Mourir de faim spirituelle : comment l’IA déshumanise les enfants

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Comme annoncé dans notre article d’hier évoquant les mises en garde du pape Léon XIV sur l’utilisation de l’IA par les enfants, nous vous proposons ci-dessous la traduction d’un article publié par The Catholic Herald sous la signature de John Mac Ghlionn, qui évoque les effets concrets du recours à l’intelligence artificielle sur l’intelligence des enfants… Et sur leur âme, sur leur humanité elle-même. Intitulé Spiritual starvation in the age of AI (Mourir de faim spirituelle à l’âge de l’IA), le texte dévoile des effets qui font fortement penser à des objectifs infernaux. Et comme le dit son auteur, c’est aujourd’hui qu’il faut agir pour empêcher le massacre… – J.S.

 

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Mourir de faim spirituelle à l’âge de l’IA

 

Le pape Léon XIV vient de lancer un avertissement alarmant qui mérite bien plus d’attention qu’il n’en a reçu. Lors d’une conférence sur l’intelligence artificielle et l’éthique, le souverain pontife a mis en garde contre les risques que l’intelligence artificielle fait peser sur le développement cognitif, émotionnel et moral des jeunes. Puis, sans donner plus de détails, il est passé à autre chose, laissant son auditoire méditer en silence sur la portée de ses propos.

Cette retenue est typiquement papale : diplomatique, mesurée, formulée avec soin : la litote est extrême. Lorsque le chef de 1,3 milliard de catholiques exprime son inquiétude au sujet d’un sujet qui touche les enfants, la réalité est forcément bien pire que ne le laisse entendre son langage mesuré.

Le pape n’a pas donné de détails, évitant, peut-être sagement, de se poser en critique de la technologie. Mais il faut bien que quelqu’un relie les points qu’il a laissés en suspens. Il va falloir expliquer exactement comment l’IA remodèle l’esprit des jeunes et pourquoi cela doit nous préoccuper profondément.

La Silicon Valley a perfectionné l’art de capter l’attention humaine avec une précision scientifique. Les algorithmes d’IA étudient les modèles de comportement des utilisateurs, les déclencheurs des réponses dopaminergiques et les systèmes de récompense neuronaux afin de créer ce que les chercheurs appellent pudiquement « l’optimisation de l’engagement ». Il serait sans doute plus honnête de parler d’« ingénierie de l’addiction ».

 

Des enfants accros de l’IA

Les systèmes d’IA actuels ne se contentent pas d’apprendre ce qui nous plaît, ils apprennent à nous rendre dépendants. Des boucles de récompense variables, directement inspirées des machines à sous de Las Vegas, sont désormais à l’œuvre à chaque défilement d’écran. Et les enfants ? Ils constituent les proies les plus lucratives. Leur cerveau est encore en construction, leur structure neuronale est à peine en place. Lorsqu’ils sont exposés à des systèmes de récompense artificiels conçus par des plateformes valant des milliards de dollars, ces circuits fragiles se reconfigurent. Définitivement.

Ce n’est pas seulement que la capacité d’attention rétrécit. La capacité à se concentrer, à réfléchir, à différer la gratification, disparaît à la manière des groupes musculaires dont on ne se sert jamais. Prenons l’ennui, par exemple. Autrefois caractéristique de l’enfance, il est aujourd’hui considéré comme un problème. Les générations précédentes rêvassaient en silence et apprenaient la patience dans le calme. Les enfants d’aujourd’hui passent chaque moment d’inactivité devant un écran. L’ennui n’est plus une pause naturelle : elle est un problème qui exige une sédation numérique immédiate.

Les scanners cérébraux confirment désormais ce que l’intuition hurlait déjà : la surstimulation numérique remodèle le cortex préfrontal, la région responsable de la planification, de la maîtrise de soi et de la réflexion profonde. Des études menées par l’UCLA, Harvard et d’autres institutions montrent des changements structurels chez les enfants qui surconsomment la « tech ».

Les chercheurs utilisent désormais des termes tels que « attention partielle continue » et « démence numérique ». Mais ne minaudons pas. Nous sommes en train de construire des esprits incapables de rester en place, de réfléchir profondément et de supporter le silence. Et nous faisons cela délibérément. Plus alarmants encore que l’effet de l’IA sur la cognition sont les dommages qu’elle inflige aux relations humaines. Les compagnons artificiels simulent désormais l’amitié avec une précision troublante. Ils ne vous comprennent jamais de travers, ils ne vous contredisent pas, ils ne s’éloignent jamais. Ils reflètent vos émotions sans avoir besoin des leurs.

 

L’IA déshumanise les enfants en supprimant les relations vraies

Pour les enfants qui en sont encore à apprendre à gérer de vraies relations, cela constitue une distorsion. Les relations humaines sont exigeantes ; elles exigent de la patience, comportent des conflits et nécessitent de savoir pardonner. Elles dépendent de la capacité à lire entre les lignes, à décoder les expressions faciales et à gérer les déceptions. Les machines n’offrent rien de tout cela. Elles fournissent une validation émotionnelle à la demande, de manière fluide, contrôlée et gratuite.

Il en résulte une génération montante toujours plus déçue par la réalité. Les êtres humains réels semblent déficients : trop lents, trop compliqués. A mesure que le compagnonnage artificiel devient plus fluide, les relations réelles commencent à être perçues comme un fardeau. Les enfants ne passent pas seulement plus de temps devant les écrans, ceux-ci les façonnent. Les données confirment ce que les parents et les enseignants ressentent déjà. La solitude des adolescents a explosé et leur santé mentale est en chute libre. La dépression, l’anxiété et l’automutilation ont augmenté avec l’utilisation des technologies numériques. Plus ils sont connectés en ligne, plus ils sont déconnectés les uns des autres.

L’avertissement du pape ne s’est pas limité à la psychologie. Il a évoqué quelque chose de plus profond, quelque chose que la plupart refusent d’aborder. Selon lui, l’IA menace le développement spirituel des jeunes. Il a raison. La croissance spirituelle, qu’elle soit religieuse ou non, exige le respect de l’inconnu : un sentiment d’émerveillement et une tolérance à l’ambiguïté. Or, l’IA promet des réponses à toutes les questions, la clarté pour tous les doutes et une certitude présomptueuse qui ne laisse aucune place à l’émerveillement. Nous suralimentons le mental et nous faisons mourir l’âme de faim.

 

La mort de faim spirituelle tue d’abord le désir du bien

Les enfants élevés dans un environnement où tout a une réponse immédiate n’apprennent pas à se confronter au mystère, ils apprennent à l’éviter. Ils deviennent surchargés d’informations, mais appauvris sur le plan philosophique. La foi ne s’éteint pas face au doute, elle s’éteint lorsque la certitude remplace la réflexion. Les chercheurs en éducation constatent aujourd’hui ce qu’ils appellent « l’effet Google » : la tendance à se souvenir de l’endroit où se trouve l’information plutôt que de l’information elle-même. L’IA ne fera qu’accélérer ce phénomène, transformant les cerveaux en interfaces passives, en moteurs de recherche recouverts de peau.

Le plus préoccupant est peut-être l’impact de l’IA sur la créativité. La créativité nécessite des frictions, des échecs, des révisions douloureuses. L’IA élimine tout cela. Elle vous offre un produit fini sans que vous ayez à fournir le moindre effort. Pourquoi se creuser la tête devant une page blanche quand un algorithme peut écrire un poème, composer une mélodie ou peindre un tableau ? Pourquoi affronter ses propres limites quand une machine peut les masquer ?

Pourtant, c’est dans cette lutte, cette lutte magnifique, exaspérante et chaotique, que la croissance est possible. C’est cette lutte qui enseigne aux enfants qu’ils ont quelque chose à dire. L’IA ne se contente pas de remplacer l’artiste, elle supprime l’apprentissage. Elle dit aux enfants qu’ils ne sont pas des créateurs, mais seulement des conservateurs, des ingénieurs qui produisent des « prompts ». En supprimant le dur travail de création, on supprime le fondement même de la confiance intellectuelle : la capacité d’imaginer, de construire et de supporter l’incertitude.

L’avertissement du pape fut bref, mais il était empreint d’urgence. Il ne s’agit pas ici du temps passé devant les écrans. Il s’agit du démantèlement systématique des capacités humaines, de l’effacement lent et silencieux de notre capacité à penser, à ressentir, à nous émerveiller et à créer. Nous ne pouvons pas externaliser la résistance. Il faut la construire. Parents, enseignants, mentors, nous devons dès aujourd’hui créer des pares-feux. Cela signifie qu’il faut protéger l’ennui, préserver le silence, maintenir les défis. Non pas parce que nous avons peur de l’avenir, mais parce que nous savons à quel point l’esprit devient fragile lorsqu’il n’est pas mis à l’épreuve. Et surtout, nous devons montrer l’exemple. Les enfants n’imitent pas ce que nous disons, ils absorbent ce que nous sommes. Si nous sommes tout aussi accros, tout aussi distraits, tout aussi automatisés, ils suivront notre exemple bien avant de suivre nos conseils.

Le pape Léon XIV a eu raison de tirer la sonnette d’alarme, même s’il a mis des gants. La question plus profonde est de savoir s’il sera écouté.

 

John Mac Ghlionn

 

Traduction par Jeanne Smits