L’extradition par les Etats-Unis d’un Polonais ramène à la surface la « mère de toutes les affaires » de la Pologne post-communiste

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L’affaire FOZZ refait surface en Pologne avec l’extradition par les États-Unis d’un des personnages impliqués dans ce que les Polonais appellent la « mère de toutes les affaires de la IIIe République ». La IIIe République, c’est la Pologne d’aujourd’hui, post-communiste, c’est-à-dire héritée de la transition démocratique de 1989-90, celle que les frères Kaczyński parlaient de remplacer par la IVe République. L’affaire FOZZ (Fonds de service de la dette étrangère) a ceci d’intéressant qu’elle nous en dit beaucoup sur la manière dont cette transition démocratique s’est faite de manière finalement assez peu démocratique. Et surtout, elle est une preuve de plus que les communistes, avant l’effondrement de leurs régimes en Europe de l’Est en 1989, se préparaient déjà à la transition, la nomenklatura s’étant débrouillée pour conserver son influence et capter une bonne part des profits engendrés par la nouvelle économie capitaliste.
 

Les accords de la table ronde de 1989, un partage du pouvoir entre les communistes et une partie des dirigeants de Solidarité ?

 
Pour ce qui est de leur poids politique dans la Pologne post-communiste, on avait pu en apprendre un peu plus avec la divulgation récente par la veuve de l’ancien ministre de l’Intérieur du général Jaruzelski, le général Kiszczak, de documents confirmant que les communistes disposaient depuis les années 1970 d’un instrument de chantage contre Lech Walesa en raison de son passé de délateur au service de la police politique. La divulgation de ces documents et la confirmation de leur authenticité a montré que ceux qui dénonçaient les « accords de la table ronde » passés en 1989 avec le régime communiste comme une trahison par l’aile gauche de Solidarité n’avaient peut-être pas tout à fait tort. L’affaire FOZZ, quant à elle, permet de comprendre un peu mieux comment la nomenklatura communiste polonaise a pris les commandes d’une partie importante de l’économie et des médias au tournant des années 80 et des années 90 et comment elle s’y était préparée alors que personne à l’Ouest n’imaginait encore que les régimes communistes de la région allaient bientôt s’écrouler comme un château de cartes.
 

Dans l’affaire du FOZZ, des condamnations tardives, clémentes et rares

 
Dariusz Przywieczerski, extradé en Pologne au début du mois de septembre, devra donc purger sa peine : trois ans et demi de prison. Il faisait l’objet depuis plus de dix ans d’un mandat d’arrêt international après sa condamnation par un tribunal polonais en 2005. Le temps mis par la justice polonaise dans cette affaire de détournement d’énormes fonds publics datant du début des 90 ainsi que la rareté et la faiblesse des condamnations en dit long sur ce système judiciaire que le PiS cherche aujourd’hui à réformer. Du reste, Przywieczerski, en tant que dirigeant d’entreprises ayant participé à la fraude originelle de la Pologne post-communiste, n’était probablement qu’un exécutant, comme toutes les personnes condamnées dans cette affaire, et l’on ne connaîtra sans doute jamais le nom de leurs donneurs d’ordre. Si Przywieczerski était du genre à parler, il se serait déjà « suicidé » ou bien il aurait eu un accident ou aurait fait un infarctus il y a bien longtemps, comme beaucoup d’autres dans la Pologne post-communiste.
 

Les communistes avaient préparé leur transition vers l’économie de marché, comme en témoigne aujourd’hui une extradition

 
L’affaire FOZZ, c’est l’affaire du « Fonds de service de la dette étrangère ». Lorsque les communistes ont cédé une partie du pouvoir en 1989, la Pologne était fortement endettée vis-à-vis des bailleurs occidentaux. En février 1989, au début des négociations de la Table ronde avec l’opposition (certains diront : avec les interlocuteurs de l’opposition que le régime communiste s’étaient choisis, en s’appuyant notamment sur Lech Walesa), les communistes ont créé ce fonds dont le but officiel était de racheter les titres de dettes polonais sur les marchés. L’argent public alimentant ce fonds disparaîtra en fait dans un vaste réseau opaque d’entreprises et permettra à la nomenklatura communiste de bénéficier des privatisations du début des années 90 et aussi de financer des médias privés. D’après les historiens, le processus qui conduisit à la création de ce fonds et du mécanisme de détournement de l’argent public au profit de la nomenklatura communiste dans des conditions d’économie de marché avait toutefois commencé plus tôt. Un rapport du gouvernement Olszewski (décembre 1991-juillet 1992) avait montré l’implication de la police politique (SB) et du renseignement militaire communiste (WSI – dissous par le premier gouvernement du PiS en 2006) dans la mise au point de ce système de détournement d’argent public.
 

Un rapport sur l’affaire FOZZ par le gouvernement Olszewski renversé en pleine nuit en 1992, entre autres par Walesa et Tusk

 
Précisons au passage que le gouvernement Olszewski fut le seul, jusqu’au gouvernement du PiS de 2005-2007, à avoir voulu divulguer l’identité des anciens collaborateurs et délateurs des services communistes, ce qui lui valut d’être renversé par un vote au parlement lors d’une séance convoquée d’urgence en pleine nuit par le président Lech Walesa. Parmi les personnalités politiques qui contribuèrent activement à le faire tomber pour empêcher la divulgation des anciens agents communistes occupant des postes clés, il y avait, outre Lech Walesa, un certain Donald Tusk.
 
C’est avec l’argent détourné du Fonds de service de la dette étrangère (FOZZ) que sont nées beaucoup de grandes fortunes en Pologne où il se disait dans les années 90 que, pour s’enrichir, « il faut voler le premier million ». Przywieczerski, membre jusqu’en 1989 du Parti ouvrier unifié polonais (le parti communiste), était un apparatchik-type du régime. En 1985, il fut nommé directeur de la centrale d’exportation de produits électroménagers Universal qui deviendra ensuite un acteur central du réseau de détournement de l’argent du FOZZ. En 1989, il fonda une banque, la BIG (qui existe encore aujourd’hui sous le nom de Bank Millenium). En 1994 il devint actionnaire à 20 % de Polsat, l’un des deux grands groupes de télévision en Pologne.
 

Des morts très suspectes

 
Un certain Michał Falzman, fonctionnaire de l’équivalent polonais de notre cour des comptes française, la Najwyższa Izba Kontroli (NIK), découvrit le premier en 1991 la fraude à grande échelle autour du FOZZ. Quand la presse eut vent de l’affaire, Falzman fut assigné à une équipe de contrôleurs du NIK chargée d’enquêter. Mais quand il demanda à la Banque nationale de Pologne (NBP, la banque centrale) de lui transmettre des informations confidentielles sur des opérations bancaires suspectes liées à cette affaire, il fut relevé de ses fonctions le jour-même et mourut deux jours plus tard d’un infarctus. Il avait 37 ans. Quelques mois plus tard, la veille de la présentation à la Diète d’un rapport sur le FOZZ, le président du NIK trouva la mort dans un accident de voiture.
 
Falzman fut ensuite décoré à titre posthume, en 2009, de la Croix de Chevalier de l’ordre Polonia Restituta par le président Lech Kaczyński, lui-même mort dans une catastrophe aérienne à Smolensk en 2010.
 

Olivier Bault

Correspondant à Varsovie