France, Espagne : la laïcité est une guerre civile

 

Deux faits divers survenus en France et en Espagne témoignent, chez des hommes politiques persuadés d’incarner le Bien, d’un esprit de division bien proche de la guerre civile, et d’une conception très particulière de la laïcité. Les deux ont trait à la guerre et à l’histoire. En France, une messe a eu lieu à Verdun pour le repos de l’âme des soldats tombés durant la bataille et de leur chef, Philippe Pétain, ce qui a suscité l’indignation active du maire, du préfet et de beaucoup d’hommes politiques. En Espagne, le gouvernement a décidé de modifier le monument de la Valle de los Caídos, la vallée des morts, afin d’en ôter notamment la Pietà qui gît au pied de la croix gigantesque surplombant le site. Dans les deux cas, les représentants de l’Etat bafouent les droits de l’Eglise tout en confondant allègrement temporel et spirituel.

 

En France, pays de la laïcité, un maire interdit une messe !

En France, la bataille de Verdun demeure dans les mémoires le sommet de la Grande Guerre : des centaines de milliers de soldats des deux bords y sont morts dans une horrible bataille d’usure et l’armée impériale n’a pas passé. L’artisan de cette victoire, Philippe Pétain, fut nommé maréchal après la guerre pour cela, et pour avoir par la suite commandé l’armée française avec humanité en épargnant le sang de ses hommes. On sait aussi que, nommé en mai 1940 après la défaite dernier président du Conseil de la IIIe République, il demanda l’armistice, subit l’occupation et lança une politique de collaboration avec l’Allemagne avant d’être arrêté en enlevé par la Wehrmacht en août 1944 : cela lui valut d’être condamné à mort en 1945 et privé de tous ses titres et dignités. L’un de ses avocats, Me Isorni, estimant le procès politique et la condamnation injuste, a fondé une Association pour la défense de la mémoire du maréchal Pétain (ADMP) qui espère faire enterrer Philippe Pétain à Douaumont avec ses soldats et fait régulièrement dire des messes pour le repos de son âme. En particulier le 11 novembre, jour de l’armistice. Et cette année à Verdun. L’évêché a autorisé la chose, les quelques dizaines de fidèles concernés n’étant pas de dangereux nervis. Ce n’était pas du goût de Samuel Hazard, maire divers gauche de Verdun qui a pris un arrêté pour interdire la messe. En France, pays de la laïcité !

 

De Gaulle a essayé de mettre fin à la guerre civile

L’ADMP a saisi le juge des référés de Nancy, qui a cassé l’arrêté, lequel n’avait d’autre base juridique que la « colère » et le « dégoût » de M. Hazard. La cérémonie ayant eu lieu, le préfet de la Meuse a porté plainte pour propos révisionnistes, le président de l’ADMP ayant lancé à la sortie de la messe aux manifestants venus insulter les fidèles que Philippe Pétain était « le premier résistant de France ». Certes, ce n’était ni le lieu ni le moment de se lancer dans une controverse historique et politique, mais l’initiative en revient manifestement à Monsieur Hazard et aux militants venus troubler l’ordre public. De nombreux hommes politiques, y compris au RN, ont flétri la mémoire de Philippe Pétain, « traître à la patrie », « antisémite », etc. Jean-Luc Mélenchon approuve le maire et le préfet, et ne supporte pas qu’on parle du « Maréchal Pétain ». Or les présidents de la Ve République jusqu’à François Mitterrand inclus faisaient fleurir la tombe de Philippe Pétain le 11 novembre, et le général De Gaulle estima en 1966 : « Si, par malheur, en d’autres temps, en l’extrême hiver de sa vie, au milieu d’événements excessifs, l’usure de l’âge mena le maréchal Pétain à des défaillances condamnables, la gloire qu’il avait acquise à Verdun vingt-cinq ans auparavant et qu’il garda en conduisant ensuite l’armée française à la victoire ne saurait être contestée ni méconnue par la patrie. »

 

Une laïcité bien comprise rend à Dieu ce qui est à Dieu

Le plus grave n’est pas là. L’horreur des guerres nécessite des réconciliations. Verdun est un lieu de réconciliation. Mitterrand et Kohl l’avaient compris en se donnant la main à l’ossuaire de Douaumont en 1984. Perpétuer une éternelle guerre civile interdit toute réconciliation, empêchant de s’élever au-dessus de la politique, cantonne les âmes dans une spiritualité esclave de la haine et du simplisme. Delphine Moncuit, procureur de la République de Verdun, a ouvert une enquête judiciaire sur le prêtre qui a dit la messe pour « provocation par ministre du culte à la résistance à l’exécution des lois ou actes de l’autorité publique ». Elle commet une double erreur. De fait : le tribunal a autorisé la messe que le maire voulait interdire. Et de droit : elle justifie l’empiétement de la puissance politique sur le religieux que voulait Hazard. Elle appuie un déni de laïcité. Hazard fulmine : « L’archevêque de Metz aurait pu annuler cette cérémonie. Je pense qu’on est loin du message évangélique de concorde et d’unité. » Voilà un chantre de la laïcité qui juge la doctrine d’un prince de l’Eglise ! En ignorant que dire une messe à l’intention de quelqu’un n’est pas une justification historique ou politique : il s’agit d’offrir les prières des fidèles et le sacrifice de la messe pour le repos d’une âme. Ce qu’il peut y avoir de sain dans la laïcité, la distinction entre politique et religieux, spirituel et temporel, une magistrate et un maire viennent de le piétiner à Verdun, haut lieu de l’histoire de France.

 

Pedro Sanchez déterre la hache de guerre civile

Même démarche en Espagne, même occasion, la guerre (civile, cette fois), même prétexte, la mémoire, même coterie, soucieuse de raviver les plaies pour diviser. On déplace les cendres de certains dictateurs. Lénine repose toujours dans son mausolée de la Place rouge à Moscou, mais le gouvernement socialiste de Pedro Sanchez a déterré en 2019 les restes de Francisco Franco de la Valle de los Caídos où il reposait avec les autres morts de la guerre civile espagnole. Certains ont pensé qu’ainsi se refermaient définitivement les plaies causées par l’une des luttes les plus acharnées du vingtième siècle. C’était hélas trop optimiste. Ce geste n’était pas un solde de tout compte, mais une relance partisane de la haine. En 2022 le gouvernement du PSOE Pedro Sanchez faisait voter une loi de Mémoire démocratique qui rebaptisait la Valle de los Caídos Valle de Cuelgamuros, et voilà que vient d’être décidée une transformation complète, idéologique, de l’ensemble du site.

 

L’Espagne socialiste part à la chasse aux morts

Le coût du projet est estimé à 30 millions d’euros. A la base de la croix haute de cent cinquante mètres érigée en 1950 figurent une Pietà, les quatre évangélistes et des statues des vertus théologales et cardinales : elles seront désormais soit retirées, soit masquées par une gigantesque « fissure en béton » qui traversera toute l’esplanade en éliminant au passage l’escalier existant pour briser volontairement l’unité architecturale du lieu. Le début des travaux est prévu pour 2027. Selon le secrétaire général de l’Agenda urbain d’Espagne, Iñaqui Carnicero, ce projet « propose une nouvelle vision de ce complexe monumental où les limites sont définies, où la nature est davantage mise en avant, il invite au dialogue, à une vision plus plurielle, plus démocratique, où de nombreuses perspectives sont incluses ». Un représentant de l’Eglise d’Espagne aurait avalisé ce projet.

 

La laïcité socialiste relance la guerre civile en Espagne

En rassemblant dix ans après la fin de la guerre civile les ossements de plus de deux cent mille combattants, nationalistes et républicains confondus, à la Valle de los Caídos, Franco voulait marquer la réconciliation du peuple d’Espagne. C’est pourquoi il s’était adressé au sculpteur Juan Avalos pour concevoir le monument. Républicain, membre du PSOE, Avalos avait subi les purges politiques qui ont suivi la guerre civile Espagnole et subi l’exil dans les premières années du franquisme. Il n’avait accepté l’offre du « Caudillo » qu’en imposant des thèmes strictement religieux, sans références militaires ou politiques. De là la Pietà monumentale et les autres statues religieuses. Le projet gouvernemental est aujourd’hui si ostensiblement agressif et opposé à toute interprétation sensée du mot laïcité qu’une association « Sauver la vallée » s’est constituée. Une vidéo datant de 1993 circule, où Avalos, interrogé sur la volonté de certains extrémistes socialistes de « rénover » le monument au nom de la « mémoire » (déjà !) montre son agacement : « Tout cela nous blesse, nous surprend, nous fait mal et nous perturbe – pour ne pas dire des mots plus forts – que l’on parle encore de la Guerre civile. Nous, ceux d’entre nous qui aurions pu en garder rancune, l’avons oubliée. Il faut être sérieux et dire “ça suffit !” » Et comme le dit G. Payne, professeur émérite à l’université du Wisconsin et spécialiste de l’Espagne au XXème siècle, « la mémoire historique est une idéologie et un victimisme ». Qui séparent et opposent les hommes.

 

Pauline Mille