A-t-on besoin de féliciter un chef d’Etat qui vient de se faire réélire pour la 5e fois, de manière totalement prévisible, avec un score digne d’un plébiscite ? Il n’y a pas eu dans la victoire de Poutine, vainqueur dimanche avec 87 % des voix à l’élection présidentielle russe, le moindre élément de surprise, mais il paraît acquis que ce chiffre lui permettra d’adopter un ton de plus en plus guerrier face à l’Ukraine, passant du statut de grand méchant loup dans le récit de la néo-guerre froide à celui de super-méchant. Mais là où de nombreux responsables politiques occidentaux ont qualifié sa victoire d’injuste et d’antidémocratique – notamment par le biais de l’élimination préalable des concurrents – ceux du « Sud global » ont multiplié les congratulations. Ces félicitations sont des révélateurs de la fracture dialectique qui achève actuellement de se mettre en place dans le monde entre les pays communistes et ex-communistes et leurs alliés non alignés de jadis d’un côté, et de l’autre, le monde libre qui se dilue trop souvent dans les excès de liberté glorifiés par l’école (marxiste) de Frankfort.
Les messages ont tout de suite afflué depuis des pays d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine, souligne Jonathan Yerushalmy dans The Guardian. L’un des premiers à se réjouir aura été Xi Jinping qui a salué la victoire de Poutine en affirmant que Pékin continuera de promouvoir le partenariat « sans limites » avec Moscou, auquel la Chine s’était engagée peu avant l’invasion de l’Ukraine. Il faut dire que dans son discours de victoire adressé à ses supporters, lundi, Poutine a renouvelé ses déclarations selon laquelle « Taïwan fait partie inhérente de la République populaire de Chine ». A bon entendeur…
Les félicitations à Poutine révèlent les lignes de fracture du monde
Du côté des autres grands pays des BRICS, qui affichent depuis l’invasion de l’Ukraine une « neutralité » très bienveillante à l’égard de Moscou, les congratulations se sont également succédé. Narendra Modi, à la tête du pays le plus peuplé du monde, enfant chéri des mondialistes, de Davos et de l’ONU, a assuré qu’il était impatient de renforcer le « partenariat stratégique privilégié, éprouvé par le temps » entre l’Inde et la Russie. Il a des raisons d’être reconnaissant : à la suite des sanctions contre la Russie par l’Union européenne qui a interdit les importations de pétrole depuis Moscou, l’Inde a pu se fournir à très bon prix en pétrole russe, ce qui à la fois tempère l’effet des sanctions sur la Russie et offre à l’Inde un avantage concurrentiel supplémentaire par rapport aux pays développés occidentaux.
En Amérique latine, c’est sans surprise que Nicolas Maduro, président du Venezuela, a déclaré : « Notre frère aîné Vladimir Poutine a triomphé, c’est de bon augure pour le monde. » Même son de cloche chez Miguel Diaz-Canel, successeur des Castro à Cuba, qui a vu dans le score mirifique du président russe « une indication incroyable de ce que la population russe soutient sa gestion du pays ». Le mot « incroyable », de son point de vue, n’était peut-être pas très bien choisi.
Les amis de Poutine se réjouissent de sa victoire présidentielle
Une série de pays d’Afrique occidentale et centrale désormais dirigés par des juntes à la suite de coups d’Etat perpétrés depuis 2020, comme le Mali et le Niger, ont également adressé des messages chaleureux au maître du Kremlin. Poutine soigne les pays jadis sous influence française notamment, où la dénonciation du colonialisme occidental attisée par Moscou rappelle comme en écho les luttes de libération marxistes du milieu du 20e siècle. En juillet 2023, il promettait des livraisons gratuites de céréales au Burkina Faso, au Zimbabwe, au Mali, à la Somalie, à la République centrafricaine et à l’Erythrée, et les premières cargaisons ont pris la mer le mois dernier, selon le gouvernement russe.
Tout cela a fait écrire à un journaliste burkinabè que l’élection russe pouvait ressembler à un non-événement en Afrique, mais qu’elle revêt en réalité une signification particulière parce que « Poutine incarne le nouvel équilibre géopolitique du pouvoir sur le continent à travers une présence et une influence croissantes » de la Russie.
Vous avez dit « guerre hybride » ?