Une réunion secrète à Harvard sur la création d’un génome humain de synthèse

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Une réunion secrète s’est tenue à Harvard la semaine dernière en présence de quelque 130 participants de nombreux pays, en vue de discuter de la possibilité de créer un génome humain entièrement synthétique d’ici à 10 ans, en utilisant des substances chimiques simples. La réunion qui s’est tenue à huis clos était réservée aux invités : des biologistes, des spécialises d’éthique, des ingénieurs, ainsi que des représentants du domaine de l’industrie, du droit et des gouvernements qui se sont vu prier de ne pas en parler aux médias ni d’évoquer la rencontre sur Twitter.
 
Il s’agirait, d’après ce que l’on peut savoir auprès des organisateurs de la rencontre, d’un développement du programme américain Human Genome Project, une entreprise chiffrée à 3 milliards de dollars centrée sur le séquençage du génome humain.
 
Mais puisqu’on peut le lire, pourquoi ne pas tenter de l’écrire ? En l’occurrence, il s’agirait de créer une lignée cellulaire comportant un génome humain artificiel complet.
 

Près de 150 personnes réunis à huis clos à Harvard pour discuter de la suite du “Human Genome Project”

 
C’est l’un des chercheurs invités, Drew Endy, spécialiste d’ingénierie biologique à l’université de Stanford, qui a sonné l’alarme. Refusant de se rendre à la réunion, il a aussitôt écrit un article avec Laurie Zoloth, bioéthicien à Northwestern University, pour mettre en garde contre les dangers d’une telle initiative, dans un monde où la reproduction humaine fait aujourd’hui l’objet d’un marché fortement concurrentiel, où les gamètes et les embryons humains sont mis à prix.
 
Les deux scientifiques ont demandé que de telles discussions ne se tiennent pas dans le secret, et que l’on se demande d’abord à quel point il est acceptable de réaliser de tels projets. Serait-il, acceptable par exemple, de synthétiser le génome d’Einstein pour l’installer dans des cellules, et combien ?, demande Endy.
 
L’ultime conséquence de telles recherches pourrait être la création d’un génome synthétique permettant d’obtenir des êtres humains sans parents biologiques, notait le New York Times qui le premier, a révélé l’existence de la rencontre de Harvard.
 

La création d’un génome humain de synthèse est de l’ordre du possible

 
La création d’un génome humain supposerait la fabrication de l’ensemble de l’ADN contenu dans des chromosomes humains. Cela fait tout de même 3 milliards d’unités. Et beaucoup de questions quant à l’avenir de l’humanité…
 
George Church, professeur de génétique à l’Ecole de médecine de Harvard, co-organisateur de l’événement, s’est empressé d’en minimiser la portée, assurant qu’il y avait eu un malentendu. Le projet ne vise pas la création d’êtres humains mais seulement de cellules, a-t-il dit, et ne se limiterait pas au génome humain. La synthèse de l’ADN devrait permettre de travailler sur divers animaux, plantes et microbes. Quant au secret demandé aux participants, a-t-il ajouté, il visait en réalité la « transparence », puisque l’objectif serait de publier la teneur de la rencontre dans un journal scientifique, ce qui suppose de ne pas évoquer l’idée en public avant la publication. Il a assuré que cela fait bien longtemps que dans ce domaine de recherche, on se préoccupe des questions éthiques.
 
Ce qui reste bien flou. La résolution des problèmes éthiques aujourd’hui se fait plus souvent qu’à son tour en contradiction évidente avec la morale ; l’utilisation moderne du terme « éthique » s’est même imposée pour ne pas avoir à se référer à une morale commune traditionnelle.
 
George Church a également précisé que le projet ne dispose pas actuellement de financement, mais certaines entreprises et fondations ont fait part de leur intérêt, et il est prévu de solliciter le gouvernement fédéral des États-Unis.
 
Le projet en lui-même a été conçu à l’origine par le « futuriste » Andrew Hessel en 2012. Co-organisateur de la réunion, il en a exposé les contours dans une tribune publiée alors par le Huffington Post, ou il mettait en avant la simplicité actuelle de ces procédures complétement numérisées où l’on peut modifier le code génétique aussi simplement qu’on utilise un traitement de texte, et l’imprimer avec des synthétiseurs d’ADN.
 

Une réunion secrète pour assurer la « transparence » à propos de la création d’un génome humain artificiel ?

 
Assurant que trop peu de personnes s’intéressent à la biologie de synthèse et à son incroyable potentiel, Hessel appelait à une forme de réveil, que le défi d’« écrire » un génome humain de synthèse pourrait déclencher. Un défi technique, disait-il, dont l’objectif serait de montrer que ce génome peut être fonctionnel si on l’injecte dans une cellule de culture. « Ce que je ne veux certainement pas proposer, c’est de faire pousser un bébé à partir d’un génome de synthèse. Avant de pouvoir voler, nous devons savoir marcher », disait-il. Cette dernière remarque n’est décidément pas rassurante !
 
La biologie de synthèse n’en est pas à ses balbutiements. On modifie déjà l’ADN de manière commerciale dans l’industrie pharmaceutique ou dans les fameuses cultures OGM. Et la discussion est en cours pour savoir s’il est éthiquement acceptable d’opérer des changements génétiques dans des embryons humains.
 
Ce qui est en jeu dans le cadre de la réunion de Harvard, c’est de faire des modifications à grande échelle. En synthétisant l’ADN sans passer par un processus chimique appliqué à un génome existant, on se faciliterait l’existence en évitant les erreurs, et ce d’autant que les coûts de réalisation deviennent négligeables au niveau du gène : trois cents par paire de base contre quatre dollars en 2003. Les 3 milliards de lettres de l’ADN humain reviendraient à moins de 100 millions de dollars. Selon le Dr Endy, on peut prévoir un coût fortement réduit dans un avenir proche, qui pourrait descendre à 100.000 dollars d’ici à 20 ans.
 
Tout cela est-il techniquement faisable pour le génome humain dans sa complexité ? S’il est trop tôt pour répondre, l’existence du projet Harvard montre que c’est à la fois plus facile et moins cher aujourd’hui de l’envisager. Et qu’on peut supposer que dans ce domaine, nombre de scientifiques ne sont pas enclins à s’imposer des limites.
 

Anne Dolhein