L’état d’urgence à la Manuel Valls ? « Jusqu’à ce que nous nous débarrassions de Daech ! » – l’Europe s’inquiète

Europe état urgence Valls
L’état d’urgence soutenu par le Premier ministre, une arme potentiellement redoutable.

 
Le secrétaire général du Conseil de l’Europe a fait part lundi, à François Hollande, de sa préoccupation quant aux rumeurs d’une vraisemblable prolongation de l’état d’urgence en France. Il s’inquiète pour « les libertés fondamentales ». François Hollande et Manuel Valls semblent davantage s’inquiéter de l’inscription rapide dans la Constitution de cette urgence qui semble devoir devenir permanente
 

Inquiétudes de l’Europe sur les libertés fondamentales

 
Après les attentats de Paris, la France avait informé dans les règles le Conseil de l’Europe qu’elle allait déroger à la Convention européenne des droits de l’homme avec l’instauration pour trois mois de l’état d’urgence… votée à l’unanimité par l’Assemblée.
 
Mais début janvier, le commissaire aux droits de l’Homme s’était déjà inquiété des dérives de l’état d’urgence en France et du « risque pour la démocratie » qu’il faisait courir au pays.
 
Hier, c’était le secrétaire général du Conseil de l’Europe, Thorbjørn Jagland, qui faisait part au président français de ses angoisses toute politiques… à la suite de certaines rumeurs fondées selon lesquelles le gouvernement français souhaiterait entériner une nouvelle prolongation. Il s’enquiert du projet en cours de réforme constitutionnelle et pénale, en particulier sur le sujet des perquisitions administratives ou des assignations à résidence, de l’usage des armes à feu par les forces de l’ordre et de la déchéance de nationalité…
 

Valls et son état d’urgence permanent

 
Hollande l’avait laissé entendre la semaine dernière, la prolongation est « tout à fait probable ». Elle fera même l’objet, l’Elysée l’a annoncé vendredi, d’un examen par le Conseil des ministres du 3 février prochain : l’état d’urgence qui prend théoriquement fin le 26 février, devrait être relancé pour trois mois, au moins donc jusqu’à fin mai. Si quelques voix devraient, cette fois, s’y opposer, l’approbation devrait néanmoins l’emporter.
 
« Face à une menace durable et globale », il fallait bien faire quelque chose ! Interrogé par la BBC vendredi à Davos, notre Premier ministre Manuel Valls a même déclaré que l’état d’urgence serait maintenu « le temps nécessaire », en réalité « jusqu’à ce que nous nous débarrassions de Daech »…
 
« Ça pourrait durer une génération ! » lui rétorque le journaliste.
« Oui, je le pense », répond Valls ! On ne pourra pas dire que nous n’avons pas été prévenus.
 

Un « risque considérable pour l’Etat de droit ».

 
D’autres organisations commencent à se dresser, comme l’ONU ou la Ligue des droits de l’Homme qui a saisi le Conseil d’État en réclamant la suspension de l’état d’urgence, « une atteinte grave et manifeste aux libertés publiques » – sa requête a dû être examinée ce mardi même. Et de nombreuses manifestations sont prévues en France pour samedi prochain.
 
En ligne de mire les lois d’application de la révision constitutionnelle sur l’état d’urgence et la déchéance de nationalité, mais aussi plus globalement tout le projet de loi sur la réforme de la procédure pénale, qui doivent, eux, être examinés dès demain, en Conseil des ministres. L’Elysée veut « un rassemblement le plus large possible ». Mais les magistrats s’inquiètent de cette intrusion de mesures propres à l’état d’urgence dans la sphère du droit pénal, déplorant « une logique de contamination » d’un état exceptionnel « sur le droit commun » et un « risque considérable pour l’Etat de droit ».
 
Politiquement, l’enchantement ne règne pas non plus. Si la droite suit globalement (carte indispensable de Hollande) certains refusent d’ores et déjà de voter cette réforme constitutionnelle comme Nathalie Kosciukso-Morizet qui dénonce avec d’autres un projet « inutile et dangereux » et une « manipulation politique ».
 

Un contexte « durable » de « guerre contre le terrorisme »

 
Mais le gouvernement bénéficie d’un contexte porteur… Son porte-parole, Stéphane Le Foll, évoque « une menace terroriste toujours à un niveau exceptionnellement élevé ». Et le tout dernier rapport d’Europol annonce « de nouvelles attaques en Europe », touchant en priorité les « cibles molles » (civiles). Les dernières vidéos de l’Etat Islamique ne le contredisent en rien.
 
Facile, dès lors pour le gouvernement de justifier sa prise de position. Manuel Valls l’a dit vendredi : « Tant que la menace existe, nous devons employer tous les moyens dont nous disposons dans notre démocratie, dans le cadre de l’Etat de droit, pour protéger les Français ».
 
C’est une « évidence », « une nécessité ». D’ailleurs, les Français en sont bien persuadés : selon un récent sondage YouGov pour le Huffington Post et i-Télé, 69 % d’entre eux sont favorables à la prolongation de l’état d’urgence. Question de sécurité…
 

L’addition salée de lois d’exception pour une seule personne mise en examen

 
Et pourtant, les piètres résultats sont là. Le président de la commission des lois de l’Assemblée nationale, Jean-Jacques Urvoas, a souligné que « les principales cibles et les objectifs ont [déjà] été traités » et que « l’effet de surprise s’est largement estompé ».
 
Du chiffre, oui. Au 21 janvier, 3.189 perquisitions administratives, 392 assignations à résidence, 549 ouvertures de procédures. Mais la majorité concerne des délits de droits communs, trafics de drogue ou d’armes… Cinq procédures seulement pour associations de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste et une seule personne mise en examen !
 
Alors pourquoi prolonger, pourquoi constitutionnaliser cet état d’urgence à l’efficacité redoutable ?! Parce que ses domaines d’application sont multiples et variés… une arme précieuse pour les décennies houleuses à venir.
 

Clémentine Jallais