De tout le pays, les touristes affluent pour voir l’inattendu, ce qu’on pensait ne plus pouvoir advenir de manière aussi flagrante : des enfants. Ce tableau fait d’ailleurs presque peur, tant l’on croit voir une scène de dystopie futuriste… Dans la ville de Nagi, petite bourgade de 6.000 âmes, près de la moitié des ménages ont trois enfants ou plus. Son taux de fécondité est plus de deux fois supérieur au taux national.
Quel est son secret, dans ce Japon qui sombre ? Il est le fruit d’un long travail : vingt ans ont été nécessaires pour contrer le sens du vent ou de l’histoire. Nagi est le témoignage que tout peut s’inverser, et non pas seulement à coups de financements mais aussi et surtout avec un réel changement d’état d’esprit, loin de tout wokisme.
Triste démographie du Japon
En 2022, le Japon a connu son taux de natalité le plus bas depuis 1899, avec un total de 800.000 naissances, soit seulement la moitié du nombre de décès enregistrés au cours de la même période. La même année, son taux de fécondité était de 1,26 enfant par femme, contre 1,8 en France (seul le taux minimal de 2,1 garantissant une population stable). La grande puissance industrielle a déjà vu diminuer sa population de 4 % depuis 2009 et tout laisse à penser que le rythme va inéluctablement s’accélérer.
Le Premier Ministre japonais lui-même a averti de cette épée de Damoclès. « C’est maintenant ou jamais pour les politiques relatives aux naissances et à l’éducation des enfants – c’est une question qui ne peut tout simplement pas attendre plus longtemps », a-t-il déclaré dans un discours politique en janvier. C’est toute la société, toute la nation qui pourrait disparaître, car la main-d’œuvre en diminution constante ne sera pas en mesure de subvenir aux besoins des personnes âgées, à mesure que leur nombre augmente.
Le mois suivant, il s’est déplacé lui-même dans cette petite ville qui montre aux Japonais que tout n’est pas perdu : Nagi.
Un taux de fécondité record de 2,95 enfants par femme
Au départ, Nagi n’avait aucune raison de ne pas finir comme toutes ses autres sœurs japonaises. Excentrée, loin de toutes les grandes villes, dépourvue d’industrie particulière, elle est néanmoins passée en l’espace de vingt ans à un taux de fécondité record de 2,95 enfants par femme.
Tout a commencé en 2002 quand, devant la désertification progressive du tissu urbain, la proposition de fusionner avec les villes voisines a été soumise aux habitants. Ces derniers ont refusé et ont pris le taureau par les cornes. Ils ont rationalisé la gestion municipale, réduit les budgets et favorisé la participation locale. Les grandes économies réalisées, près de 1,2 million de dollars ont été le capital de départ pour une restructuration et une réévaluation des besoins et des objectifs… dont le premier fut : l’éducation des enfants.
Tiens !
A la mi-août, le maire de Nagi a déclaré au Los Angeles Times : « Les gens ont fait un grand pas dans leur tête lorsqu’ils ont choisi de ne pas fusionner avec d’autres municipalités, parce que nous devions survivre en tant que ville. » Et quelle est la condition de la survie en solo ? Les bébés !
Nagi, championne de l’éducation des enfants
Dès 2004, Nagi a développé des politiques favorables à la famille. La ville a commencé à offrir des services médicaux gratuits aux enfants jusqu’au collège, puis jusqu’au lycée. La prime équivalent à 2.500 euros dès le premier enfant s’est vu continuer par une prime systématique et croissante à chaque enfant supplémentaire. D’autres politiques ont encouragé les familles, telles que le subventionnement des services de garde, des frais d’éducation et des traitements contre l’infertilité, mais aussi des repas scolaires, des billets de bus, des manuels scolaires…
Au premier trimestre 2023, Nagi a organisé une campagne offrant jusqu’à 4.400 euros aux jeunes d’une vingtaine d’années pour enregistrer leur mariage dans la ville, et la moitié de ce montant pour les couples dans la trentaine. Et les seniors font également partie intégrante de ce renouveau : un réseau de leurs bénévoles assure le fonctionnement des deux crèches de la commune, quand d’autres effectuent des tâches commandées par le conseil municipal.
A l’instar des maisonnées d’antan où toutes les générations se mélangeaient pour que la disponibilité des uns permette le travail des autres, Nagi a fait le choix de vivre selon ce modèle qu’on disait périmé et ringard, selon ces valeurs traditionnelles qu’on voudrait écraser au profit de l’éclatement tous azimuts des foyers.
« Ce qui compte vraiment, c’est l’état d’esprit des habitants »
Plus de 100 délégations de bureaucrates et de politiciens japonais sont venues en visite cette année, sans compter de nombreux visiteurs internationaux dont plusieurs responsables sud-coréens pleurant sur leur taux de natalité de 0,78, le plus bas au monde. On parle même d’un tourisme nataliste… et la petite ville a fini par faire payer un montant forfaitaire par personne, générant ainsi un modeste flux de revenus municipaux.
Maintenant, ce modèle peut-il s’appliquer à toutes les villes ?
Pour le coordinateur de la nouvelle Agence pour l’enfance et la famille, créée par le gouvernement national japonais en avril et dotée d’un budget annuel d’environ 34 milliards de dollars, la réponse est oui. « Le mode opératoire de Nagi, qui consiste à créer un environnement confortable pour les ménages qui élèvent leurs enfants en dépensant cet argent, est transférable aux plus grandes municipalités. »
Le défi est celui de l’ajustement. Mais c’est aussi et surtout celui… de l’état d’esprit. Et cette remarque est capitale.
On a seriné aux jeunes générations des grandes villes qu’il fallait vivre et user de cette société de consommation, qu’avoir des enfants était un luxe. Difficile, à présent, de freiner ce train progressiste. Pour un directeur à l’Institut national de recherche sur la population et la sécurité sociale, « ce changement d’attitude reste l’un des principaux obstacles à l’amélioration des taux de natalité ».
Il n’y a donc pas que les finances : doit préexister la conception que l’on se fait de la vie et du sens des générations. « L’aide à l’éducation des enfants est bénéfique, continue ce directeur. Cependant, ce qui compte vraiment, c’est l’état d’esprit des habitants de Nagi, selon lequel avoir un enfant est une bonne chose. »