulté pour les jeunes, à l’âge de leur plus grande fertilité, d’entrer dans une relation stable, voire dans une relation tout court. Et l’omniprésence des écrans n’y est pas étrangère.
Disons-le tout de suite, il y a des exceptions à cette règle de la chute démographique. En Pologne, c’est surtout chez les personnes très instruites, aisées et religieuses – c’est-à-dire, en Pologne, catholiques – qu’on continue à avoir des enfants, et même de nombreux enfants. C’est bien l’idée qu’on met des enfants au monde pour qu’ils puissent peupler le Ciel qui permet de passer outre les défis de la procréation aujourd’hui.
Dans les pays développés, observe-t-il encore, en ce qui concerne l’éducation des femmes, la situation est plus complexe : « Il est plus difficile pour les femmes instruites de nouer une relation, et cela se produit généralement plus tard. Cependant, lorsqu’une relation se forme, elle a plus de chances d’être durable et de donner naissance à davantage d’enfants que pour une femme moins instruite. »
La dénatalité en Pologne vient des problèmes rencontrés par les jeunes
Mais au-delà de ces questions, il y a des freins objectifs. Lakomy explique qu’autrefois, le fait d’avoir des enfants était tout simplement naturel et faisait partie de la vie de toutes les familles. Aujourd’hui, en revanche, alors que l’être humain domine quasi totalement le processus de la procréation, les familles décident d’avoir des enfants – ou de ne pas en avoir – selon des critères divers.
On note cependant en Pologne que la plupart des gens souhaiteraient avoir des enfants… mais pas beaucoup. Ce n’est que depuis 2020 (« le début de la pandémie », selon Lakomy), que la proportion des personnes qui ne désirent avoir aucun enfant est devenue significative. Et ce, alors que même du point de vue simplement humain, avoir des enfants est bénéfique non seulement pour la société, pour la sphère familiale où se côtoient des frères et des sœurs, et pour le maintien d’une croissance économique suffisante, mais pour les individus eux-mêmes, puisque les personnes vivant seules souffrent davantage de problèmes psychologiques, même si elles ont de nombreux amis, que celles qui sont entourées par une famille.
Lakomy explique que « la raison démographique la plus importante est sans conteste le fait que les jeunes adultes ont aujourd’hui des difficultés à s’engager et à former un couple ». En effet, « parmi les personnes âgées de 18 à 29 ans, seules 12 % sont mariées et près de 45 % n’ont aucune relation, c’est-à-dire qu’elles n’ont même pas de petite amie ou de petit ami et ne sortent avec personne. C’est important, car cet âge, jusqu’à 30 ans, est le meilleur moment pour une femme d’avoir des enfants d’un point de vue biologique ».
Trop d’écrans, pas assez de jobs stables et de possibilités de logement
Le démographe avance trois raisons principales : le déséquilibre du niveau d’éducation entre les femmes, plus nombreuses à suivre des études supérieures, et les hommes ; les expériences difficiles que vivent les jeunes au sein de leur famille d’origine – le fait d’avoir été élevé par un seul parent ou d’avoir une famille éclatée ; et l’omniprésence des smartphones. Une fois la relation établie, d’autres obstacles à la fécondité apparaissent. Le principal est l’inaccessibilité quasi-totale à un emploi stable pour les jeunes adultes et, par conséquent, le manque d’accès à un logement indépendant.
Il est clair que les nouvelles générations se rencontrent désormais davantage via Internet que dans la réalité. Les relations s’établissent par écran interposé, avec un inconvénient qui vient s’ajouter à cette distance largement maintenue : ce monde virtuel dans lequel ils naviguent établit une réalité parallèle qui fausse la juste vision du mariage.
Le problème est d’ailleurs plus profond : le démographe observe que « l’utilisation généralisée des smartphones nous offre un accès constant aux réseaux sociaux, à la pornographie et à des messages anxiogènes. Tout cela a un impact négatif sur notre psychisme à bien des égards ». Il ajoute : « De plus, la disponibilité des smartphones à l’adolescence et la communication limitée avec nos pairs et nos amis via ces appareils rendent difficile la création de liens et l’apprentissage des interactions avec des personnes différentes. C’est particulièrement difficile si nous avons nous-mêmes des problèmes émotionnels, si nous sommes introvertis, anxieux ou, par exemple, autistes. Les relations dans le monde réel nous obligent, en quelque sorte, à surmonter ces difficultés et nous aident à développer des stratégies d’adaptation. Les messages instantanés ou les réseaux sociaux constituent une forme d’évasion facile. Cela nous prive de la possibilité de construire des relations en grandissant, lorsque nous en avons le temps. »
Les jeunes peuvent trouver le sens de la relation grâce à l’Eglise
En faisant ce constat, Mateusz Lakomy suggère que ce soit l’Eglise qui prenne en main la situation. Il estime qu’elle devrait organiser davantage de pèlerinages et favoriser les activités de groupe où les jeunes pourraient se rencontrer, s’apprécier et établir des relations stables. Autrefois, on parlait tout simplement d’amitiés qui permettent d’aller vers le mariage, à fonder une famille et à avoir des enfants.
Il est essentiel d’aller à la rencontre des jeunes et de créer pour eux des espaces à la fois pastoraux, formateurs et sociaux, souligne le démographe. Il met également en lumière l’importance des cours de préparation au mariage, souvent le seul lieu où les jeunes d’aujourd’hui peuvent appréhender la dynamique des relations, se poser des questions difficiles et surmonter certaines difficultés.
Un expert en démographie souligne que les propositions de l’Eglise peuvent également être utiles aux personnes non religieuses. « Si nous voulons que nos enfants aient de meilleures chances de fonder une famille heureuse et d’avoir des petits-enfants, il est important de les élever dans un contexte religieux et avec un certain contact avec la foi », souligne Mateusz Łakomy.
Chesterton l’a dit jadis : « Chassez le surnaturel, il ne restera que ce qui n’est pas naturel. » Des générations entières dans nos pays développés vivent dans un monde où tout se passe comme si Dieu n’existait pas. L’un des instincts les plus profonds de l’homme, qui est au service d’une de ses missions les plus fondamentales, celui du don de la vie, a besoin de soutien spirituel et de garde-fous concrets pour échapper au nihilisme destructeur.











