Le vingt mars est désormais la Journée internationale du bonheur. Le premier réflexe est de rire de cette niaiserie. Il n’y a guère de cause ou de chose qui n’ait aujourd’hui sa journée mondiale, sauf peut-être le bégonia et la sottise. Mais cette nouveauté est hélas une pitrerie dangereuse, un jalon de la spiritualité globale préparée par l’ONU. Par Maurice Poznan.
Elle a conçue à sa suite de rapports émis par des crânes d’œuf et des fonctionnaires internationaux surpayés. Puis elle a été décidée par l’Assemblée générale de l’Onu et fait l’objet d’une déclaration officielle de son secrétaire général Ban Ki Moon, plus à l’aise en la matière que sur l’Ukraine.
Elle s’inscrit dans la lignée de Rio+ 20 (la suite de la Conférence de la Terre), et fait partie d’une réflexion qui conjugue économie, écologie et philosophie. Selon Ban Ki Moon, « les notions sœurs que sont le bonheur et le bien-être occupent une place de plus en plus importante dans les discussions internationales sur le développement durable et l’avenir que nous souhaitons. » Et plus précisément, « les discussions théoriques sur la qualité de vie » doivent laisser place « à l’adoption de mesures législatives et politiques concrètes ».
Prétextes : paix, justice, prospérité
Les buts allégués sont classiquement la paix, l’extinction de la pauvreté, la justice, les droits de l’homme. L’analyse qui justifie ce nouveau champ de compétence et d’action de l’ONU est que la « prospérité économique ne doit plus être le seul élément déterminant de l’évaluation d’une société ». D’où l’existence d’autres indicateurs comme l’index du développement humain, l’indicateur du bien être (well being) et même du « bonheur brut ».
Le Bouthan est notamment cité en exemple par l’ONU, depuis qu’en 1987 le roi Wangchuck en avait fait un principe de gouvernement, élaborant un indice où la protection des forêts et l’éducation gratuite comptaient autant que la production électrique vendue à l’Inde. Cet indice alternatif s’appuyait sur sept facteurs, proposés par le président de l’International Institute of Management, Med Jones : l’économique, l’environnement, la santé physique, la santé mentale, le bien-être au travail, le bien-être social et la santé politique.
Un seul hic, le Bouthan a enterré le concept de bonheur brut en juillet 2013. Mais l’ONU a trouvé un chouchou de rechange, le Costa Rica, lui aussi modèle de développement harmonieux et « holistique ». Le mot holistique est déterminant dans l’affaire. Dans son message d’aujourd’hui, Ban Ki Moon a en effet déclaré : « Le monde a besoin d’un nouveau paradigme économique qui reconnaît la parité entre les trois piliers du développement durable. Le bien-être social, économique et environnemental est indissociable. Ensemble, ils définissent le bonheur brut mondial »
Holisme, nouveau paradigme, spiritualité globale
Il a encore précisé que tous les problèmes ainsi posés étaient « interconnectés » et qu’il était approprié de les traiter ensemble d’une manière « holistique ». En tenant compte que le but de cette révolution politique est une « transformation personnelle » donc morale et spirituelle, dans une approche « collective du bonheur ».
Toute cette phraséologie demande un glossaire pour être démystifiée. Le holisme est « un point de vue qui consiste à considérer les phénomènes comme un tout ». Et l’anthropologie holistique « considère les divers aspects de la vie sociale comme formant un ensemble solidaire, dont les diverses parties ne peuvent se comprendre que par le tout ».
Quant au mot paradigme, qui signifiait au dix-huitième siècle le « mot type donné comme modèle d’une déclinaison » (exemple, rosa), il est utilisé par les bureaucrates internationaux humanistes dans son sens du seizième siècle de « exemple, modèle » appliqué à une société, à la planète. Le nouveau paradigme qu’appelle Ban Ki Moon de ses vœux, est une approche globale de tous les problèmes politiques et sociaux.
Il a cité dans son laïus les noms de Boudha et Aristote, deux références indiscutables à l’Est et à l’Ouest, pour indiquer que l’Ouest et l’Est, contrairement à ce que pensait le franc-maçon à l’ancienne Kipling, sont appelés à se rencontrer dans une spiritualité globale commune à la planète. Voilà le projet qui est sous-jacent à cette pitrerie dangereuse de journée du bonheur, et qui empêche d’en rire franchement.