L’Institut du Monde Arabe IMA, propose actuellement, dans ses locaux historiques de Paris, puis prochainement, dans ses nouveaux locaux décentralisés de Roubaix, près de Lille, une intéressante et émouvante exposition sur les Chrétiens d’Orient.
UNE EXPOSITION INATTENDUE A L’INSTITUT DU MONDE ARABE
Ces Chrétiens d’Orient sont les Chrétiens de langue arabe qui résident dans les pays arabes, du moins ceux du Proche-Orient, de l’Egypte à l’Irak. Ces Chrétiens appartiennent au monde arabe, « contribuent à sa richesse culturelle », comme il est indiqué dans le descriptif officiel de l’exposition. Cette expression peut être estimée aujourd’hui un peu creuse et convenue, typique d’une certaine phraséologie officielle du politiquement correct. Mais elle correspond néanmoins bien à une réalité.
L’Institut du Monde Arabe IMA a pour but, depuis sa fondation par le pouvoir socialiste mitterrandien dans les années 1980, de réaliser la promotion de la culture arabe en France, la faire apprécier par les Français, dans le contexte de l’apparition pour la première fois dans notre histoire d’une présence arabo-musulmane massive en France. Les présences arabes en France aux VIIIème et IXème siècle avaient toujours été territorialement marginales, localisées dans le Languedoc ou en Provence, et marquées par la conflictualité, car consistant surtout en bases de pillages de la Gaule franque. Ces épisodes douloureux sont transformés par le discours officiels en général et l’IMA en particulier comme de grands moments de dialogues interculturels constructifs, ce qui est tout simplement faux. Aussi, nous avions craint de retrouver dans le parcours proposé toute une propagande arabo-musulmane, courante dans le monde arabe comme en France, chantant une « tolérance » musulmane très largement imaginaire, brodant sur le thème d’une société arabe passée ou présente ouverte à la diversité religieuse…
Or, et c’est une excellente surprise, cette exposition se montre dans son commentaire général proposé, remarquablement honnête. Certes, le propos donne de nombreux exemples historiques de coopérations fructueuses entre Chrétiens et Musulmans dans le monde arabe, du VIIème siècle à nos jours. Par exemple, des artisans chrétiens ont joué un rôle essentiel dans la restauration de la grande mosquée de Mossoul, opérée sous la direction du gouverneur ottoman de la province à la fin du XIXème siècle. Aujourd’hui cette mosquée est célèbre, ce qui n’est d’ailleurs pas précisée, comme lieu de proclamation du Califat par Abou-Bakr II en 2014, symbole ô combien fâcheux et distraction probable – ou volontaire ?- du commissariat de l’exposition. Une grande part de l’artisanat de luxe arabe a été l’œuvre de spécialistes chrétiens, constamment sollicités et estimés à ce titre. De même, durant les premiers siècles de l’Islam, de très nombreux fonctionnaires chrétiens, et même des hauts fonctionnaires, ont servi le pouvoir arabo-musulman, à Damas comme à Bagdad du VIème au IXème siècle, ou plus tardivement, jusqu’au XIIIème siècle, en Egypte. Après, ils ont été exclus de toute haute fonction.
QUI SONT LES CHRETIENS D’ORIENT ?
Les Chrétiens d’Orient sont véritablement les descendants des Chrétiens des temps apostolique, dans leur chair, du moins ceux de Palestine, de Syrie, du Liban, de Jordanie, d’Egypte. L’Irak actuelle et l’Arménie, aux communautés chrétiennes très anciennes, plus qu’en Gaule assurément, sont plus tardives de quelques décennies au moins. Les premiers Chrétiens d’Orient sont en effet présents dans les Actes des Apôtres, avec des communautés clairement constituées notamment à Jérusalem, Damas, Césarée. Elles remontent toutes au premier siècle, au deuxième siècle au plus tard.
A la fin de l’Antiquité, au Vème siècle, l’Orient est majoritairement chrétien, que ce soit dans les terres de l’Empire Romain d’Orient, ou même dans le territoire occidental le plus riche et densément peuplé de l’Empire Perse, la Mésopotamie. Les Chrétiens sont aussi très présents en Arabie, bien que minoritaires, et dans toute l’Arabie ou presque comme l’ont montré des découvertes archéologiques récentes. Malheureusement ces Chrétiens ont été divisés par les schismes et hérésies, comme le monophysisme – hérésie trinitaire ne voulant voir dans le Christ que sa divinité et non son humanité -, ou le nestorianisme – hérésie trinitaire professant un Christ en deux natures et deux personnes -, qui persistent de nos jours, malgré des vagues de ralliements à Rome aux XI et XIIème siècles puis XVIème et XVIIème siècles.
Les Catholiques, de rites orientaux variables, sont majoritaires parmi les Chrétiens du Liban – principalement Maronites – et d’Irak – dits Chaldéens. Les Grecs schismatiques ou orthodoxes dominent en Syrie, en Palestine, en Jordanie. Les Coptes, Eglise spécifiquement égyptienne, monophysite, ne sont ni catholiques ni orthodoxes. Les hérésies et schismes, en divisant les Chrétiens, ont certainement affaibli leur capacité de résistance face à l’islam. Il est probable que l’islam a été considéré initialement comme une hérésie chrétienne judaïsante parmi d’autres, à tort ; l’islam est bien plus proche du judaïsme que du christianisme.
L’islam, présent dans tout le Proche-Orient depuis les invasions du VIIème siècle, a fini, au fil des siècles par s’imposer dans toute la région, tout comme la langue arabe. Ces Chrétiens d’Orient ont pratiquement tous désormais l’arabe pour langue maternelle, même s’ils usent souvent de leurs langues médiévales comme langues liturgiques, le copte en Égypte ou l’araméen en Syrie et en Irak.
Les communautés chrétiennes sont, pour beaucoup, en voie de disparition actuellement. Les événements dramatiques récents bien connus en Irak et en Syrie, avec de franches persécutions, ont déclenché des exils massifs, touchant plus de 90 % des Chrétiens d’Irak et au moins 70 % de ceux de Syrie. En Palestine comme en Jordanie, chose moins connue, ils disparaissent aussi, par émigration massive également.
Les principales communautés chrétiennes aujourd’hui en Orient sont celles des Coptes d’Egypte, plus de 9 millions, soit 10 % de la population totale. Puis vient la communauté des Chrétiens du Liban, à plus de 1,5 million, soit un tiers des Libanais, dans un pays par ailleurs submergé de réfugiés palestiniens et syriens très massivement musulmans sunnites. Les communautés irakiennes et syriennes, hier nombreuses, sont aujourd’hui très difficiles à évaluer, et devraient se monter actuellement à 200 000 ou 300 000 personnes, avec une émigration forte et continue. Les autres communautés ont des chiffres encore plus dramatiquement faibles. Ne sont pas comptés les Chrétiens non-indigènes travaillant dans les pays du Golfe, mais ne devant pas y résider durablement et certainement pas en famille, surtout les Philippins, de culture totalement différente de celle des Arabes.
Les Chrétiens ont occupé une place importante historiquement dans le monde arabe, est-il justement avancé dans cette exposition. Mais comment l’envisager ?
LES CHRETIENS DANS LA SOCIETE ARABO-MUSULMANE
L’exposition est remarquablement honnête sur cette place des Chrétiens dans le Proche-Orient arabo-musulman. La chose est clairement affirmée, pour qui fait l’effort minimal de lire les panneaux explicatifs. Les Chrétiens d’Orient ont fait l’objet de mesures d’exclusion des places socialement importantes, d’abord dans l’armée, puis la haute administration, enfin l’administration en général. Ils ont payé des impôts spécifiques, ce qui a conduit immédiatement à une imposition totale systématiquement plus lourdes que les musulmans, avec le statut d’inférieurs protégés, soit « dhimmis ». La protection des « dhimmis », certes courante en terre d’islam, s’avère toutefois toujours précaire et révocable.
Le monde arabo-musulman est devenu majoritairement, puis très majoritairement musulman, suite à des conversions pour le moins sollicitées, voire forcées, de Chrétiens à l’islam. S’ils n’ont pas été la règle, ce que nous reconnaissons aussi volontiers, les massacres purs et simples de Chrétiens par les Musulmans, et avant tout en tant que Chrétiens, n’ont pas été rares pour autant. On pense aux drames actuels, avec des massacres locaux en Syrie ou Irak opérés par le Califat, ou même en Syrie, réalisés par les « rebelles » faussement « modérés » soutenus dans la guerre civile syrienne par les pays occidentaux, dont la France et les pays arabes du Golfe Arabique, comme à Maaloula, ce qui est évidemment pudiquement tu dans l’exposition. Les pires massacres généraux de Chrétiens ont eu lieu dans l’Empire ottoman lors de la Première Guerre Mondiale, à partir de 1915, avec le Génocide des Arméniens et des Assyriens, et même des Chrétiens du Liban. Ces derniers ont été délibérément assiégés et affamés dans leur montagne par le pouvoir ottoman, ce qui a entraîné la mort par la faim du tiers ou de la moitié de la population maronite ; il y a lieu de parler aussi de génocide maronite ou libanais, mais cette expression reste très contestée dans le monde arabo-musulman, donc, sauf distraction de notre part, elle n’est pas mentionnée dans l’exposition, même si les faits eux le sont.
DES OBJETS COMME TEMOIGNAGES DE L’EXISTENCE DES CHRETIENS D’ORIENT
Le parcours suit une logique chronologique des origines du Christianisme en Orient à nos jours, en insistant très nettement sur la rupture marquée par l’irruption de l’islam au VIIème siècle et les temps qui ont suivi, soit le cœur du sujet.
L’exposition propose une très large gamme d’objets. La spécificité des Chrétiens d’Orient réside avant tout dans leur croyance : donc sont présentés des plans d’églises, de toutes les époques, comme des costumes liturgiques, des objets liturgiques, des livres sacrés et de polémiques religieuses. Les Chrétiens n’ont pas hésité à se défendre face à la propagande de l’islam, qui se prétend seule vraie religion et supérieure donc au Christianisme ; les polémistes chrétiens ont osé soutenir, à juste titre, que c’est l’inverse. Cette contre-propagande chrétienne a eu pour ambition de limiter les apostasies. Elles ont été massives à certaines époques, en particulier à partir du XIème siècle, et sous la contrainte et non la douce et pacifique persuasion morale. Et il y a eu aussi toujours des apostats intéressés, soucieux de leur carrière en un état musulman et guère de leur salut éternel.
Les deux derniers siècles offrent en plus de nombreux documents photographiques, ce qui permet de proposer bien des aperçus de la vie quotidienne de ces communautés chrétiennes. Les drames terribles, comme les génocides de Chrétiens au XXème siècle, sont présents aussi. Les photographies les plus récentes alternent avec des témoignages d’une vie encore marquée par la foi, avec des décors pieux, y compris sous les tentes des marchés coptes en Egypte ; il est dommage, seule scorie de l’exposition, que soient proposées en contrepoint des fantaisies d’un goût discutable de pseudo-artistes contemporains d’origine chrétienne, et eux guère pieux.
UNE EXPOSITION POUR L’HISTOIRE
L’exposition de l’IMA, du fait des circonstances dramatiques qui frappent actuellement les Chrétiens d’Orient, possède un caractère véritablement historique : elle témoigne d’un monde en train de disparaître. A court terme, il risque de ne plus rester de Chrétiens en nombre significatif qu’en Egypte et au Liban, et à long terme leur survie n’est pas même assurée dans ces deux pays. L’exposition finit par inviter aussi, contrairement d’ailleurs à l’ambition générale de l’IMA consistant en la promotion de civilisation arabo-islamique, à s’inquiéter de l’avenir de l’Europe : quelle résistance notre continent offre-t-il à l’avance de l’islam, et ce avec des populations autochtones qui n’ont absolument plus la foi souvent encore exemplaire des Chrétiens d’Orient ?
Hector JOVIEN
Expositions : “Chrétiens d’Orient, Deux mille ans d’histoire”
* 26 septembre 2017 – 14 janvier 2018
* Mardi, Mercredi, Jeudi, Vendredi : 10h-18h
* Samedi, Dimanche, Jours fériés : 10h-19h
* Billet expo : 12 € (tarif plein) – 10 € (réduit, PASS Éducation, MDA) – 6 € (12/25 ans, demandeurs d’emplois/RSA)