Depuis dix jours, les faux clowns frappent à travers la France, terrorisant les passants la nuit. Ce phénomène viral, parti des Etats-Unis, se répand via le net, les vidéos et colonise l’imaginaire mondial. C’est grave : leur monde virtuel s’incarne dans une menace réelle.
C’est un mal qui répand la terreur. Ce week-end à Palavas-les-flots, Thézan-lès-Béziers et Cessenon-sur-Orb, trois automobilistes ont porté plainte contre des « clowns effrayeurs ». A Montpellier, un piéton s’est fait rouer de coups de barre de fer par un homme grimé en clown et deux complices. A Agde, quatorze adolescents habillés en clowns, armés de pistolets, de couteaux et de battes de baseball ont été arrêtés sur le parking d’un lycée. A Marseillan, un jeune homme grimé de même, ayant endommagé la voiture d’un automobiliste, a confié aux forces de l’ordre qui l’ont arrêté qu’il avait succombé à la mode des « clowns qui attaquent ».
Avant cela, le 10 octobre, un adolescent de 17 ans s’amusait à reproduire des caméras cachées où des clowns faisaient peur à des passants. Et le 20 un jeune homme de 19 ans déguisé avait terrorisé des inconnus dans les rues de Béthune en brandissant un bâton ressemblant à un long couteau. Des faits analogues ont été signalés à Douai, Châteauroux, et ailleurs certainement au moment où cet article sera mis en ligne.
Faux clowns, clowns agressifs : une menace réelle d’agression
La police prend cela au sérieux. Elle a publié un communiqué de presse sur le « phénomène des clowns maléfiques » où elle invite la population à prendre ses précautions « pour signaler la présence d’un clown agressif, composez le 17 ».
Maléfique, agressif, le clown ? Personnage central du cirque, avec les animaux, il est gentil, drôle, émouvant, c’est un personnage pour enfant, qui s’adresse aux enfants. Mais son maquillage outrancier s’assimile à un masque et comme tel est ambigu : le masque de la comédie fait rire, celui de la tragédie inquiète et fait peur. Le gentil par excellence peut se transformer en horreur. D’innombrables fictions récentes illustrent cette ambivalence. Chacun se souvient des nez rouges d’Orange mécanique, ou du Joker de Batman. Certains psychologues voient dans le phénomène viral actuel une simple « légende urbaine » répandue à la vitesse de la foudre par le biais d’internet. On verra.
Il est toutefois certain que le phénomène prend racine dans une réalité qu’illustre par exemple le tueur en série américain John Wayne Gacy, amateurs de garçons adolescents, qui en fit passer trente-trois ad patres, et qui aimait à s’habiller en clown pour amuser les enfants dans les hôpitaux. Et aussi sur tout un monde virtuel, un impressionnant corpus de fictions, souvent venues du monde anglo-saxon ou japonais. L’encyclopédie Wikipedia en dresse une liste impressionnante. Les bandes dessinées et mangas en regorgent, Bouffon vert, Violator, Baggy, Hisoka et une dizaine d’autre. La littérature aussi, on ne citera que le célèbre Ca, de Stephen King. Le cinéma, avec notamment Poltergeist, le bouffon de l’horreur ou Clownhouse, parmi une vingtaine d’autres. Les séries télé, les disques, les groupes de hard, sont farcis de clowns maléfiques, et, last, not least, les jeux vidéo où une vingtaine de clowns diaboliques, pervers ou zombies se donnent abondamment carrière.
Un univers virtuel qui se répand par phénomène viral
La figure du faux clown mauvais appartient donc à un imaginaire mondial répandu par les grands moyens de communication de masse à une vitesse hallucinante, ce qui explique ces modes qui triomphent en quelques jours, n’importe où. L’épidémie d’aujourd’hui a été précédée d’une autre analogue en Grande Bretagne en 2013. On ne peut hélas exclure que ces « modes » ne dégénèrent en réelle menace. En effet, ce qui semble s’esquisser aujourd’hui, c’est l’appropriation d’un fantasme un peu bateau soit par des bandes (le cas d’Agde), soit par des malfaiteurs avérés (le cas de Montpellier). Etant donné le mode de diffusion, rien n’exclut que le phénomène ne dégénère en pandémie, avec des violences massives à la clef.
C’est aussi que les clowns renvoient au bouffon qui lui-même fait suite aux follets, aux lutins, nains, elfes, farfadets, gnomes de la mythologie européenne qui eux même transposaient les sylvains, faunes et satyres : petits dieux païens laïcisés, hôtes des maisons et des foyers, d’apparence bénigne mais parfois terribles et de nature trouble. Il leur arrive de rendre service et semblent n’être capables dans le mal que de grosses bêtises, mais il leur arrive de jeter des sorts et ils ont un lien avec la nuit et avec la mort. Les lutins sont toujours malins ou malicieux, et ces mots sont terriblement ambigus. Ils peuvent désigner l’astuce d’un garnement, ou le mal du Malin. C’est le fondement de l’histoire des Gremlins, ces créatures de cinéma qui charmaient et terrifiaient en même temps les enfants voilà trente ans. Nées par scissiparité d’un animal apparemment délicieux dont certaines conditions magiques révélaient la terrible nature, elles étaient capables du pire. Cet animal se nommait Mogwaï, littéralement « esprit malin ». Les scénaristes n’avaient pas manqué de noter une ambiguïté venue de très loin. C’est sur elle que surfe aujourd’hui la vogue des faux clowns. Elle peut finir en simple stupidité de potaches ou en terreur perverse. On doit prendre au sérieux cette menace réelle.