On dit qu’on reconnaît la présence d’hommes dans les vestiges de la préhistoire grâce à leur art et aux preuves de la manière dont ils traitaient leurs morts et leurs malades. Seul l’homme ensevelit ; seul l’homme s’encombre d’estropiés pendant ses marches nomades, comme le prouvent ces ossements que l’on trouve avec des traces de rectification de fractures qui empêchaient certainement leurs victimes de se déplacer sans aide. On sait aujourd’hui que nos ancêtres des cultures antiques avaient eux aussi des enfants atteints de trisomie 21 – et qu’ils les traitaient fort bien.
C’est ce que révèle une étude publiée par Nature Communications, au carrefour de la génétique et de l’archéologie.
L’équipe multidisciplinaire dirigée par Adam Rohrlach et Maïté Rivollat a passé au crible l’ADN de quelque 10.000 individus retrouvés dans des lieux de sépulture datant des temps antiques, le plus ancien remontant à 2.500 ans avant Jésus-Christ, ce qui lui a permis d’identifier six enfants porteurs de la trisomie 21 et une septième victime du syndrome d’Edwards, la trisomie 18. Les sites étudiés se trouvent dans l’Espagne, la Bulgarie, la Finlande et la Grèce actuelles. Un dolmen dans l’actuelle Irlande abritait quant à lui un bébé de 6 mois atteint lui aussi de trisomie 21.
L’examen de leur dernière demeure a permis de voir le soin particulier qui avait entouré leurs funérailles, comme s’il s’agissait de membres particulièrement appréciés de leurs communautés respectives, y compris s’agissant d’enfants prématurés voire mort-nés.
Les enfants trisomiques des temps anciens étaient ensevelis avec soin
On a ainsi trouvé dans l’île d’Egine, en Grèce, une petite fille âgée de 12 à 16 mois morte, pense-t-on, entre 1400 et 1200 avant Jésus-Christ. On avait placé autour de son cou un collier coloré de 93 perles en pâte de verre, faïence et cornaline. Une autre petite fille âgée d’un peu plus de 2 ans, enterrée à Navarre en Espagne entre 800 et 500 avant Jésus-Christ, a été retrouvée entourée de beaux objets funéraires : bagues en bronze, un joli coquillage, sans parler des restes de trois moutons ou chèvres.
La simple étude des ossements retrouvés n’aurait pas permis de repérer les victimes de trisomie dont les savants pensaient qu’elles existaient aussi bien à cette époque-là qu’à la nôtre : il aura fallu la mise au point d’une méthode innovante d’étude statistique de milliers d’échantillons d’ADN permettant de repérer les chromosomes en plus.
Interrogé par MercatorNet sur le fait de savoir pourquoi l’ensemble des trisomiques identifiés étaient des enfants, le Dr Rohrlach a répondu que cela n’avait rien de surprenant : « Encore dans les années 1940, les personnes atteintes de trisomie 21 avaient une espérance de vie d’environ 12 ans… Cette espérance de vie est passée à environ 60 ans grâce à l’amélioration des soins de santé modernes. »
Il a ajouté que dans les différentes cultures où ces restes d’enfants trisomiques ont été retrouvés, ceux-ci étaient traités soit de la même manière que tous les autres, ou moyennant des égards particuliers : « Cela indique qu’on les reconnaissait comme membres de la communauté et qu’on ne les traitait pas moins bien dans la mort. »
On n’éliminait pas les enfants trisomiques
L’archéologue Roberto Risch, professeur à l’Université Autonome de Barcelone, s’est même dit intrigué par le traitement spécial réservé à certains de ces enfants handicapés. « Les restes ne permettaient pas de confirmer qu’ils avaient survécu à leur naissance, mais ils faisaient partie des nourrissons enterrés dans les foyers ou dans des bâtiments importants, sans que nous sachions pourquoi. La plupart des morts étaient incinérés à cette époque, mais il semble que ces enfants particuliers aient été délibérément choisis pour recevoir une sépulture spéciale. »
Bref, le handicap physique et mental n’empêchait pas nos ancêtres de considérer leurs enfants les plus vulnérables comme des êtres humains à part entière, à protéger et à chérir.
Tous nos ancêtres ? Non, on connaît hélas l’exemple de cultures qui pratiquaient le sacrifice humain et particulièrement celui des enfants, tels les Carthaginois qui les donnaient en nourriture au dieu Moloch. Ou les Romains de l’Antiquité, chez qui le paterfamilias avait droit de vie et de mort sur ses nouveau-nés : les petites filles et les bébés débiles étaient volontiers « exposés » aux éléments pour mourir.
Aujourd’hui, 90 % des petits trisomiques dans la plupart des pays occidentaux sont éliminés avant leur naissance par un eugénisme qui ne dit pas son nom. Le degré d’humanité d’une civilisation n’est décidément pas une constante de l’histoire.