Le président turc Recep Tayyip Erdogan a fait des déclarations tonitruantes sur la guerre entre Israël et le Hamas, accusant l’« Etat terroriste » hébreu de « génocide » à Gaza. Mais médias turcs et arabes de gauche parlent de double langage, notant que « 260 cargos ont levé l’ancre à partir de ports turcs et pris la mer en direction d’Israël depuis le début de la guerre », et que « les exportations de la Turquie vers Israël ont augmenté au cours des 26 dernières années à un taux annuel de 12,6 %, passant de 288 millions de dollars en 1995 à 6,31 milliards de dollars en 2021 ». L’autocrate turc n’a en effet qu’un but, bâtir un empire, il ménage pour cela toutes les puissances, terrorisme compris, n’ayant qu’un ennemi déclaré : l’islamophobie.
Erdogan : l’empire d’un équilibriste
La Turquie d’Erdogan est membre de l’OTAN, elle en a suffisamment joué, tant pour négocier son acceptation de l’entrée de la Finlande et sans doute de la Suède dans l’alliance, que pour soutirer quelques milliards à l’Union européenne en échange du maintien des réfugiés syriens sur son sol. Et à propos de Syrie, elle a joué sur deux tableaux, en s’associant avec Poutine d’une part, mais en profitant des difficultés de Bachar el Assad pour grignoter du terrain et affaiblir les Kurdes. Avec cela, Erdogan a obtenu les mains libres, de part et d’autre, pour son cousin touranien d’Azerbaïdjan contre l’Arménie. En Palestine de même, il mène double jeu, peu soucieux d’affronter Israël et son allié américain, qui est aussi le sien, sans pour autant cesser d’apporter son soutien à la « cause » palestinienne, mais bien content au fond que les créatures de l’Iran, son voisin et concurrent, soient abaissées.
L’islamophobie, c’est plus mal que le terrorisme
Pour bien comprendre son dessein à terme, peut-être faut-il jeter un coup d’œil à une déclaration moins pétaradante que celle à propos de Gaza, son discours à l’ONU en septembre. Il y a désigné à la communauté la « plus grande maladie de l’humanité » à combattre, id est « l’islamophobie ». Le monde entier souffre à son avis d’islamophobie et cela se traduit selon lui par un déséquilibre des institutions internationales, et notamment de l’ONU, toujours dominée par les cinq membres permanents du Conseil de sécurité, un anachronisme datant de la seconde guerre mondiale auquel il entend mettre fin. Il a eu cette phrase toute claire : « Le monde est plus grand que Cinq », et il a demandé, pour lutter contre l’islamophobie, un siège permanent au Conseil de Sécurité pour un pays musulman – la Turquie pourquoi pas !
Turc, turc, turc, et encore turc !
Car derrière ces mots et au bout d’une stratégie d’apparence sinueuse, l’objectif d’Erdogan est très simple : c’est d’établir un empire, non pas multiethnique et religieux comme l’empire ottoman, mais turc et musulman. Il salue, génuflexion obligatoire, la cause palestinienne, mais ce qui l’intéresse c’est la ceinture altaïque, la Turquie, et ses conquêtes : il s’est indigné que la communauté internationale n’ait toujours pas reconnu l’annexion de la moitié de Chypre par l’armée turque voilà bientôt cinquante ans. Pour Erdogan, un mauvais terroriste est celui qui gêne la marche de son empire. Et l’islamophobie est toujours mauvaise dans la mesure où elle entrave sa puissance.