Le Sénat américain vote le “Freedom Act”, qui maintient les outils de la surveillance

Le Sénat américain vote le “Freedom Act”, qui maintient les outils de la surveillance
 
Le Sénat a voté par 67 voix contre 32 une loi qui remplace le « Patriot Act », dont d’importantes dispositions sont venues à échéance dimanche dernier à minuit. Le « Freedom Act », ou « Loi liberté » maintient les atteintes à la liberté organisées par la loi précédente, tout en les aménageant un peu mais en sauvegardant l’essentiel, du point de vue des partisans de la surveillance : elle permet la récupération des données électroniques les plus diverses à des fins de « renseignement étranger, de contre-terrorisme et d’enquêtes criminelles » en donnant les « autorités » nécessaires au gouvernement fédéral.
 
Le Freedom Act est donc en bonne voie d’adoption définitive. Si les partisans du respect de la vie privée, emmenés par le sénateur Rand Paul, voient sa progression comme une défaite, les tenants d’une surveillance généralisée pour la « sécurité » des Américains affichent leur déception et apparaissent l’avoir voté à regret. Pour la galerie ? On peut l’imaginer, vu que les dispositions du texte ne marquent aucunement une rupture avec les pratiques en cours.
 
De fait, s’il s’agissait vraiment de mettre fin aux pouvoirs exorbitants consentis au gouvernement fédéral par le Patriot Act, il suffisait de ne rien faire. L’échéance de plusieurs de ses grandes dispositions permettant notamment la collecte de métadonnées sans mandat judiciaire au profit de la NSA était acquise dimanche soir. La NSA n’aurait plus eu qu’à démanteler ses dispositifs de surveillance, si elle avait voulu (réellement) se mettre en conformité avec la loi.
 

Le Freedom Act, un toilettage qui maintient l’essentiel des outils de la surveillance

 
Les dommages et intérêts accordés par les cours américaines pouvant atteindre des dimensions gigantesques pour ceux qui essaieraient de passer outre les lois, on comprend que les autorités fédérales voulaient retrouver un texte de même nature.
 
Le Freedom Act limite les pouvoirs de collecte de métadonnées téléphoniques accordés au gouvernement : il met en place une période de transition de 6 mois qui déplace le fardeau de la conservation des archives des services de la NSA aux compagnies de télécommunications elles-mêmes. A la NSA, si elle désire y avoir accès, d’obtenir des permissions individuelles pour accéder aux informations ciblées et pertinentes, permissions qui seront données par une cour statuant sous le sceau du secret, la FISA. Le système prévoit la possibilité pour un avocat de venir plaider contre et certaines décisions pourront être publiées.
 
On peut considérer que les droits des personnes sont ainsi respectés. Mais l’essentiel demeure : la conservation systématique de toutes les données concernant les communications privées – il est vrai déjà organisée par les grandes compagnies qui les gardent pendant 5 ans – et la garantie offerte par l’intervention d’une cour spéciale, largement cosmétique. La FISA est connue pour accorder presque systématiquement les permissions sollicitées.
 

Le Sénat américain vote une loi qui ne satisfait personne – mais le Freedom Act est aux antipodes de la liberté

 
On peut croire le sénateur Mitch McConnell, chef de la majorité républicaine du Sénat et partisan du maintien du Patriot Act, lorsqu’il dénonce à la fois le fait qu’on enlève un outil aux responsables de la sécurité des Américains (en fait, on leur complique seulement un peu la vie) et l’absence d’« amélioration des protections de la vie privée des citoyens américains ».
 
Il y a en effet dans les tuyaux du Sénat un texte bien plus protecteur des libertés et de la vie privée : introduit par le Républicain Thomas Massie et par le Démocrate Mark Pocan le 24 mars dernier, le « Surveillance State Repeal Act » mettait un terme à la collecte systématique de données relatives aux échanges téléphoniques et courriels et limitait le pouvoir de la FISA aux affaires justifiées par un mandat judiciaire pris sur des soupçons « probables ».
 
Le Freedom Act ne fait que maquiller la situation. Le soutien qui lui a été apporté par l’administration Obama, observe The New American, suffit à montrer à quel point ce texte est au fond favorable à la surveillance.
 

Le Freedom Act, voulu par l’administration Obama qui a dû avouer quelques mensonges

 
Dans une longue tribune publiée par le Time Magazine, Rand Paul souligne que si Barack Obama a subi un revers avec le refus de prolonger le Patriot Act, les partisans de la collecte de métadonnées font aujourd’hui tout ce qu’ils peuvent pour persuader les Américains que la pratique n’est pas contraire à la loi et à la Constitution des Etats-Unis. Et de se dresser contre cette interprétation : le citoyen moyen suppose que ses coups de fil privés et ses courriels ne sont pas destinés à être lus par autrui ni exploités à quelque fin que ce soit.
 
Cette « présomption » de respect de la vie privée est mise à mal par le Freedom Act comme par le Patriot Act. Pour Rand Paul, cela signifie une marche continue vers l’autosurveillance où les particuliers se censurent eux-mêmes, et un vrai risque pour le journalisme d’investigation. Et pour la liberté d’expression en général. C’est une tendance qui s’est installée avec le Patriot Act.
 
« En réalité, la section du Patriot Act qui autorise le gouvernement à surveiller et à saisir légalement ce qui relève de la propriété privée sans le dire tout de suite aux propriétaires est utilisée dans 99,5 % non pas pour poursuivre des terroristes, mais pour permettre la poursuite d’Américains dans le cadre de délits domestiques », note-t-il pour conclure : « En ce qui me concerne, je resterai en permanence vigilant envers un gouvernement qui n’avoue ses atteintes aux libertés que lorsque ses mensonges ont été mis en évidence. »
 

Anne Dolhein