Jean-Pierre Chevènement : une certaine vision du monde

Jean-Pierre Chevènement vision monde
 
Jean-Pierre Chevènement a donné au Figaro une certaine vision du monde. Interrogé au mois de juillet, l’ancien ministre de l’Intérieur, de la Défense et de l’Education nationale livre, sur notre monde en désarroi, certaines réflexions qui ne sont pas sans intérêt – et que le site du Figaro vient de publier. Celui qui considérait qu’« un ministre, ça ferme sa gueule ; si ça veut l’ouvrir, ça démissionne » considère depuis déjà quelques années qu’il n’est plus tenu par l’orthodoxie gouvernementale. Il n’en reste pas moins, fondamentalement, un homme de gauche…
 
Interrogé sur la question grecque – Athènes était alors en plein referendum – Jean-Pierre Chevènement n’hésite pas à opposer, sur la construction européenne, un certain bon sens à l’idéologie : « (…) Des prix Nobel d’économie comme Joseph Stiglitz ou Paul Krugman, mais aussi en France le directeur de la recherche et des études de Natixis, Patrick Artus, qui n’a rien d’un gauchiste, s’accordent à reconnaître que la dette grecque, qui représente 177 % du PIB, n’est pas soutenable ni donc remboursable. Il y a une volonté punitive dans ce “plan d’aide” : on voulait par avance donner une leçon au Portugal, à l’Espagne, à l’Italie, voire à la France. »
 

Jean-Pierre Chevènement

 
« Plus largement, continue-t-il à propos de ce plan d’aide à la Grèce, il est le symbole de l’échec de la “règle d’or” imposé en 2012 à tous les pays d’Europe après avoir été adoptée par l’Allemagne dès 2009. Mais ce qui vaut pour l’Allemagne ne peut pas valoir pour tous les autres. On touche au vice originel de la monnaie unique qui juxtapose des pays très hétérogènes et fait diverger leurs économies au lieu de les faire converger. Par un mécanisme bien connu, les zones les plus productives ont vu leur production croître tandis que les zones moins compétitives ont vu la leur décliner et se sont donc appauvries. Il y a un défaut de conception au départ dont le résultat était tout à fait prévisible. »
 
Jean-Pierre Chevènement est un fin connaisseur du monde politique, et un vieil habitué de ses arcanes. Ce qui lui permet d’asséner quelques vérités mal venues lorsqu’elles sont évoquées par d’autres, même contre certains de nos dirigeants politiques européens.
 
Ainsi, par exemple, d’Angela Merkel ou de Jean-Claude Juncker : « Le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker a dit : “Il n’y a pas de démocratie en Europe en dehors des traités.” Or le traité de Lisbonne reprend la quasi-totalité, la “substance” comme l’a dit Madame Merkel, du projet de “traité constitutionnel” qui avait justement été rejeté par le peuple français en 2005 par référendum. »
 

Une certaine vision du monde européen

 
Le fondateur du Mouvement républicain et citoyen va même plus loin : « Les dirigeants européens ont amené les peuples où ils ne voulaient pas aller sans leur poser franchement la question. A la fin, s’apercevant de la supercherie, ces derniers ont dit non, en France, mais aussi aux Pays-Bas, au Danemark ou en Irlande. Pourtant les dirigeants ont considéré que cela ne valait rien, au regard d’une orthodoxie européenne qu’ils considèrent au-dessus de toute démocratie. »
 
C’est ce que Jean-Pierre Chevènement appelle « la nature profondément antidémocratique de l’actuelle construction européenne ». A savoir une Europe dans laquelle « les peuples européens sont amenés à se dépouiller peu à peu de leur souveraineté sans en avoir réellement conscience ».
 
Et il ajoute avec une certaine force : « Dès le départ, l’Europe repose sur un postulat non vérifié : on a voulu faire l’Europe contre les nations ; on pensait qu’elle pouvait s’y substituer. Or les nations sont le cadre d’expression de la démocratie. »
 
C’est pour cette raison que Jean-Pierre Chevènement, qui se veut « profondément européen », appelle à une révision des modalités de l’actuelle construction européenne, prônant, par exemple, le remplacement de la monnaie unique part une monnaie commune.
 

Face au monde islamiste… ou musulman ?

 
Autre grand sujet de l’entretien, les relations entre terrorisme et islam. D’emblée, le sénateur du Territoire de Belfort entend montrer qu’il est un homme aux idées larges, et qu’il ne pratiquera pas, sur ce délicat sujet, l’amalgame – même s’il n’emploie pas le mot. « Le but des islamistes, affirme-t-il, est de créer un affrontement du monde musulman tout entier contre l’Occident. Ils veulent le choc des civilisations, mais nous ne devons pas tomber dans ce piège. »
 
Néanmoins, il y a dans sa réflexion quelques éléments intéressants. Ainsi en ce qui concerne notre équilibre social : « Nous avons des tensions liées à la situation économique et des tensions qui résultent de la concentration de populations immigrées dans certains quartiers ou dans certaines zones comme la Seine-Saint-Denis ou les quartiers Nord de Marseille. Tout cela témoigne d’une grande cécité historique de la part des pouvoirs publics. Il faut mener une politique d’intégration, mais cela suppose d’abord que la France s’aime assez elle-même pour donner envie à ses enfants de s’intégrer à elle. »
 
Evoquant, par ailleurs, le déferlement migratoire, il observe : « Nous pouvions protéger Benghazi, comme le préconisait le mandat de l’ONU, sans pour autant faire tomber Kadhafi. Nous avons livré la Libye au chaos, comme les Américains l’on fait avec l’Irak. Dès lors, il ne faut pas s’étonner de voir les migrants déferler sur les côtes italiennes. »
 
Ou encore : « Nous sommes dans une situation où la France devrait jouer les intermédiaires entre un certain nombre de courants démocratiques et le régime de Damas, si déplaisant soit-il. Le régime syrien est un régime brutal et violent, mais qui a au moins le mérite de ne pas chercher à instaurer un Califat, y compris en Seine-Saint-Denis. (…) Il y a deux ans il s’agissait d’intervenir pour le faire tomber. Heureusement, les Russes et les Américains nous ont évité ce qui aurait été une grave erreur. »
 

Voie médiane et moindre mal

 
A lire Jean-Pierre Chevènement, on comprend que l’homme veut avant tout tenir une position équilibrée, modérée. Certaines de ses réflexions sont manifestement saines, même si la philosophie qui inspire l’ensemble de son engagement se fonde sur quelques-uns des poncifs les plus détestables de la gauche – lesquels transparaissent ça et là dans l’entretien.
 
Cela dit, son amour de la patrie, sa défense régulière de sa souveraineté l’amènent à relativiser certaines pratiques où l’idéologie a définitivement supplanté la politique, ce qui, en définitive, lui donnerait quelque parenté, ou voisinage, avec certain parti classé plus à droite – et qui compte d’ailleurs certains de ses anciens adeptes…
 
Sans entrer dans une tentative de réponse sur la question très disputée de savoir si cela constitue un début de bien ; ou un moindre mal…
 

François le Luc