Le drone Shahed, signe de l’alignement de l’Iran avec ses alliés, dont la Russie

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Un intéressant article du Daily Telegraph posait dimanche la question de savoir comment le drone iranien Shahed, surnommé l’AK-47 de Téhéran, avait changé la face de la guerre et même enflammé le Proche-Orient. Ce drone ressemble à un petit avion aux ailes fines mais de grande envergure ; sans pilote, il a une portée de 2.000 km et peut porter des ogives de 50 kg, et ne coûte que 20.000 dollars. Shahed veut dire « témoin » en persan, et de fait, l’Iran l’utilise comme témoin de sa puissance et comme outil de guerre meurtrier à fournir à ses alliés.

Le Telegraph raconte comment en septembre 2013, une poignée de journalistes proches de la Garde révolutionnaire en Iran avaient été invités à découvrir le nouvel engin tenu au secret dans un hangar à aéronefs. Sur place, le général Mohamad Ali Jafari, alors commandant en chef de la Garde, vantait le travail acharné des chercheurs iraniens : « Cette technologie intelligente peut faire le travail de milliers de soldats, de postes militaires et de gardes-frontières… et aussi protéger la sécurité des frontières. » Après plusieurs essais plus ou moins ratés de copies de drones occidentaux capturés, le Shahed, dans ses différentes déclinaisons, a assez largement tenu les promesses du général. Bon marché, adapté à la production de série, facile à envoyer vers des zones de conflit, le drone dévoilé en 2013 n’est pas seulement un bon produit d’exportation : il permet de protéger les intérêts du régime iranien en divers points du globe.

 

L’Iran fournit ses alliés islamiques en drones Shahed

C’est un Shahed, en particulier – selon les officiels des Etats-Unis – qui a, fin janvier, frappé le poste avancé Tower 22 en Jordanie, tuant trois soldats américains et faisant plusieurs dizaines de blessés, après avoir été lancé par une milice basée en Irak et soutenu par l’Iran. En tout cas, selon les sources officielles américaines, on a reconnu sur place le bruit caractéristique de tondeuse à gazon du drone qui a réussi à éviter, on ne sait trop comment, la défense aérienne installée par les Etats-Unis.

C’est le genre d’incident qui frappe les imaginations et qui braque les regards de la population américaine vers l’Iran et vers un potentiel conflit à part entière avec ce pays.

Le Shahed s’est installé depuis longtemps dans le paysage proche-oriental avec les attaques des Houthis contre la coalition saoudite au Yémen, et plus récemment les mêmes Houthis s’en sont servis pour attaquer des navires marchands occidentaux en mer Rouge.

D’après le Telegraph, la Syrie compte également des Shahed dans sa flotte de drones.

 

La Russie, grande acheteuse de drones Shahed

Mais l’un des tous premiers clients en volume de l’Iran est bien la Russie, qui a importé de nombreux Shahed et s’en sert, selon le Telegraph, pour frapper le réseau énergétique et des entrepôts agricoles en Ukraine. Plusieurs milliers de ces drones auraient déjà été utilisés par la Russie depuis l’invasion en février 2022 : Reuters donnait le chiffre de 3.700 dans un article daté du 21 décembre dernier, à rapprocher des 7.400 missiles tirés par l’armée russe pendant la même période.

S’il est vrai que les Shahed ne sont pas particulièrement grands, puissants ou sophistiqués – ainsi, selon Reuters, l’Ukraine a pu intercepter pas moins de 2.900 de ces drones dirigés vers son territoire – ils restent une menace et une nuisance. D’abord par leur nombre et leur facilité de construction et d’acheminement, mais aussi, même s’ils n’atteignent pas systématiquement leur cible, parce qu’ils arrivent par surprise, et obligent à une surveillance continue. Ulrike Franke, spécialiste des drones pour le Conseil européen sur les relations étrangères, souligne qu’il ne s’agit pas d’armes stratégiques capables de décider du sort d’une guerre, mais que les munitions utilisées pour les abattre peuvent revenir plus cher que le drone lui-même.

Parmi les techniques utilisées pour les intercepter, à côté de la surveillance aérienne proprement dite, il y a le brouillage GPS sur lequel travaillent les Ukrainiens, avec l’objectif de détourner les drones de leur cible, et des méthodes artisanales : dresser d’immenses filets autour des cibles potentielles pour piéger les petits avions à leur arrivée.

L’Iran a fini par reconnaître qu’il fournit la Russie en drones Shahed, après s’en être d’abord défendu sur tous les tons, tandis que la Russie les présente comme un modèle domestique, et cherche en tout cas à augmenter la cadence d’acquisition, quitte à créer des unités de production locales, notamment au Tatarstan, avec l’aide du partenaire iranien. Le Telegraph rapporte sans la confirmer l’information selon laquelle des gardes révolutionnaires iraniens ont rejoint la Crimée dès octobre 2022 pour aider les forces russes à utiliser les Shahed. L’Iran à tout à y gagner, précise un commentateur américain : l’utilisation sur le terrain dans une situation de conflit réel permet de mieux connaître fonctionnement effectif du drone et éventuellement d’en améliorer la conception.

 

Iran, Russie, Chine… la puissante alliance

Loin de la menace nucléaire, la technologie du drone met en quelque sorte la guerre à la portée de tous, avec d’importants retours sur investissement potentiels pour ceux qui ont peu de moyens et peu de technologie.

Ce commentateur, Bradley Bowman, directeur du Center on Military and Political Power de la Foundation for Defense of Democracies de Washington, observe : « Les quatre principaux nations-Etats adversaires de l’Amérique se trouvent de plus en plus sur la même ligne et se coordonnent de plus en plus entre eux contre nous et nos alliés. La Russie et la Chine sont plus proches l’une de l’autre qu’elles ne l’ont été depuis des décennies. On peut voir l’argent chinois couler vers l’Iran. Cet argent chinois va aider à immuniser l’Iran, jusqu’à un certain point, contre la pression des sanctions occidentales sous conduite américaine, ce qui rend encore moins probable de voir Téhéran négocier de bonne foi au sujet de son programme nucléaire. »

Il semblerait que la production de drones iranienne s’accélère actuellement. Un nouveau modèle a été dévoilé en août dernier : le Mohajer (« immigré » en persan) peut transporter une ogive de 200 kg capable de renvoyer Israël « à l’âge de pierre », selon les Iraniens.

Le rôle de ces derniers dans les conflits au Proche-Orient n’a pas jusqu’ici provoqué de riposte d’envergure. Mais une attaque bien ciblée, dont la responsabilité ultime lui serait imputée, pourrait servir de détonateur à des confrontations de plus haut niveau.

Pour l’heure, des frappes américano-britanniques sont menées depuis la Mer Rouge contre des positions Houthis au Yémen, sans aller plus loin contre ceux qui les arment. Une guerre par procuration, mais qui sert aussi de révélateur à l’existence d’un bloc anti-occidental prêt à prendre les devants en passant à l’attaque, et donc en sollicitant des ripostes.

 

Anne Dolhein