Elvis Presley enrôlé par la révolution du virtuel

Elvis Presley Révolution Virtuel
 

A l’automne 2023, les fans des Beatles ont eu droit à un nouvel album de leur groupe préféré, entièrement inventé à partir de fonds de tiroir. A la fin de 2023, l’entreprise britannique Layered Reality va « ressusciter » Elvis Presley sur scène à Londres en novembre 2024, dans un spectacle intitulé Elvis Evolution qui ambitionne de retracer la carrière et la vie du rocker et sera ensuite emmené en tournée à Las Vegas, Tokyo et Berlin. Voilà par deux fois la chansonnette populaire mise au service d’une révolution mentale qui substitue le virtuel à la réalité physique d’une part, et qui révèle chez la clientèle qui en est la cible un changement de perception du temps.

 

Une réalité « augmentée » par le virtuel ?

Layered Reality peut se traduire par « La réalité à travers des couches successives », et l’entreprise a donné un spectacle imaginé par Jeff Waynes à partir de La Guerre des Mondes, qui, selon l’avis enthousiaste de Tripadvisor « combine la version musicale de Jeff, le théâtre immersif, la réalité virtuelle, la réalité augmentée, les hologrammes et d’autres technologies de pointe, donnant au public la chance de vivre l’invasion martienne de 1898 ». Dans cet esprit, la réalité d’Elvis Presley sera « augmentée » grâce à l’aide de l’Intelligence artificielle et à des projections d’hologramme, laissant très loin derrière l’utilisation du virtuel par Jean-Luc Mélenchon dans sa campagne électorale pour la présidentielle de 2022.

 

Une révolution technique mais surtout mentale

Cette débauche de moyens pour un événement qui est une petite révolution technique s’appuie sur une actualité : une grosse biographie d’Elvis Presley est parue en 2022 et un film de Sofia Coppola met en scène le couple qu’il formait avec sa femme, ce qui aurait produit une nouvelle génération de fans. Selon patron de Layered Reality, Andrew McGuinness, son spectacle sera « une contribution de la prochaine génération à la légende musicale qu’est Elvis Presley. (…) Elvis a maintenu son statut mondial de superstar et les gens autour du monde n’entendent pas rester plus longtemps assis à l’écouter passivement – ils veulent faire partie de l’événement ».

 

Elvis Presley au commencement, et maintenant, et toujours ?

On ne saurait être plus explicite ni plus naïf. Il ne s’agit pas ici seulement de tirer profit d’un travers du public entretenu avec soin, mais d’aggraver celui-ci, de l’ériger en manie dominante, de la tenir pour légitime, de falsifier profondément sa notion de la réalité et du temps. De lui faire perdre la notion du passé et de l’avenir pour le noyer dans une sorte de présent éternel pimenté de commémorations, de messes mémorielles, justifiées par une archéomanie obsessionnelle – ce que l’historien Jean-Pierre Hartog a nommé présentisme. Paradoxalement, c’est le fruit d’une révolution utopique et progressiste qui se finit en no future. Rien ne dit qu’à terme, les fans d’Elvis Presley, qui ne le connaîtront plus que par son avatar virtuel, ne se persuaderont pas de l’avoir vu en scène et de vivre dans le même monde que lui. Ainsi avance la révolution, sur les ailes rapides du ridicule, de la sottise et de la frivolité.

 

Pauline Mille