C’est une information qui n’a pas du tout été reprise par la grosse presse française. Le petit pays qui a claqué la porte à l’Europe ne vaut sans doute pas la peine que l’on s’y intéresse – il a officiellement retiré sa candidature le 12 mars dernier au motif que « les intérêts de l’Islande sont mieux servis en dehors de l’Union européenne », ce qui n’est sûrement pas faux… Sa dernière « folie » tient dans un rapport signé par un parlementaire du Parti du progrès, Frosti Sigurjonsson, qui préconise d’enlever aux banques le pouvoir de créer de la monnaie… Au premier abord, un crime de lèse-majesté dans le monde de la finance internationale, mais la révolution de ce système que certains media alternatifs portent au pinacle n’en est pas vraiment une.
L’Islande contre les banques privées
Frosti Sigurjonsson est homme d’affaires et économiste. Dans ce nouveau rapport directement commandé par le Premier ministre et intitulé « Un meilleur système monétaire pour l’Islande », il n’y va pas par quatre chemins : il faut « rompre avec un système » qui a entraîné l’île dans une succession de crises financières, « plus de vingt » depuis 1875, les crises graves se manifestant « tous les quinze ans en moyenne ».
La question essentielle est celle du contrôle de la masse monétaire – le pouvoir politique est inféodé à ce dernier. En Islande, comme partout ailleurs, la banque centrale contrôle l’émission des pièces et des billets, mais la plus grande partie de la masse monétaire créée provient des lignes de crédit que les banques octroient à leurs clients – les banques commerciales islandaises ont créé environ 91 % de l’argent en circulation, contre 9 % pour la banque centrale. Ce qui engendre inéluctablement un décalage avec l’économie réelle et donc un risque d’inflation, de spéculation et de coûteuses menaces de faillites bancaires.
Rendre le pouvoir de création de la monnaie à la banque centrale… pas au parlement
La seule issue, pour Sigurjonsson, serait de redonner du pouvoir ou plutôt LE pouvoir à la banque centrale, pour retrouver ainsi la souveraineté monétaire. La banque centrale déterminerait le rythme de la création de la monnaie en fonction des besoins perçus de l’économie. Les banques ne garderaient que la gestion des comptes et moyens de paiement, ainsi que la fonction d’intermédiaires entre épargnants et emprunteurs.
« De façon essentielle, le pouvoir de création de la monnaie est isolé du pouvoir de décider comment cet argent sera utilisé », écrit Sigurjonsson. « Comme pour le budget de l’État, le Parlement débattra sur la proposition du gouvernement concernant la répartition de la monnaie nouvellement créée ».
Nous y sommes : le parlement ne déciderait en rien de la masse monétaire, mais seulement de sa répartition. C’est la banque centrale qui en aurait l’unique contrôle, au-delà de toute régulation gouvernementale. Et par qui serait-elle dirigée ? Par un nombre défini de personnages, un comité bien établi de sages suffisamment « sages » pour imposer à un pays la quantité de monnaie en circulation, le pourcentage d’inflation ou de déflation souhaité, les bulles ou les crises désirées…
En somme, une nouvelle oligarchie financière. Est-ce plus opportun ou plus moral qu’une coterie de banques commerciales créant pour leurs uniques profits ? L’économie tombe encore une fois dans le monde de la finance. C’est un autre cénacle, celui du système européen, celui de la BCE. C’est la porte ouverte au mondialisme.
Un nouveau système aux mains d’une nouvelle oligarchie financière
L’Islande a été l’un des premiers pays touchés par la crise économique de 2008, avec ses trois principales banques mises en faillite complète, un taux de chômage multiplié en deux ans par 9 et une dette s’élevant à 900 % de son PIB. Mais il est avéré que cette petite entité géographique de quelque 320.000 habitants, a retrouvé une croissance défiant toute concurrence en Europe : les prévisions sont de 4,2 % pour l’année 2015 contre 1% chez nous, selon la BCE – il faut encore y croire. Et cela, en volant de ses propres ailes, c’est-à-dire en refusant de s’imposer les directives du FMI et de payer ses dettes (décisions découlant en sus de référendums populaires !)
Le président islandais, Olafur Ragnar Grimsson, avait lui-même défendu cette posture au Forum économique de Davos en 2013 : « Nous n’avons pas suivi la traditionnelle orthodoxie dominante du monde occidental de ces trente dernières années : nous avons introduit des contrôles de monnaies, nous avons laissé les banques s’écrouler, nous sommes venus en aide aux pauvres, nous n’avons pas imposé de mesures d’austérité à l’échelle de ce que vous voyez aujourd’hui, en Europe »… Et de poser cette juste question : « Pourquoi considérez-vous les banques comme des églises de l’économie moderne ? »
Seulement, si ce rapport est approuvé par le parlement, le système islandais ne s’opposera plus vraiment au sens de l’histoire de la finance moderne, quoique cette dernière se voie entravée à l’échelon de ses banques commerciales. Cette nouvelle-fausse émancipation conduit l’Islande à une autre dépendance, tout aussi dangereuse que la précédente, celle des toutes-puissantes banques centrales : l’argent dirige encore et toujours la politique.
Clémentine Jallais