Avec Internet, on touche à un domaine délicat. La liberté de la toile fait souvent fi des droits d’auteurs et depuis des années les gouvernements tentent de réglementer le domaine où internautes lisent, transfèrent ou copient des données créées par d’autres, des fils de nouvelles aux extraits musicaux – nous avons la loi Hadopi en France. Mais cette proposition de réforme européenne voulait aller plus loin encore et s’assurer fermement que les créateurs de contenu créatif dans le monde numérique soient payés équitablement…. à tel point qu’elle était prête à voir s’installer une grosse « machine de censure » et un contrôle général des utilisateurs. Dont ne pourraient sortir vivants, in fine, que les GAFA, les poids lourds de la toile, bien qu’amoindris dans leurs pouvoirs. Exit les petits, exit les médias alternatifs, exit l’espace de discussion essentiel que représente la toile.
Certes, les GAFA et autres géants qui ont opéré un lobbying terrible contre la loi protégeaient aussi leurs lucratives plateformes… Mais d’autres géants étaient en face, chez qui l’idéologie fait partie intégrante du vote.
La réforme européenne : réglementer l’expression en ligne
Face à Google, Facebook, Amazon ou encore Wikipédia, se dressait la légende des Beatles, Paul McCartney. Face aux GAFA et tous les défenseurs de la liberté d’Internet s’érigeait la Sacem, les éditeurs de presse et beaucoup de politiques… Le projet de réforme avait été validé au niveau de la commission parlementaire mi-juin. Mais, au terme de débats houleux, il a néanmoins été rejeté, bien qu’à une faible majorité : 318 voix en défaveur du texte, 278 en faveur et une trentaine d’abstentions. Seulement rien n’est figé, puisque le texte sera de nouveau examiné sur le fond au mois de septembre.
Grosse animosité des partisans de la réforme ! Notre ministre de la Culture, Françoise Nyssen, a appelé à une « régulation du numérique qui bénéficie à la création, à la diversité culturelle et au pluralisme de la presse ». Le secrétaire général de la SACEM a fustigé « le problème démocratique » que représente « la campagne de désinformation orchestrée par les porte-voix des GAFA »…
« Pluralisme », « démocratie »… bizarrement, c’est lorsqu’on invoque ces mots que je commence le plus à m’inquiéter sur le contenu de ce qu’ils sont supposés faire passer… ! Les opposants à la réforme ont d’ailleurs crié, eux, à une victoire de la liberté et de l’indépendance.
Les articles 11 et 13 sur les droits d’auteur en question
Concrètement, comme l’écrivait le Figaro, le texte visait « à renforcer la place des éditeurs de presse et des créateurs dans les processus de rétribution. Les premiers se voyaient accorder un « droit voisin » permettant de réclamer une rémunération aux agrégateurs de contenus en ligne qui gagnent de l’argent en réutilisant leurs articles. Les seconds se voyaient protégés par une obligation imposées aux plateformes comme YouTube de filtrer les œuvres téléversées et de détecter celles dont la diffusion n’est pas autorisées par les ayant-droits. »
Seulement la proposition contenait aussi deux règles particulièrement préoccupantes pour les entreprises Internet et les défenseurs de l’Internet ouvert, les articles 11 et 13, qui auraient pu entraîner une censure et un contrôle généralisés des utilisateurs.
Censure générale par les plates-formes technologiques ?
L’article 11 voulait apporter une solution urgente dans un contexte de nouvelles en ligne gratuites qui ont décimé les bénéfices des sociétés de médias traditionnelles. Les GAFA, mais aussi tous les sites plus petits et surtout moins, voire beaucoup moins puissants, auraient dû payer les agences de presse pour relier leur contenu. Ce que d’aucuns ont dénoncés comme une « taxe sur les liens » et dans les faits, comme l’a dit le leader de l’eurosceptique et anti-immigration UKIP (UK Independence Party), Gerard Batten, une tentative de « détruire le pouvoir de parole » en ligne. D’autant plus que les systèmes de référencement en auraient été profondément modifiés.
L’article 13 voulait rendre responsables les géants du numérique de tous les contenus postés sur leurs réseaux. Ils auraient immanquablement dû mettre en place un « filtre de téléchargement » pour passer au crible du droit d’auteur tout matériel téléchargé – vidéos, musiques, photographies, mais aussi logiciels compilés, code et écrit. L’excès de zèle aurait été à prévoir (certains ont évoqué les blagues reprenant des extraits de films, les « mèmes », etc.)… c’était déjà l’assurance de la surveillance et de la censure potentielle. Et puis la mise en place coûteuse d’une telle technologie aurait d’abord nui évidemment aux petites start-up et PME, bien avant les Google et YouTube.
« Cette loi entraînera un filtrage et une suppression excessifs des contenus et limitera la liberté de communiquer des informations d’une part, et la liberté de recevoir des informations d’autre part » écrivaient, l’année dernière, 57 groupes de défense des droits humains, dont Human Rights Watch et Reporters sans frontières.
Le projet de directive va donc revenir devant le Parlement européen en session plénière au mois de septembre pour être examiné et amendé, article par article. Nouvelle bataille…. mais les enjeux, capitaux, restent les mêmes.
Clémentine Jallais