“L’Evêque de Rome” : un document de travail œcuménique veut diluer le primat du pape

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C’est une opération « tir d’essai », mais elle en dit long sur la pensée qui anime actuellement les instances vaticanes chargées de promouvoir l’unité des chrétiens, dans le sillage d’Ut unum sint de Jean-Paul II. Ce qui devait arriver arriva : au terme de longs échanges écrits avec d’autres Eglises chrétiennes (mais pas les Eglises orthodoxes qui ne se sont pas pleinement prêtées à l’exercice), l’Eglise catholique semble prête à accepter une « nouvelle compréhension et un exercice différent de l’office pontifical ». C’est ainsi que en tout cas que le site katholisch.de, portail internet de l’Eglise catholique en Allemagne comprend le nouveau document L’Evêque de Rome, publié la semaine dernière par le Dicastère pour la Promotion de l’unité des chrétiens sous la conduite du cardinal Kurt Koch. L’essentiel du document pourrait se résumer dans la proposition de réviser de la notion de primauté du pape, que l’on suggère d’articuler désormais avec la « synodalité », ce qui ne se fera pas sans réinterpréter ou carrément réviser le concile Vatican I définissant l’infaillibilité pontificale.

Disons-le d’emblée, avec le penseur et compositeur traditionaliste américain Peter Kwasniewski : L’Evêque de Rome est un gros document de travail comme on peut le lire dans son sous-titre : « Primauté et synodalité dans les dialogues œcuméniques et dans les réponses à l’Encyclique Ut unum sint ; Document d’étude. » « Il ne s’agit pas d’un document magistériel », rappelle Kwasniewksi pour calmer les esprits alors que certains lui attribuent une portée importante – comme si tous les points les plus controversés avaient déjà fait leur entrée dans l’enseignement ou l’organisation de l’Eglise.

 

L’Evêque de Rome : un document heureusement non magistériel

Cela étant posé, l’esprit du document correspond visiblement à l’esprit qui préside aux textes émanant de Rome qui posent aujourd’hui de graves difficultés sur de nombreux points, et ces textes sont d’ailleurs cités comme pouvant faciliter l’unité des chrétiens, tels Amoris laetitia ou Laudato si’ avec leurs renoncements moraux et leur insistance sur une dimension horizontale de l’Eglise. Il est donc bon d’en prendre connaissance, et d’en saisir les risques.

Ceux-ci sont résumés – mais de manière orientée pour ne pas dire militante – par le site katholisch.de – qui présente l’objectif du document d’études comme étant la relégation du pape au rôle de « chef honoraire » acceptable par l’ensemble des dénominations chrétiennes. Par rapport à Vatican I, l’article note : « Selon le document, les résolutions de l’époque doivent maintenant être intégrées dans la théologie moderne, qui ne considère plus l’Eglise comme une monarchie mais comme une communauté. Elles devraient également être “adaptées au contexte culturel et œcuménique d’aujourd’hui”. »

Si le rejet de la structure monarchique de l’Eglise n’est pas exprimée en toutes lettres dans L’Evêque de Rome, il faut reconnaître que le sens y est bien, puisque au terme d’une longue présentation des travaux de différents groupes œcuménistes et de réponses officielles de non-catholiques à Ut unum sint, recueillies au fil des ans, une série de propositions concrètes suggère de réduire fortement les attributions du pape, en appliquant le « principe de subsidiarité » et en laissant une grande autonomie aux régions, patriarcats, etc.

 

Revisiter l’office de l’évêque de Rome sous prétexte de dialogue œcuménique

Or s’il est vrai que c’est le principe des bonnes monarchies – les libertés en bas, l’autorité en haut – c’est sur ce dernier élément que les propositions paraissent vouloir aller dans le sens d’une démocratisation qui est à l’opposé de ce que Jésus-Christ lui-même demande à Pierre : d’être le roc sur lequel Il construit son Eglise. Structure monarchique dont Il est lui-même le chef et le garant, ce qui relativise les défaillances possibles de son vicaire, « seulement » chef visible de l’Eglise.

Toucher à cela reviendrait à révolutionner l’Eglise, et on ne voit pas comment l’objectif pourrait être autre puisque la « synodalité » – mot qui revient sous différentes formes plus de 150 fois dans les 155 pages du document – consiste en « l’écoute » de tous et du moment de l’histoire où l’on se trouve pour faire remonter décisions et magistère de la base.

Exprimée de diverses manières, plus ou moins radicales, dans les synthèses des différentes réflexions de groupes œcuméniques ou d’Eglises et communautés catholiques ou non, cette notion est la clef de l’ensemble. La participation de non-catholiques ne doit d’ailleurs pas surprendre à l’aune de ce qui s’est passé lors du synode sur la synodalité à Rome en octobre dernier : avant sa tenue, on lança dans le monde entier des questionnaires ouverts à tous, même aux athées ou non-croyants, et leurs réponses étaient prises en compte indépendamment de leur origine.

 

Le primat de l’Evêque de Rome revu selon la synodalité

Certes, cette présentation reste une présentation. Mais le document présenté par le cardinal Koch s’achève sur une série de « suggestions pratiques », un « résumé » que le Dicastère prend à son compte, et une « Proposition » de son Assemblée plénière pour aller de l’avant sur le fondement de L’Evêque de Rome.

On y lit par exemple :

« Une troisième recommandation formulée par les dialogues théologiques concerne le développement de la synodalité au sein de l’Eglise catholique. En mettant l’accent sur la relation réciproque entre l’organisation synodale de l’Eglise catholique ad intra et la crédibilité de son engagement œcuménique ad extra, ils identifient les domaines dans lesquels une plus grande synodalité serait nécessaire au sein de l’Eglise catholique. Ils suggèrent en particulier une réflexion plus approfondie sur l’autorité des conférences épiscopales catholiques nationales et régionales, leur relation avec le Synode des évêques et avec la Curie romaine. Au niveau universel, ils soulignent la nécessité d’une meilleure implication de l’ensemble du peuple de Dieu dans les processus synodaux. Dans un esprit d’“échange de dons”, les procédures et les institutions existant déjà dans d’autres communions chrétiennes pourraient servir de source d’inspiration. » (N°180)

En guise conclusion, la « Proposition » mise en avant à la fin du document par le Dicastère romain insiste sur la « synodalité » et affirme que la notion a été enrichie par l’apport des Eglises non-catholiques : « Cette réflexion commune a apporté une contribution significative à la théologie catholique. Comme l’a déclaré le Pape François, “le chemin œcuménique a permis d’approfondir la compréhension du ministère du Successeur de Pierre, et nous devons avoir confiance qu’il continuera d’agir dans ce sens aussi à l’avenir”. »

Les Eglises non-catholiques sont ainsi présentées comme source de vérité – non comme les hérésies qui ont permis de clarifier la doctrine obligée de se fixer et de répondre aux erreurs, mais comme exemples qu’il peut être bon de suivre et qui peuvent aider l’Eglise catholique à mieux entrer dans la vérité. Au passage, on donne un coup de chapeau au « consensus différencié » sous le « primat » de Pierre.

 

Le rapprochement œcuménique des Eglises sous un primat dévalué

La frontière est mince entre le relativisme et le consensus différencié… Mais ce qui frappe le plus dans cette approche dans le sens de la démocratisation de l’Eglise – car c’est bien cela qui est promu – c’est un changement de structure qui ne correspond plus à la structure véritablement hiérarchique où le chef est davantage qu’une sorte d’arbitre chargé de veiller à une « unité » définissable davantage comme une absence de conflits qu’une adhésion à une même foi, une même doctrine, sous la conduite d’un seul chef, chose que ne contredit pas la diversité des rites et la richesse des traditions particulières, l’histoire de l’Eglise le montre.

Il est frappant de voir dans divers endroits de ce document que pour s’engager dans cette voie, les responsables du « dialogue œcuménique » dans l’Eglise catholique semblent prêts à accepter qu’au moins dans une certaine mesure, le concept de la primauté de Pierre ne peut être tiré tel quel de l’Ecriture Sainte mais qu’il doit au moins une partie de son contenu aux contingences historiques, à la manière dont l’Eglise a grandi et s’est laissé influencer par cet environnement concret. A partir de là, en effet, tout peut être remis en cause. Question de degré, et non plus de principe.

En voyant ces hommes d’Eglise s’incliner au moins partiellement devant l’idée d’une restructuration démocratique de l’Eglise, on ne peut s’empêcher de penser à l’idée qui sous-tend la démocratie religieuse conçue non comme un simple mode de désignation des dépositaires du pouvoir mais comme le refus de la hiérarchie en tant que telle. Egalisation à grande échelle : c’est l’idée fondamentale de la maçonnerie, du gnosticisme pour lesquels au fond, nous sommes tous Dieu. L’aboutissement de cette pensée est le panthéisme, vision païenne du monde qui revient, il est vrai, par la porte de l’écologisme et qui est si bien installée qu’on a même pu organiser une cérémonie autour de la Pachamama dans les jardins du Vatican, et promener cette déesse-mère dans la basilique Saint-Pierre… Empruntons pour l’occasion une formule au pape François, qui a présidé à beaucoup de ces folies : « Tout est lié ! »

 

Le dialogue œcuménique sans les divergences doctrinales

Il est remarquable de voir dans le document présenté par le cardinal Koch qu’il n’est nullement question des divergences ni même des oppositions doctrinales entre l’Eglise catholique et les autres Eglises chrétiennes, mais seulement de la manière dont ils envisagent une possible primauté de Pierre pour tous. On me rétorquera que ce n’en est pas le sujet. Il n’empêche que l’unicité de la foi et l’universalité de l’Eglise sont ici les principaux enjeux, et qu’ils semblent oubliés.

En tout cas, c’est un nouvel épisode de la confusion dans l’Eglise qui se déroule sous nos yeux. L’évêque auxiliaire suisse Marian Eleganti, d’esprit traditionnel, a réagi samedi dernier en publiant une réaction très négative où il écrit notamment : « Il ne peut pas s’agir de dévaloriser la fonction de Pierre jusqu’à ce qu’elle devienne acceptable pour le plus grand nombre possible de chrétiens séparés. » Il souligne que l’important, c’est la vérité, « ce que le Christ a voulu » : « C’est la vérité ou la volonté de Dieu, et non le consensus avec les frères séparés, qui doit être ici le facteur décisif. »

Le cardinal Kurt Koch a rejeté cette critique en répondant par une lettre ouverte, lundi, où il assure qu’il n’est nullement question de revenir sur Vatican I mais d’en trouver une « nouvelle expression » à travers un « nouveau vocabulaire », « intégré dans l’ecclésiologie de la communion », de manière à « rester fidèle à l’intention d’origine ». Et d’accuser Eleganti d’avoir critiqué à mauvais escient Vatican II (maintes fois cité dans L’Evêque de Rome) pour affirmer « à juste titre la validité pérenne de Vatican I ».

 

Mgr Eleganti monte au créneau pour défendre le véritable primat de Pierre

Le cardinal Koch ajoute, c’est de bonne guerre : « Je trouve étrange que vous exigiez maintenant la primauté de la juridiction du pape et l’obéissance ecclésiastique aux décisions doctrinales papales de manière absolue, alors que, même dans des déclarations antérieures, vous avez revendiqué votre liberté de remettre en question ou même de rejeter un certain nombre de décisions juridictionnelles du pape actuel. Je ne comprends pas comment les deux peuvent aller de pair. »

Mgr Eleganti a répondu le même jour :

« Que peut-il résulter de ces efforts de dialogue, sinon tout au plus une primauté honoraire du soi-disant “Patriarche d’Occident” et “Evêque de Rome” sur les autres, sans juridiction directe sur eux ? Mais dans Pastor aeternus, il est dit : “Nous enseignons et déclarons que, selon le témoignage de l’Evangile, la primauté de juridiction sur toute l’Eglise de Dieu a été promise sans intermédiaire et directement au bienheureux Apôtre Pierre et lui a été conférée par le Christ Seigneur. […] Ainsi, celui qui occupe la chaire de Pierre acquiert la primauté de Pierre sur toute l’Eglise par l’institution du Christ lui-même. »

Il a aussitôt précisé : « Cela ne veut pas dire que le Pape ne peut pas être critiqué dans tous les domaines de sa charge dans lesquels il n’enseigne pas et n’agit pas de manière infaillible. »

Et voilà qui met le doigt sur un autre problème : le retour à l’unité des Eglises séparées suppose le retour dans la vérité. Aujourd’hui, le « dialogue œcuménique » insiste sur le rapprochement, le consensus, voire (comme le fait le document), la réalisation d’actes communs entre ses différents acteurs. Nul ne peut nier que l’Eglise catholique est en proie à une grande confusion : comment envisager quoi que ce soit avant que cette confusion ne soit levée ?

 

Jeanne Smits