Depardieu : la puissance de la révolution féministe

Depardieu Puissance Révolution Féministe
 

Il y a huit jours encore, l’acteur Gérard Depardieu était une vedette « controversée », comme ils disent, dont les comportements et les propos faisaient parfois scandale, et plaisaient souvent pour cela : on le célébrait en raison même de ses foucades. Mais la puissance du mouvement de réprobation morale qu’ont suscité ses propos scabreux dans l’émission « Complément d’enquête » sur France 2, l’a engagé à fuir les insultes et les accusations diverses, pervers, misogyne, violeur. Sa fille Julie a parlé de « chasse à l’homme ». Sans aller jusque-là, on constate que, depuis le début de la révolution féministe lancée par MeToo en 2017 avec l’affaire Weinstein, aucun homme ne bénéficie plus de la présomption d’innocence et que sa réputation et sa vie sociale dépendent du jugement d’une foule soigneusement orientée.

 

Les tribulations de Depardieu en Corée du Nord

Il n’est pas question d’excuser les propos sales et graveleux tenus en Corée du Nord par Depardieu dans l’émission « Complément d’enquête ». Mais on doit remarquer quelques petites choses pour commencer. Lesdits propos ont été volés par les journalistes : l’acteur les a tenus pour choquer, volontairement, faire le malin, mais ne les avait pas autorisés à les diffuser. C’est la double ambiguïté des histrions et du « off ». Ils ont ensuite subi des coupes et un montage frauduleux, suivant l’homme même qui les a enregistrés, afin de donner à croire qu’ils concernaient une fillette, insinuant ainsi que l’acteur est pédophile. Doit-on parler de « cabale inédite » comme l’écrivent les membres de sa famille ? En tout cas d’une volonté de nuire tout en faisant le buzz.

 

Un mouvement féministe au-dessus de tout soupçon

D’autre part, une actrice, aujourd’hui décédée, avait accusé Depardieu d’agression sexuelle, suivie depuis par treize autres. En outre, la comédienne Charlotte Arnould a porté plainte pour contre lui en 2018. La procédure est longue. L’acteur a été mis en examen à l’automne. L’accusatrice est formelle. Elle peut dire vrai ou mentir. Il nie. Il peut dire vrai ou mentir. L’accusation affirme détenir une preuve, mais les éléments diffusés dans le public ne permettent pas de trancher. C’est en tout cas aux juges de le faire. La violence et l’ampleur de la campagne en cours peuvent malheureusement peser sur la sérénité des débats. Elles sont peut-être conçues pour cela. Ce qui est certain, c’est qu’on peut prononcer des paroles grossières sans pour cela commettre des actes violents. L’habitude qu’a prise le mouvement féministe depuis MeToo et Weinstein de désigner un homme pour le faire tomber est du point de vue moral un lynchage détestable, et du point de vue politique une révolution qui vise à détruire un ennemi désigné : le « patriarcat », la « culture du viol », disons simplement le mâle.

 

La puissance de la campagne est dans le détail

La minutie, la puissance, la promptitude de cette révolution sont sidérantes. Ce n’est pas tant le brouhaha des médias qui surprend : ils sont moutonniers par nature, tout le monde en parle alors tout le monde en parle, comme le disait Thierry Ardisson. C’est l’ensemble et le détail des condamnations morales actées contre Depardieu qui effraie tout en faisant sourire. Le musée Grévin a supprimé sa statue. La ville de Bruxelles lui a retiré sa médaille. Le maire d’Estampuis, où il s’était installé pour fuir le bruit et les impôts, a révoqué sa citoyenneté d’honneur d’une voix grave : « Le divorce est prononcé à partir du moment où les valeurs humaines ne sont plus respectées. » L’ordre national du Québec lui a été retiré. Et notre ministre de la culture, Rima Abdul-Malak, a annoncé une procédure disciplinaire de l’Ordre de la Légion d’honneur pour le priver de la décoration que lui avait donnée en 1996 Jacques Chirac.

 

Révolution dans l’Ordre de la Légion d’honneur

Emmanuel Macron, grand maître de l’Ordre, a été surpris de l’apprendre par voie de presse. Ce mépris pour les procédures ordinaires montre la puissance d’une révolution féministe qui se sait au-dessus des lois, des coutumes, des critiques, parce qu’elle incarne aujourd’hui le Bien. On peut ajouter comme le fait Patrick Sébastien qu’à cette aune on doit ôter la Légion d’honneur à bien d’autres. Entendons-nous bien. Il ne s’agit pas ici de sonder reins et cœurs, ni de choisir entre l’« homme privé pudique » que décrit sa famille et l’« espèce de salaud » que peignent ses ennemies, en particulier la comédienne Anouk Grimberg. Certains, comme le comédien Philippe Torreton, affirment que « tout le métier sait » les comportements délictueux de l’acteur. Qui a raison ? C’est à la justice de le dire. On peut établir demain le pire ou le meilleur. Bornons-nous ici de comprendre l’usage que fait notre société des variations de l’homme public Depardieu.

 

Depardieu, de la révolution sexuelle à celle de la parole

L’acteur a gagné la célébrité avec Les Valseuses, de Bertrand Blier, film provocateur, ouvertement, volontairement, pornographique et vulgaire. C’était en 1974, six ans après soixante-huit, l’année de la libéralisation du X par Giscard, en pleine « révolution sexuelle ». Ces fabuleuses années soixante-dix où Libération faisait la promotion des orgies de toutes sortes, où organisations homosexualistes, écologistes et pédophiles militaient ensemble contre la morale dite « bourgeoise », au nom de vieux birbes tels Marx, Freud et Marcuse. Depuis, pendant des décennies, on a encouragé cet acteur, très bon par ailleurs, à se croire tout permis. On l’a adulé dans ce rôle dit « rabelaisien » ou « gaulois ». On l’a peut-être rendu fou, je n’en sais rien. Maintenant on lui tombe sur le râble pour les mêmes raisons qui l’ont fait élever. Hier, on « libérait » la sexualité. Aujourd’hui, on « libère » la parole. C’est toujours la même illusion. On fait la révolution. Et la société post-soixante-huitarde, plus hypocrite que jamais, se juge elle-même en le lynchant.

 

Pauline Mille