Mettant fin à une incertitude durable et à des rumeurs persistantes de hausse, la « Fed » américaine vient de relever ses taux, modestement, de 0,25 %, ce qui place le taux de base des fonds fédéraux dans une fourchette de 0,25 à 0,50 %. Janet Yellen, présidente de la Banque fédérale américaine – une institution indépendante du pouvoir, faut-il le rappeler – a déclaré qu’au sens de son conseil les conditions sont remplies, tant sur le front de l’emploi que sur celui de l’inflation, qui reste en deçà des 2 % ciblés mais qui va remonter à moyen terme selon ses analystes.
La croissance, elle, est estimée à 2,1 % cette année et à 2,3 % en 2016.
Les Etats-Unis seront heureux d’apprendre qu’ils ont atteint une situation de « plein emploi » à 5 % de chômage et que tout va très bien. Si bien d’ailleurs que d’autres hausses sont envisagées, graduellement, au cours de 2016, même si certains commentateurs estiment que le scénario n’est pas tenable, anticipant une nouvelle baisse en décembre 2016 après les quelques ajustements dont le premier vient d’avoir lieu. Mais pour l’heure en tout cas, l’argent est donc un peu plus cher aux Etats-Unis.
La Banque fédérale des Etats-Unis se félicite du plein emploi et d’une inflation conforme à ses désirs
Qu’en est-il réellement ? Le taux de l’inflation affiché par la Banque fédérale est contesté : il serait plus bas, notamment en raison de la chute du pétrole. Celui-ci a encore dégringolé mercredi pour dépasser à peine les 35 dollars. Janet Yellen elle-même s’est dite « surprise » par ce nouveau déclin qui pèsera aussi sur l’inflation. Bref, les indicateurs de la Fed ne sont pas forcément exacts et ne rendent pas compte d’une autre réalité de plus en plus perceptible : la baisse des effectifs de la classe moyenne aux Etats-Unis : les riches sont plus riches, mais les classes moyennes et pauvres ont progressé nettement moins vite en termes de revenu et les pauvres sont plus nombreux. Le plein emploi n’est donc pas synonyme de prospérité générale accrue.Des millions de demandeurs d’emploi ne seraient par ailleurs pas pris en compte dans les statistiques officielles.
Au contraire, les entreprises des Etats-Unis souffrent toujours d’un manque de commandes et la production industrielle est loin d’être au plus haut.
Les rumeurs sur la remontée des taux étaient tellement ancrées que la Fed jouait sa réputation et sa crédibilité : d’atermoiement en atermoiement, la mesure ressemblait de plus en plus à l’arlésienne. Les chiffres de l’économie américaine se devaient d’être « bons »… Mais aussi les chiffres mondiaux et notamment ceux de la Chine, puisque la dégringolade des bourses dans la « première économie mondiale » avait poussé Janet Yellen à retarder la hausse en septembre dernier, et de maintenir les taux de la Fed en deçà du niveau qu’ils auraient atteint dans le cadre d’un marché libre.
Les taux de la Fed relevés pour la première fois depuis 2006 vont peser sur les économies émergentes
Les conséquences de la mesure, peu perceptibles pour les particuliers, le seront beaucoup plus pour les pays endettés en dollars, question d’échelle… L’argent (trop) facile dope l’économie, fermer le robinet la contraint. Et dans le cas présent ce sont notamment les pays émergents, dont l’économie est soutenue par des emprunts massifs qui se sont même accumulés au fil des ans créant une situation bien fragile, qui souffriront. Dans les BRICS, la Corée du Sud, le Mexique, l’Indonésie, la Turquie et l’Arabie Saoudite, la dette, loin d’augmenter un peu moins vite, comme en Europe, à la faveur des mesures prises à l’occasion de la crise de 2008, a crû de 50 %.
Pour passer à l’acte, prenant le risque de déclencher des tempêtes parmi les « émergents » et des poids sur l’économie américaine alors que d’autres grandes banques centrales des pays développés ne relèvent pas leurs taux, Janet Yellen s’est justifiée en disant qu’attendre une prévisible hausse des prix contraindrait la Fed à opérer un « resserrement brutal » sous la pression de la situation, ce qui « pourrait augmenter le risque de récession ».
La Fed vient-elle de montrer sa « confiance » en l’économie américaine ? Ce n’est pas si sûr : les opérations des banques centrales sont destinées à peser sur le cours des choses et elles agissent de manière « indépendante » des Etats et des souverainetés nationales, décidemment de moins en moins significatives.
On peut s’attendre à ce que l’économie américaine porte le poids de la décision de la Fed, tandis que l’Union européenne, qui peine depuis le début de la crise, trouve un peu plus d’espace pour respirer, y compris face aux économies « en développement ». Objectif nivellement ?