Des embryons créés in vitro sans sperme ni ovule : avancée éthique ou transgression radicale ?

embryons sans sperme ovule
 

Des chercheurs de l’Institut Weizmann en Israël ont réussi à créer des embryons humains sans sperme ni ovule et ont constaté qu’ils se développent jusqu’à l’équivalent du 14e jour pour un embryon conçu de manière classique. L’importante équipe dirigée le Pr Jacob Hanna et comprenant notamment les chercheurs Bernardo Oldak, Emilie Wildschutz et Vladyslav Bondarenko, affirme dans un article publié le 6 septembre dernier par Nature avoir trouvé ainsi un moyen d’étudier les premiers stades de développement de l’embryon dans la période qui correspond à la période suivant l’implantation dans l’utérus, qui était jusqu’ici inaccessible à la recherche « en raison de défis éthiques et techniques ». Mais s’agit-il vraiment d’une avancée éthique, ces embryons ne pouvant être considérées comme effectivement humains, ou ont-ils ouvert une nouvelle boîte de Pandore en permettant d’envisager une nouvelle transgression, la création d’embryons à part entière sans la moindre intervention de cellules reproductrices ?

L’objectif affiché, comme toujours, est bon sur le papier : étudier les raisons des échecs précoces de la grossesse, et avoir une meilleure connaissance du développement embryonnaire, avec à la clef d’éventuelles pistes pour éviter des anomalies congénitales, traiter l’infertilité ou permettre la culture de tissus et d’organes de remplacement. Mais à quel prix humain ?

 

Des embryons ou des modèles d’embryons : on attend des précisions

Certes, ce qu’ont obtenu ces scientifiques a été qualifié par eux de « modèles » comprenant une morphogenèse organisée dans l’espace de tous les tissus embryonnaires et extra-embryonnaires du conceptus humain après l’implantation : ils affirment avoir obtenu un tel modèle « récapitulant la quasi-totalité des lignées et des compartiments d’embryons post-implantatoires humains, y compris l’épiblaste, l’hypoblaste, le mésoderme extra-embryonnaire, et le trophoblaste », le tissu externe qui entoure l’œuf fécondé et lui permet de s’attacher à la paroi utérine.

Cela veut-il dire que l’embryon est complet, et que ce modèle à une identité individuelle et, en puissance, la capacité de se développer complètement en tant que tel ? Cela n’est pas clair d’après l’abstract de l’étude ; s’il est question de « quasi-totalité », cela ne permet pas de savoir s’il manque quelque chose d’essentiel ou non à une possible « humanité » de cet être qualifié par l’étude, dans son premier stade, « amas de cellules ».

La technique employée par l’équipe israélienne a consisté à utiliser des cellules humaines adultes et que l’on avait fait revenir au stade de cellules pluripotentes – capables de se développer pour donner un grand nombre de types cellulaires, ou bien des cellules obtenues à partir de lignées de cellules souches cultivées depuis des années en laboratoire. Il peut s’agir dans ce dernier cas de lignées de cellules souches embryonnaires typiquement obtenues à la suite d’avortements. Au moyen d’une technique développée par le Pr Hanna, les chercheurs ont ajouté une phase de reprogrammation pour faire remonter les cellules au stade de cellules totipotentes, dit l’« état naïf », où ils peuvent évoluer vers n’importe quel état.

 

Des embryons sans sperme ni ovule qui débutent au jour 8 de la gestation naturelle

C’est l’état des cellules que donne l’œuf naturel fécondé au jour 7 après la fécondation, jour qui correspond au moment approximatif de l’implantation. Il est aujourd’hui communément affirmé que la grossesse ne commence qu’après l’implantation – en tout cas pour nier l’effet abortif des pilules contraceptives et des pilules dites du lendemain qui empêchent cette nidation de l’embryon. C’est faire fi d’une réalité : avant la nidation, l’œuf fécondé est déjà porteur du « message de la vie », la combinaison de l’ADN paternel et de l’ADN maternel qui s’assemblent pour donner l’ADN unique de l’être individuel qui se forme dès l’instant de la fécondation.

Voilà qui permet d’ores et déjà d’avoir au moins des interrogations quant au caractère éthique de la création de modèles embryonnaires par cette équipe dirigée par Hanna.

Celle-ci a fabriqué un grand nombre de ces cellules « naïves » qui ont été mélangées ensemble dans un environnement spécial. L’équipe a observé qu’elles se rassemblaient en amas, dont 1 % se sont « auto-organisés » en structures complètes ressemblant à des embryons.

Ces « structures ressemblant à des embryons, obtenues à partir de cellules souches », dits « SEM » se sont ensuite développées pendant 8 jours pour atteindre un stade équivalent à celui obtenu au terme de 14 jours de développement embryonnaire, date à laquelle l’embryon acquiert des structures internes leur permettant de développer les premiers stades des organes corporels.

 

Les embryons obtenus sans sperme ni ovule se comportent comme les vrais

Le Pr Hanna assure que les premières études de ces « modèles » ont déjà permis de constater que si le développement des cellules placentaires ne se fait pas correctement au jour 3 (correspondant à 10 jours pour l’embryon obtenu naturellement), les structures internes ne se développeront pas par la suite.

« Un embryon n’est pas statique. Il doit avoir les bonnes cellules dans la bonne organisation, et il doit être capable de progresser : il s’agit d’être et de devenir », note ainsi Hanna.

Saint Thomas d’Aquin aurait parlé d’acte et de puissance. Et lui qui n’avait pas les connaissances de la génétique moderne, se serait sans doute émerveillé devant la complexité de la toute première cellule d’un être humain, l’œuf fécondé, au sujet duquel Jérôme Lejeune affirmait : « Au commencement il y a un message, ce message est dans la vie, ce message est la vie. »

Le Dr James Briscoe, dirigeant principal de groupe et assistant directeur de recherche du Francis Crick Institute de recherche biomédicale, rend compte de l’ambiguïté de cette nouvelle technique en la commentant de manière très prudente :

« Ce qui est important dans cette recherche, c’est qu’elle ouvre une fenêtre sur la période du développement humain où de nombreuses grossesses échouent et qui a été très difficile à étudier jusqu’à présent.

« Techniquement, les chercheurs ont créé un modèle d’embryon humain précoce – un groupe de cellules qui se comporte comme un embryon mais qui ne peut pas se développer en tant que tel – à partir de cellules souches. Ce qui est intéressant, c’est que cet embryon dérivé de cellules souches intégrées semble produire tous les différents types de cellules qui forment les tissus à ce stade précoce du développement, sans qu’il soit nécessaire de procéder à des modifications génétiques, comme c’était le cas lors des tentatives précédentes. Le processus est encore très inefficace, mais il s’agit d’une étape importante.

« La production de modèles d’embryons de cette manière soulève bien sûr de profondes questions éthiques et juridiques, car il n’est pas certain que le cadre juridique actuel, qui régit l’utilisation des embryons issus de la fécondation in vitro (FIV), s’applique aux modèles d’embryons produits au moyen de cette nouvelle méthode. D’une part, les modèles d’embryons humains fabriqués à partir de cellules souches pourraient offrir une alternative éthique et plus facilement accessible à l’utilisation d’embryons humains issus de la FIV. D’autre part, plus les modèles d’embryons humains dérivés de cellules souches sont proches des embryons humains, plus il est important de disposer de réglementations et de lignes directrices claires quant à leur utilisation. »

Pourquoi le Pr Briscoe parle-t-il d’« un groupe de cellules qui se comporte comme un embryon mais qui ne peut pas se développer en tant que tel » ? Parce que cela est impossible en raison de la structure propre de ces groupes de cellules ? Ou parce que la technique ne permet pas encore d’obtenir une structure capable de se développer ? Ou parce que ces « modèles d’embryons » ne sont pas implantés ?

Il souligne en tout cas que ces « modèles d’embryons » peuvent être très proches des embryons humains. Autrement dit, on joue déjà avec la vie, fût-ce en prenant le simple risque de créer des individus sans l’intervention d’un père et d’une mère, en « cultivant » des cellules souches. Toutes porteuses d’un même ADN ? (On voit mal comment il pourrait en être autrement, car on imagine mal un modèle d’embryon composé d’une sorte de soupe d’ADN…)

On arriverait là à des niveaux de transgression inédits, qui pourraient aboutir demain à dissocier totalement la procréation de sa dimension humaine. Le rêve des transhumanistes, assurément.

 

Jeanne Smits