Le collectif féministe NousToutes17 a écrit fin mars aux organisateurs du festival musical des Francofolies à La Rochelle afin que Patrick Bruel, prévu pour y chanter le 11 juillet, soit déprogrammé. A cause d’enquêtes ouvertes pour agression et harcèlement sexuels pour des faits datant de 2019. Après Depardieu, voilà donc un nouveau boomer menacé par la vague Metoo, selon la stratégie anglosaxonne du « Name and Shame », qui vise à dénoncer un coupable présumé pour lui faire honte et l’éliminer du point de vue social. Scandalisées de ne pas encore avoir reçu de réponse, les dames de NousToutes17 viennent d’insister dans une nouvelle lettre : « Si aujourd’hui les différentes enquêtes ont été classées sans suite, cela ne fait pas pour autant disparaître le témoignage des victimes. » Cette phrase implique clairement qu’il existe en matière d’infraction sexuelle une présomption de culpabilité indépendante des procédures policières et judiciaires.
Les Francofolies avaient retenu la culpabilité d’Orelsan
NousToutes17 en tire des conséquences pratiques : en l’absence d’intervention de la justice, les associations féministes doivent obtenir satisfaction. Elles poursuivent en effet : « Votre choix de déprogrammer le chanteur Orelsan en juillet 2009, alors qu’il n’était visé par aucune plainte pour agression sexuelle, harcèlement ou exhibition, prouve bien qu’une déprogrammation pour des sujets en lien avec les violences sexistes et sexuelles est possible. » Elles font ici référence à une affaire qui avait secoué le petit monde de la chanson et de la politique françaises voilà quinze ans. Le patron des Francofolies de l’époque, Gérard Pont, avait en effet déprogrammé le rappeur Orelsan, et, les Inrockuptibles et le parti sarkozyste y ayant vu la main de Ségolène Royal, il avait dû préciser que sa décision n’était guidée « ni par des pressions, ni par une volonté de censure ».
Le témoignage de satisfaction de Ségolène
Quel était le crime d’Orelsan ? Il avait tourné un « clip » intitulé « Sale pute », chanson racontant les malheurs d’un homme trompé par une femme et couvrant celle-ci d’injures et de menaces. Le sujet n’était pas bien original et le texte d’une grossièreté désolante, mais le niveau du rap n’est pas tel qu’on puisse s’en étonner, et la France n’exauce pas encore le vœu très ancien d’Henri de Montherlant de mettre les gens « en prison pour médiocrité ». Que reprochaient alors les féministes à Orelsan ? Une apologie de la violence envers les femmes. Le rappeur s’en était défendu, ce n’était à l’entendre qu’un amour déçu. Ségolène Royal, qui présidait alors la région Poitou Charente et tenait les cordons de la bourse aux subventions du Festival, s’était défendue de tout « chantage », mais s’était félicitée de l’interdiction du spectacle, montrant du doigt ceux qui soutenaient Orelsan, Jack Lang compris. On était on le voit, à la fois dans le vaudeville politique, l’enfantillage (une affaire d’Etat pour une chansonette où un homme dénigre la femme qui l’a trompé), et le totalitarisme – car un collectif féministe avait bien obtenu, en dehors de tout délit constaté, l’interdiction d’un spectacle.
Présomption de culpabilité pour les « porcs »
Ce mouvement à la fois ridicule et tout puissant s’est bien sûr amplifié depuis l’affaire Weinstein en 2017 : par le seul effet de « balance ton porc » et Metoo, bien avant que le producteur n’ait été jugé, il était déjà abattu par la présomption de culpabilité, privé de ses fonctions et distinctions, par le tribunal de l’opinion, renforcé non seulement par les médias mais par les réseaux sociaux. Et le pire, selon de nombreux avocats, est que cette présomption de culpabilité s’étend dans les prétoires – le phénomène se trouvant peut-être aggravé par la féminisation de la fonction de juge, mais traduisant dans l’ensemble une transformation de l’opinion publique sous l’effet de la propagande féministe après Metoo. Robert Badinter, qui fut un bon juriste avant d’être un ministre de la justice déplorable, craignait à cet égard une « sacralisation de la parole des victimes », ce qui paraît juste à un mot près : sacralisation de la parole des accusatrices, ou accusateurs.
« Témoignage des victimes » ou « accusation » ?
Dans les infractions sexuelles en effet, outre les faits prouvés et prouvables, il existe de nombreux cas, surtout si les faits sont anciens, où c’est « parole contre parole ». Or les féministes, et derrière elles la majorité de l’opinion publique et des réseaux sociaux choisissent leur camp, celui des « victimes », dont elles brandissent le « témoignage ». Cependant la justice, bien qu’elle ne soit jamais parfaite, présente un avantage sur les réseaux sociaux, elle est contradictoire. Il n’existe pas pour elle de « témoignage des victimes » mais des accusations, auxquelles doit répondre l’accusé, bien ou mal, c’est une autre affaire. Il ne s’agit pas ici de prétendre que Bruel, Depardieu, Miller, Strauss-Kahn ou Weinstein sont des petits saints, il s’agit de leur garantir le droit à un procès équitable. En l’espèce, pour Bruel, les faits, datant de 2019 ne sont pas prescrits. S’ils ont été classés sans suite, c’est que la justice a estimé que les charges étaient insuffisantes. Si les féministes ne sont pas d’accord, à elles de trouver un fait nouveau pour rouvrir la procédure.
La justice écoute les victimes et sanctionne la culpabilité
Mais leur grand argument est que très peu de viols et d’agressions sexuelles sont déclarées, qu’on ne parle que de la partie émergée de l’iceberg et que la parole des victimes est niée. Cela a pu être vrai, cela ne l’est plus. De 1978 à 1998 la part des condamnés en France pour viol ou agression sexuelle est passée de 4,40 % à 18,30 % et elle a considérablement augmenté depuis, un quart des détenus en prison est concerné. Les policiers prennent les mains courantes et les plaintes, la justice écoute, instruit et condamne. C’est tout aussi vrai pour les violences conjugales. La présomption de culpabilité est même devenue telle que le « témoignage des victimes » est plus écouté que les dénégations de l’accusé. Il y a deux poids deux paroles. De sorte que la justice commence à suivre l’opinion publique formatée par les féministes, et qu’elle préfère en la matière condamner un innocent que de laisser courir un coupable.
Des Francofolies à la directive européenne sur le viol
C’est à ce phénomène que se rattache la controverse autour de la directive européenne qui prétend redéfinir le viol par l’absence de consentement, afin d’en faire un « eurocrime » comportant une « dimension transfrontalière » : beaucoup de « progressistes » sous la pression des féministes reprochent à la France (et quelques autres pays) de la bloquer. J’ai trouvé sur ce sujet dans Marianne une réflexion de Me Nathalie Schmelck : « Il se développe une grande théorie dans les affaires de violences sexuelles : la théorie de l’emprise. Ou ce que j’appelle le viol a posteriori. Certains voudraient qu’un sentiment d’absence de consentement qui n’est pas concomitant à l’acte en lui-même, qui vient a posteriori, fasse partie de la définition légale du viol. Et là je suis contre. On a tous eu des relations sexuelles qu’on regrette. Est-ce que pour autant, c’est un viol ? Non. » L’ensemble de son entretien est intéressant. Mme Schmelck est féministe, mais aussi familière des dossiers d’infractions sexuelles et pénaliste.