Sur le site france.tv, France 2 présente ainsi sa série « historique » qui commence ce soir 8 octobre : « De la Gaule antique à la Renaissance, du façonnement d’un peuple et d’un territoire à la naissance d’une puissante nation, les épisodes de Notre histoire de France racontés par Tomer Sisley couvrent plus de seize siècles en six épisodes répartis sur trois soirées événementielles. Six récits emblématiques qui racontent notre société, l’évolution de nos valeurs, de nos savoir-faire ou des rapports hommes-femmes, les progrès sociaux ou technologiques, la construction de notre fonctionnement politique… Une série qui permet, au fond, de comprendre qui nous sommes. » En somme un roman national récrit. Par qui et pourquoi ? Par la révolution arc-en-ciel pour nous détacher de la civilisation qui nous a produits. Le tout dans la veine des cérémonies des Jeux olympiques mises en scène par Thomas Jolly et son conseiller historique, Patrick Boucheron, auteur de L’histoire mondiale de la France.
Cette histoire peint la France en simple melting-pot
Une sorte de narrateur, Tomer Sisley, traverse les 6 épisodes de 52 minutes imités de la série danoise datant de 2017, Historien om Danmark. Il entre dans certains épisodes, s’adaptant aux décors et aux époques, « tel un passager du temps », dit la notice. Le choix de cet amphitryon confirme l’intention de la série, qui est, selon le quotidien gratuit 20 Minutes, partenaire de la chose, de « déconstruire certains mythes et éclairer notre époque ». Or Tomer Gazit, dit Tomer Sisley, est l’incarnation même de la France ici promue, une France aux racines externes : acteur de seconde zone (surtout connu pour avoir joué Largo Winch), humoriste accusé de plagiat, il est né à Berlin de parents israéliens eux-mêmes d’origine biélorusse, lituanienne et yéménite. Une manière de faire entrer dans la tête du téléspectateur que la France, à l’instar des Etats-Unis, est le produit d’un melting-pot. Et de lancer cette opération de propagande en prime time, ce qui constitue pour le directeur des magazines de France Télévisions, Nicolas Daniel, « un choix fort ».
L’histoire chargée par France 2 de décréter ce que nous sommes
Thomas Daniel explique donc uniment que son intention est de « déconstruire un certain nombre de mythes provenant du Roman national, c’est-à-dire de la manière dont l’histoire a été réécrite pour la mettre au service de certaines idéologies, nationalistes ou autres, et influencer le présent au regard de cette réécriture ». Autrement dit, il s’agit de changer la perception que les Français ont de leur histoire pour leur faire accepter les changements en cours de la société, qu’ils regardent par exemple les mœurs ou l’immigration. Le tout, bien sûr, sous le haut patronage de l’Histoire avec un grand H, garantie suprême. La productrice Cécile Lévy certifie qu’un comité de spécialistes des périodes concernés a supervisé la série et qu’« on en a interviewé d’autres pour apporter une multiplicité de points de vue et des éléments d’information, de contextualisation, des éclairages sur les conditions de vie ». En somme, du solide et de l’honnête.
France 2 veut éviter tout débat sur la France et son histoire
Mais également du mouvant. Mme Lévy l’affirme, « l’histoire est une discipline en mouvement, ce n’est pas quelque chose de figé ». Bien des choses ont changé depuis qu’elle usait ses fonds de culotte sur les bancs de l’école. Les historiens s’en sont « rendu compte récemment ». Nous devons nous adapter aux nouveaux savoirs. De son côté Damien Piscarel, qui patronne les documentaires de ITV Studios, reconnaît : « On est conscient que l’histoire est une science humaine. On a tout fait pour qu’il n’y ait pas de débat sur ce que l’on peut dire à l’intérieur des six épisodes. » Cette phrase, dont il ne semble pas voir l’ambiguïté, paraît signifier dans son esprit qu’il s’est assuré, sinon de l’impartialité du contenu, du moins d’une certaine prudence pour ne pas heurter les spectateurs. Mais elle dit aussi, considérée de manière plus objective, que la direction des programmes a pris ses précautions pour étouffer tout débat autour de la série Notre Histoire de France.
L’arc-en-ciel, les bons et les méchants
Et c’est ce qu’avoue avec une naïveté touchante Nicolas Daniel : « On propose une histoire qui rassemble, qui n’est pas polémique », affirme-t-il la main sur le cœur. Avant d’ajouter : « On va certainement nous le reprocher puisque certains ont une vision de l’histoire visant à diviser. Un certain nombre de personnes et de médias veulent nous expliquer que c’était mieux avant, que certaines personnes ne font pas partie de la France, etc. Il y a toujours eu ça, les historiens ont toujours vécu avec ça. » Subtil enchaînement, dont tout le secret est dans le ON. Le premier On, qui « rassemble sans polémique », c’est nous, les gentils de France 2. Le second On, celui qui reproche, c’est ils, les méchants, les « personnes et les médias qui veulent nous expliquer que certaines personnes ne font pas partie de la France ». C’est tout à fait mignon : premier temps, on tripatouille l’histoire de France pour faire croire que la France a toujours été un pays d’immigration de masse (ce qui n’était même pas vrai au temps des grandes invasions) ; deuxième temps, on accuse à l’avance toute critique potentielle d’être le fait de ronchons passéistes (« qui veulent nous expliquer que c’était mieux avant ») acharnés à exclure leurs concitoyens.
« Faire grincer des dents » à quiconque conteste la France arc-en-ciel
Notre confrère 20 Minutes mange le morceau dans son avant-papier : « 20 Minutes, partenaire de “Notre histoire de France”, n’a pas visionné tous les épisodes, mais nul doute que la manière dont seront abordées certaines figures, dans un programme aussi exposé, fera grincer des dents les partisans d’une histoire de France rigide, forcément blanche, forcément chrétienne. » Voilà : « Notre Histoire de France » est destinée à « faire grincer les dents », ceux qui ont appris leur histoire. Et le brave Nicolas Daniel l’assume en discréditant cette critique au préalable, sans débat : « Je pense que les critiques qui pourraient être faites par certains auront moins pour objectif de débattre que de galvaniser leurs troupes autour de l’idée que France Télévisions aurait des partis pris et des biais idéologiques, prédit le directeur des magazines de France Télévisions. S’il y a des gens qui veulent le croire, nous n’y pouvons rien si ce n’est les renvoyer à la réalité de notre travail. »
Récrire l’histoire séculaire de la guerre entre chrétienté et islam conquérant
Avec cela il prétend « mettre l’histoire au centre de débats sur notre identité, sur la manière dont on doit faire nation, interagir les uns avec les autres ». Voilà qui est louable. Mais les deux exemples qu’il donne n’inclinent pas à juger son travail sérieux. Il rappelle que, dans l’histoire, les historiens pensent que l’embuscade de Roncevaux n’a pas opposé Roland à des Sarrazins mais à des Vascons. Cela, qu’il présente comme une nouveauté, est connu depuis longtemps. Mais la Chanson de Roland est une épopée, non un cours d’histoire. Et si l’on retourne à l’histoire, ceux qui ont occupé longtemps la Péninsule ibérique et menacé la France étaient bien des arabo-berbères musulmans. Que récrit-on aujourd’hui ? La Chanson de Roland ? Cela n’a pas de sens. Ce qu’établissent de telles remarques, c’est qu’on veut récrire l’histoire séculaire de la guerre entre chrétienté et islam conquérant.
Analogie farfelue entre christianisme sous Clovis et islam actuel
Dans la même veine, toujours anti-chrétienne, voici une autre déclaration de ce bon Nicolas Daniel : « Certaines époques renvoient un miroir aux questions que nous nous posons aujourd’hui. Par exemple, à l’époque de Clovis, les Syriens étaient accusés d’apporter une religion, la religion chrétienne, accusée de déstabiliser le royaume. » Ici le « miroir aux questions que nous nous posons aujourd’hui » dévoile l’intention de « Notre Histoire de France » : à travers une analogie farfelue entre l’islam d’aujourd’hui et le christianisme de la fin du cinquième siècle, montrer que l’islam et l’immigration de masse ne constituent aucun danger, ni même aucune nouveauté aujourd’hui en France.
Quand France 2 s’affranchit de la réalité de l’Histoire
Evidemment, c’est un sophisme grossier qui ne repose sur aucune réalité historique. Aujourd’hui, on peut estimer à dix millions le nombre d’immigrés de souche musulmane entrés ou nés sur le territoire national depuis cinquante ans, soit un habitant de la France sur sept. Quant aux Syriens (la Syrie était alors un diocèse immense de l’empire), malgré saint Irénée qui évangélisa Lyon au deuxième siècle, ou saint Maurice, chef de la légion thébaine, qui était copte et fut massacré par le César de Dioclétien en 303, on ne peut pas dire qu’ils abondaient dans la Gaule de l’époque. En outre, malgré les rêveries de l’aimable Nicolas Daniel, la Gaule ne considérait plus à l’époque le christianisme comme une religion étrangère venue d’Orient, comme cela avait été le cas quelques siècles plus tôt pour les religions à mystères. Elle avait été évangélisée dans la masse par saint Martin de Tours, Celte de Pannonie s’adressant à des Celtes de Gaule, né en 316 et mort en 397.
Des idéologues farcissent d’histoire militante la tête vide des hommes de spectacle
Il serait bon quand même que la télévision publique, qui vit avec nos impôts, cesse de placer aux postes de responsabilité de parfaits incultes. Quand Clovis se convertit sous l’influence de son épouse Clothilde, princesse burgonde, et fit baptiser l’armée franque en 496, c’est, si l’on en croit les sources, pour remercier Dieu de lui avoir donné la victoire face aux Alamans à Tolbiac. Mais, si cela est resté dans les annales un geste fondateur du récit national, c’est que le roi Franc rejoignait ainsi le peuple qu’il venait de conquérir : l’aristocratie gallo-romaine avec laquelle il s’alliait était chrétienne, les évêques qui maillaient le territoire, aussi, bien sûr, et les villes de la Gaule du Nord, Amiens, Beauvais, Rouen, Paris, lui ouvrirent leurs portes sans combattre. Ce pacte entre le roi et l’Eglise permit aux Francs de durer et de croître, là où les Wisigoths ariens, d’abord beaucoup plus brillants, échouèrent finalement. De tout cela, un Nicolas Daniel n’a pas la moindre idée. Il fait partie comme Thomas Jolly, le metteur en scène des cérémonies des JO, de ces hommes de spectacle militants dont le vide mental accueille sans réaction critique l’idéologie que des historiens militants les chargent de vulgariser.
Boucheron, joaillier de la manipulation de l’Histoire
La figure emblématique de ces historiens idéologues chargés de réécrire l’histoire de France est Patrick Boucheron, principal inspirateur des cérémonies des JO. Electeur du NFP, historien des villes italiennes à la fin du moyen âge, il met sa réputation de spécialiste au service de ce qu’il nomme le « vivre ensemble » en « déconstruisant » le roman national en résonnance à l’actualité. Au point que même Libération s’est demandé si « en accumulant les références aux migrations, à la religion — rencontres et chocs successifs, notamment, entre christianisme et islam —, à la mondialisation et à l’écologie, Histoire mondiale de la France ne frise pas l’anachronisme. N’y a-t-il pas un risque à retracer le passé à travers les obsessions d’aujourd’hui ? » Et l’historien académique de gauche Pierre Nora relève que Boucheron a souligné les facteurs exogènes de l’histoire de France « de manière si lourde, parfois si artificielle ou exclusive que (la) spécificité française se trouve noyée ». De sorte qu’il tient Boucheron pour « l’intellectuel savant dont avait besoin une gauche en détresse », préférant la politique à la science et se servant de « dates alternatives » comme un Donald Trump choisit des faits alternatifs. La série « Notre Histoire de France » de France 2 s’inscrit dans cette entreprise.