L’Etat fait la révolution du droit contre la propriété

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Tout le monde a encore en tête la décision du Conseil constitutionnel du 26 juillet 2023, prise à la requête de plusieurs élus de gauche et d’extrême gauche, de déclarer constitutionnelle la loi sur les squats définitivement adoptée par le Sénat le 14 juin, tout en en censurant l’article 7 : les propriétaires devront continuer à entretenir leur bien même squatté. Ainsi en a décidé la plus haute autorité de l’Etat en matière de droit constitutionnel, et ce n’est pas une décision isolée. On constate en effet depuis plusieurs décennies une action planifiée des plus hautes juridictions, encouragée au sommet de l’Etat, pour rogner le droit de la propriété privée, qui s’assimile à une véritable Révolution.

 

Le Conseil constitutionnel et le droit de propriété

Précisons d’abord la décision du Conseil constitutionnel. Pour mettre fin à un laxisme trop criant qui exaspère la grande majorité des Français attachés au droit de propriété et au bon sens, la loi sur le squat a voulu s’attaquer aux excès les plus insupportables des squatteurs. La loi actuelle faisant obligation au propriétaire d’entretenir le logement qu’il possède même quand il est squatté, l’article 7 disposait : « L’occupation sans droit ni titre d’un bien immobilier libère son propriétaire de l’obligation d’entretien du bien de sorte que sa responsabilité ne saurait être engagée en cas de dommage résultant d’un défaut d’entretien du bien pendant cette période d’occupation. En cas de dommage causé à un tiers, la responsabilité incombe dès lors à l’occupant sans droit ni titre du bien immobilier. »

 

Une décision qui sème la révolution dans Paris

Plusieurs hommes politiques, des Républicains à Zemmour, en ont tiré la conclusion que le squatteur pourrait se retourner contre le propriétaire qu’il lèse en cas de défaut d’entretien. Le Conseil constitutionnel a tenu à préciser que telle n’était pas la « portée » de sa décision et a précisé celle-ci. Le passage sur l’article 7 compte une dizaine de paragraphes sur les 92 que comptent sa décision. Seuls deux (le 74 et le 75) d’entre eux sont significatifs : ils concernent les tiers qui pourraient subir un préjudice parce que le bien est mal entretenu, par exemple être blessé par une tuile du toit. Or, avec l’article 7, ils ne pourraient « exercer une action aux fins d’obtenir réparation de leur préjudice qu’à l’encontre du seul occupant sans droit ni titre, dont l’identité n’est pas nécessairement établie et qui ne présente pas les mêmes garanties que le propriétaire, notamment en matière d’assurance ».

 

Quand l’Etat protège le squatteur

Et d’affirmer dans la foulée : « Il résulte de ce qui précède que les dispositions contestées portent une atteinte disproportionnée au droit des victimes d’obtenir réparation du préjudice résultant du défaut d’entretien d’un bâtiment en ruine. » La tranquillité du « il résulte » montre bien la superbe de magistrats grassement payés pour dire au Système ce qu’il a envie d’entendre. Ce « résultat » n’a rien d’automatique ni même de clair. Toutefois, le Conseil a eu raison, dans son communiqué du 29 juillet de nier que « désormais, tout occupant illicite d’un logement pourrait obtenir réparation du propriétaire si le bien occupé est mal entretenu », et de rappeler que « la censure de l’article 7 de la loi déférée, a pour seul effet de maintenir l’état du droit en ce domaine ». Telle est bien la réalité, et ce faisant, elle vise à limiter le droit de propriété au bénéfice du squatteur, en faisant intervenir un tiers passant, dont on prétend défendre l’intérêt en exonérant le délinquant de tous ses devoirs.

 

Le Conseil d’Etat, agent principal de la Révolution

Le Conseil constitutionnel participe ainsi à sa manière à une révolution du droit qui affecte d’autres juridictions prestigieuses, si l’on en croit cette grosse étude (455 pages) lancée par le Conseil d’État en 2009 à l’initiative du vice-président de l’époque, Jean-Marc Sauvé, celui-là même du prétendu rapport sur les agressions sexuelles dans l’Eglise de France. De cette mine d’informations, extrayons la contribution de Mme Laurence Gay, enseignante à la faculté d’Aix-Marseille et chargée de recherche au CNRS, intitulé « Droit au logement » et droit de propriété : un conflit à reconsidérer. L’opinion défendue par Mme Gay est que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possible et que la révolution en cours qui paraît léser le droit de propriété l’entoure en fait de tant de garanties qu’elle ne le met pas en danger, ce qui est naturel puisque le but de l’étude est la promotion de cette révolution, puisque le Conseil d’Etat recommandait explicitement d’aménager le « droit du logement » en fonction du « droit au logement ». Elle n’en note pas moins quelques faits troublants.

 

La nouvelle pauvreté de Mitterrand à l’origine du droit au logement

Mme Gay commence par rappeler que la « revendication d’un droit au logement » est récente : « Elle coïncide avec l’émergence de phénomènes dits « de nouvelle pauvreté et d’exclusion sociale » et ne trouve traduction dans le droit positif qu’à partir des années 1980. Ainsi, le Pacte des Nations unies sur les droits économiques, sociaux et culturels, datant de 1966, n’aborde la question du logement que de façon incidente, comme composante du « droit à un niveau de vie suffisant ». C’est historiquement exact : en France, on n’a commencé à opposer le « droit au logement » au droit de propriété qu’avec François Mitterrand, son échec économique et ses intellectuels de gauche triomphants. Et il est tout aussi vrai que l’obligation morale faite aux dirigeants de promulguer des « droits à », vient, antérieurement à cette période, de l’ONU, même si la formulation en était encore vague et générale.

 

Les juridictions internationales promeuvent la révolution du droit

Mme Gay rappelle que l’idée a cheminé grâce aux juridictions internationales, notamment par l’arrêt James rendu en 1986 par la Cour européenne des droits de l’homme (CDEH) qui admettait une restriction du droit de propriété au profit d’un pauvre au motif allégué que « les sociétés modernes considèrent le logement comme un besoin primordial dont on ne saurait entièrement abandonner la satisfaction aux forces du marché ». Et, si l’indemnisation du propriétaire devait être envisagée, la cour soutenait que les objectifs légitimes d’utilité publique telle que la justice sociale « peuvent militer pour un remboursement inférieur à la pleine valeur marchande ». Même tendance dans l’arrêt Mellacher de 1989 pour les locations cette fois. Les requérants se plaignaient de diminutions considérables de loyers obtenues par leurs locataires en vertu d’une loi de 1981 encadrant les loyers et permettant la révision à la baisse de ceux perçus en vertu de contrats déjà conclus. La Cour approuva cette restriction du droit de propriété pour « faciliter aux personnes de condition modeste l’accès à des logements de prix raisonnable ». La révolution mondialiste, d’abord embryonnaire se développait à petit pas juridiques.

 

La kermesse des bobos de gauche et les « droits à »

Les choses vont se corser avec les années 90, celles du très difficile second septennat de François Mitterrand. En 1990, à l’occasion d’une expulsion de squatteurs du 20ème arrondissement, à l’initiative du communiste Malberg, du trotskiste Cambadélis, de Verts, d’artistes, d’avocats divers, bref d’une petite tranche d’intelligentzia bobo avant la lettre, encouragés par Guy Bedos, le professeur Schwartzenberg, l’évêque Gaillot, l’abbé Pierre, Josiane Balasko et la Ligue des droits de l’homme, ont fondé le DAL, l’Association Droit au logement. Son objectif était « l’arrêt des expulsions sans relogement et le relogement décent et adapté de toute famille et personne mal-logée », notamment par « l’application de la loi de réquisition sur les immeubles et logements vacants ». A cette fin eurent lieu des actes spectaculaires comme l’occupation de la rue du dragon, ou, en 1997, la prise du château de Versailles. Ceci eut pour effet de fonder en 2007 le Droit au logement opposable (Dalo) par Dominique de Villepin sous la présidence de Jacques Chirac en 2007.

 

Le Conseil constitutionnel toujours contre la propriété

Que veut dire opposable ? Qu’en principe tout citoyen dispose des voies de recours pour obtenir sa mise en œuvre effective. Près de dix ans auparavant, dans une décision de 1998 relative à la loi lutte contre les exclusions, le Conseil constitutionnel avait affirmé que la mise en œuvre de « l’objectif sur le logement décent » peut se traduire par des limitations au droit de propriété. Cet objectif avait été consacré par une autre décision du Conseil constitutionnel, en 1995 qui « déduit du principe de dignité humaine et des alinéas 10 et 11 du Préambule de 1946 la possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent. Cette nouvelle norme était qualifiée d’objectif de valeur constitutionnelle ». Voilà un passage caractéristique à la fois de l’abus de pouvoir et de l’esprit confus des prétendus sages : 1. Gardiens de la constitution, ils s’appuient abusivement sur un « principe » abstrait et un préambule philosophique au lieu de statuer selon les articles de la constitution. 2. Tenir pour souhaitable que chacun dispose d’un logement décent et naturel, mais ne conduit pas à en faire un « objectif constitutionnel ».

 

La révolution dans le détail de la pratique du droit

Quoi qu’il en soit, de nombreux juristes ont immédiatement noté « l’antinomie irréductible » opposant le droit au logement au droit de propriété, et Mme Gay elle-même reconnait que « l’indétermination même de la notion de droit au logement, telle que communément employée, favorise des atteintes multiples au droit de propriété ». Elle en rappelle « deux mesures particulièrement controversées : l’institution d’une taxe sur les logements vacants et la création d’une procédure de réquisition sur les biens de personnes morales vacants depuis plus de dix-huit mois ». Bien d’autres seront progressivement mises en œuvre, interdisant par exemple aux propriétaires de s’installer dans une maison qu’ils louent « faute d’avoir démontré un besoin réel et effectif d’y habiter », afin de « protéger la partie faible des contrats », ou le droit à la continuation du bail par le locataire au-delà de son terme et le droit au transfert du bail au profit de certains de ses proches. On pourrait accumuler les exemples, qui tous établissent une volonté commune des législateurs et des juges, en France et dans les institutions internationales, qui poussent à limiter le droit de propriété au nom de la justice sociale, amenant de ce fait une vraie révolution du droit.

 

Pauline Mille