Génocides arménien et juif ne jouent pas dans la même catégorie, selon la Cour européenne

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La Cour européenne des droits de l’Homme vient de confirmer, mercredi, la condamnation de la Suisse qui avait pénalement sanctionné le nationaliste turc Dogu Perinçek pour ses discours négationnistes tenus, en conférence, à Lausanne. Dire que le génocide arménien n’est qu’un « mensonge international » ne constitue pas, devant les tribunaux, un délit condamnable – alors que pour le génocide juif, oui.
 
Ce verdict risque fort de faire jurisprudence pour toute l’Europe, gravant dans le marbre les interdictions et les permissions de la liberté d’expression. Bien que la majorité fût courte (dix voix contre sept), l’arrêt est définitif.
 

Liberté d’expression pour le génocide arménien

 
La Cour a estimé que le dirigeant du Parti de la patrie, Dogu Perinçek, avait admis les massacres et les déportations de masse commis au début de la Première guerre mondiale par l’empire Ottoman et n’avait pas « fait preuve de mépris ou de haine à l’égard des victimes ». En niant leur génocide sur un territoire suisse, il ne pouvait avoir aucune visée raciste.
 
Place à la liberté d’expression – l’Association Suisse-Arménie s’est déclarée « consternée et profondément choquée ».
 
Entre 1915 et 1917, 1,5 million d’Arméniens ont disparu de l’Empire ottoman. Les Turcs parlent toujours de 300.000 à 500.000 personnes « seulement », et récusent toute élimination organisée. La voix de Dogu Perincek, homme politique de gauche, était donc loin d’être isolée. Mais elle s’était élevée à Lausanne, en Europe.
 
Et les Suisses n’avaient pas apprécié cette liberté d’expression outrageuse : en 2007, il avait été condamné à une amende et à des dommages et intérêts, sanction confirmée peu après par le Tribunal fédéral. Les juges de Strasbourg, en 2013, l’avaient disculpé, mais la Suisse avait voulu porter l’affaire devant la Grande Chambre.
 
Qui a statué en sa défaveur.
 

Coup de frein général à la répression du négationnisme

 
Fallait-il s’y attendre ? Oui. Les lois dites « mémorielles » ne sont guère les bienvenues depuis quelques années. On a défini ce dont il fallait se souvenir – maintenant, stop.
En février 2012, le Conseil constitutionnel français invalidait déjà la loi sur la négation du génocide arménien votée un mois auparavant, au motif qu’elle portait « une atteinte inconstitutionnelle à l’exercice de la liberté d’expression et de communication ». Quelques années auparavant, en 2007, la Cour constitutionnelle espagnole avait rendu un verdict analogue.
 
Les États européens devront-ils adapter leurs lois ? Sans aucun doute. Selon les mots de Nicolas Hervieu, juriste européen, est proprement mise en cause « la cohérence globale des législations qui répriment le négationnisme en Europe ».
 
On rajoutera qu’au moment où Bruxelles propose 3 milliards d’euros à Ankara pour maintenir les réfugiés sur son sol, l’heure de la réprimande historique n’était, de toute façon, pas vraiment venue…
 

La défense de la Cour européenne sur la prééminence du génocide juif

 
Mais le point où la Cour était la plus attendue était celui de sa défense : comment allait-elle motiver les raisons de son verdict sur le génocide arménien, verdict opposé à celui qu’elle a délivré dans bien d’autres affaires ayant trait au génocide juif, en Allemagne, Autriche, en Belgique ou encore en France… ?
 
Car le génocide arménien fait bien partie, apriori, des trois grands génocides reconnus par les instances internationales – résolutions de l’ONU en 1985 et du Parlement Européen en 1987 – aux côtés de la Shoah et du génocide des Tutsis au Rwanda ; et de nombreux pays européens l’ont avalisé comme tel.
 
Premièrement : elle a soigneusement évité d’employer à son compte le terme de « génocide », « au sens que revêt ce terme en droit international », ne s’en octroyant pas la capacité juridique.
 
Deuxièmement : elle a argué que, dans le cas de la Shoah, « ériger en infraction pénale sa négation se justifie parce que, dans le contexte historique des États concernés, même habillée en recherche historique impartiale, celle-ci passe invariablement pour la traduction d’une idéologie antidémocratique et antisémite ».
 
Ainsi donc, ce sont les deux valeurs étalon de notre modèle de gouvernance mondialiste.
 

En France : le prochain verdict du Conseil constitutionnel

 
D’aucuns ont salué ce frein à la restriction de la liberté d’expression. Mais il ne met que plus en valeur que « la CEDH réserve [décidément] un sort à part à la Shoah », selon les mots de Nicolas Hervieu.
 
Certes, la répression du négationnisme par des lois se rajoutant les unes aux autres, créent un arsenal pénal injustifié et injustifiable – surtout dans une époque hautement permissive comme la nôtre. Mais cette décision européenne devrait alors s’appliquer uniformément…
 
A ce titre, il sera intéressant de voir le verdict du Conseil constitutionnel qui a été tout récemment saisi à propos de la loi Gayssot – loi qui, depuis 1990, sanctionne les discours niant la réalité de la Shoah. Sur demande du « révisionniste » Vincent Reynouard condamné en juin dernier à un an de prison ferme, les Sages vont examiner si, n’incriminant que la négation de certains crimes contre l’Humanité, elle « est susceptible de créer une inégalité devant la loi et la justice »…
 
La Cour européenne semble lui avoir montré la voie.
 

Clémentine Jallais