Qui n’a jamais pesté contre l’électronique de sa voiture… ? Des histoires de clés, des freinages d’urgence inattendus, des sonneries intempestives… Un cocktail souvent explosif où les plombs qui sautent ne sont plus ceux du véhicule censé, tout de même, se soumettre aux bons désirs de son maître et conducteur, sans morigéner ! Parce que, oui, nos voitures modernes morigènent. Elles nous font des sales coups. Elles nous font même la morale, et de mieux en mieux, pour des questions de sécurité, d’économie et d’écologie… plein de bons arguments citoyens dont on doute parfois de la totale sincérité.
Alors, certes, soyons honnêtes et parlons vrai : plus grand monde n’a envie de conduire, pour ses trajets quotidiens, une Citroën 2CV qui ne démarre pas par temps froid, n’a pas de clim, plafonne à 80 dans sa première version des années 1960 et ne vous protégera guère en cas d’accident. On ne peut renier toutes les avancées de la technologie automobile qui ont apporté confort et sécurité – et certains gadgets, même, sont loin d’être désagréables.
Mais il semble que l’on aille clairement dans le sens d’un excès et d’une contrainte (auxquels de grandes entités comme l’Union Européenne ne sont pas étrangères) qui dessaisissent le conducteur du contrôle plénier de son véhicule. Jusqu’où la technologie va-t-elle remplacer le bon sens, et pour quelle raison, surtout ?
L’électronique dans une voiture : 100 à 200 calculateurs
Et ce n’est pas nous qui nous le demandons… mais les lecteurs du Telegraph ! Ces derniers se sont empressés de réagir à un article publié début septembre par une de ses journalistes, intitulé « Tout ce que je déteste dans les voitures modernes ». Rien qu’à la lecture du titre, déjà, on a tous l’impression de l’avoir écrit…
C’est pourtant simple : dans une voiture moderne, toute action précise n’aura pas forcément de résultat déterminé et déterminable par avance. Vous êtes régulièrement pris au dépourvu. C’est la voiture qui vous attend au tournant. Et de multiples façons, car son architecture électronique est peuplée de plus de 100 à 200 calculateurs, de l’injection électronique de carburant à l’assistance avancée à la conduite, en passant par l’infodivertissement.
Chacun a donc des aventures formidables à raconter, comme celles qu’on peut avoir avec les clés… enfin ce qu’on appelle encore clé, mais qu’on enfonce nulle part, qu’on balance dans l’habitacle et qu’on met trois plombes à retrouver avant de sortir. Parce qu’il faut absolument les retirer ! Sous peine que la voiture ne se ferme par sécurité si vous vous éloignez, et ne vous laisse inéluctablement à pied…
A moins que votre voiture ne bénéficie d’un autre système et ne se ferme pas si vous avez oublié votre trousseau à l’intérieur ; ce qui pose d’autres problèmes quand votre conjoint a laissé son trousseau dans la boîte à gants sans que vous soyez au courant ! Du pain bénit pour un voleur qui démarrera sans même devoir le chercher…
De quoi devenir chèvre.
Et que dire des « bip bip », ces alarmes qui s’allument à tous les moments, quand votre chien est resté dans le véhicule parce que vous êtes allé acheter votre journal (il vous en veut doublement) ou quand votre gros sac de courses trône innocemment à côté du siège du conducteur (et qu’agacé, vous devez le chavirer par terre)… Et ce capteur de recul qui confond des orties avec un mur de pierre et fait hurler votre femme !
Quant à la synchronisation avec votre Iphone promise par le module CarPlay qui permet d’y accéder en direct, n’y comptez pas non plus tous les jours. Ces petits engins capricieux préfèrent souvent le téléphone de votre voisin, voire les écouteurs restés à la maison. La journaliste du Telegraph raconte comment un jour, en voyage, elle a été contrainte d’écouter la radio française parce que son téléphone ne voulait pas se connecter… « Quelle horreur ! », a-t-elle commenté.
Une voiture « mère poule » qui peut se révéler dangereuse pour le conducteur
Et puis on nous parle sécurité à tout crin. Mais il y a de sérieuses contradictions dans tout cela, à commencer par cet immense écran qui a envahi le tableau de bord. On nous promet l’enfer si on touche seulement son portable, mais on nous enjoint de tapoter tous azimuts sur cette interface blindée de sous-menus, où trouver la commande du chauffage revient à chercher une aiguille dans une botte de foin (car évidemment la commande vocale ne marche jamais). Et pendant ce temps, évidemment, on ne regarde pas la route.
Mais le pire réside sûrement dans le freinage d’urgence, quand le véhicule détecte une situation de danger et veut vous « aider ». Sauf qu’il confond souvent et voit parfois des obstacles là où il n’y en a pas comme cette grille à bétail de Hill Road dans le Somerset qui a été à l’origine plusieurs accidents, les voitures s’écrasant dans le fossé.
Même chose pour le système d’aide au maintien dans la voie qui utilise une caméra installée à l’avant pour détecter si vous franchissez accidentellement un marquage au sol : le volant se crispe, comme si une personne invisible vous l’arrachait !
Pour un des lecteurs du Telegraph, c’est évident : « Ma voiture pense clairement que je suis un idiot et a pour mission de me priver d’autonomie. » Sans compter que maintenant, vous n’avez plus votre roue de secours traditionnelle, considérée comme trop encombrante : seules 3 % des voitures neuves en sont désormais équipées.
Un contrôle accru pour qui exactement ?
Cette surprotection, qui se révèle à double tranchant, glisse aussi vers un contrôle accru. Anne Dolhein en parlait il y a quelques mois, en vertu d’un règlement européen de 2019, toutes les voitures vendues neuves, depuis cet été, doivent par exemple être équipées d’un système « d’adaptation intelligente de la vitesse » (AIV) : ce système détecte les panneaux de signalisation, compare la vitesse maximale autorisée avec la vitesse réelle du véhicule et avertit grâce à une alerte visuelle, sonore, et un durcissement ou une vibration de la pédale d’accélérateur. Le véhicule peut aussi automatiquement réduire sa puissance.
L’option étant déjà proposée depuis plusieurs années dans les voitures neuves, un lecteur du Telegraph raconte sa propre expérience : « J’étais sur une autoroute à deux voies et mon Audi a vu un panneau de limitation de vitesse à 30 km/h sur une route parallèle, j’ai freiné brusquement et la voiture derrière moi a failli me percuter. J’ai eu plus de collisions évitées de justesse avec cette voiture en 18 mois qu’en 30 ans de conduite. »
Question d’habitude, nous dira-t-on ! Sans doute… Et puis on peut toujours (encore) désactiver manuellement toutes ces options ! Demeure néanmoins l’impression que le conducteur est comme infantilisé et qu’il fera de moins en moins appel à sa vigilance ou à sa liberté pour prévenir un obstacle ou se plier au respect d’une règle : c’est tout l’envers de la médaille des objets connectés et donc contrôlables.
On ne parlera pas bien sûr contre les chiffres, car les voitures ont fait des progrès constants en termes de fiabilité (18.034 morts en 1972 contre 3.248 en 2018, alors que le nombre de kilomètres parcourus a été multiplié par 2). Mais, blindées d’électronique, elles deviennent un vrai casse-tête à la fois pour les réparateurs et pour les utilisateurs. Et le mieux est souvent l’ennemi du bien : des options, on passe aux obligations, tout en imposant des véhicules de plus en plus onéreux.
Sans compter que la soumission au Net zéro écologiste est un merveilleux moyen d’imposer des normes toujours plus pesantes : sauver l’automobiliste, c’est bien, sauver la planète, c’est encore mieux.