Mercredi, un lycéen de 16 ans, Mehmet Emin Altunses, a été arrêté, inculpé et incarcéré à Konya, ville du centre de la Turquie, pour « insulte au président » Recep Tayyip Erdogan, après l’avoir accusé de « corruption ». Suite à une requête déposée par ses avocats, l’adolescent a finalement été remis en liberté vendredi.
Membre d’un mouvement de gauche, le garçon était accusé par la justice d’avoir « insulté » le président turc à l’occasion d’une cérémonie à la mémoire d’un jeune instituteur laïc tué par des islamistes dans les années 1930, en prononçant un discours dans un square de la ville de Konya, au cours duquel il a accusé le président Erdogan d’être « le chef du vol, des pots-de-vin et de la corruption ».
Outre ses critiques à l’égard du pouvoir, le jeune homme y a défendu la laïcité et les principes du fondateur de la république Mustafa Kemal Atatürk.
Durant son exposé, la foule entourant le jeune garçon scandait : « La corruption est partout. »
L’adolescent nie l’insulte
Interpellé un peu plus tard par la police dans l’enceinte de son école, et présenté dans la soirée devant un juge, le jeune homme a rejeté les accusations, mais a cependant été inculpé et écroué pour un délit lui faisant risquer jusqu’à quatre ans de prison.
Sa mère, Nazmiye Gök, une cuisinière au chômage, s’est dite choquée de l’arrestation de son fils comme s’il s’était agi d’un terroriste armé. « Ce n’est qu’un enfant, sa place est à l’école et non en prison », a-t-elle déclaré au journal Hürriyet.
Devant les journalistes, le premier ministre Ahmet Davutoglu a, lui, défendu sans surprise la décision de la justice, conforme au code pénal turc, affirmant que « tout le monde doit faire preuve de respect à l’égard de la fonction de président ».
La Turquie du président Erdogan
Il faut dire que, il y a tout juste un an, une série de scandales de corruption ont touché le gouvernement de celui qui n’était alors que le premier ministre Erdogan, contraignant quatre de ses ministres à démissionner. La justice avait alors interdit de diffuser et publier toute information relative à ces scandales. Recep Tayyip Erdogan accuse d’ailleurs un ancien allié, devenu son ennemi numéro principal, l’imam Fetullah Gülen, depuis exilé, d’avoir orchestré ces accusations de scandale pour le renverser.
Malgré tout, l’opposition semble décidée à ne plus se taire. Riza Türmen, député du Parti républicain du peuple, le principal parti d’opposition, et ancien juge de la Cour européenne des droits de l’Homme, a dénoncé avec vigueur une arrestation qui va à l’encontre de la convention des droits de l’enfant de l’ONU : « Les régimes qui s’emparent d’enfants dans des classes d’écoles et les jettent en prison sont des régimes fascistes. »
« Un environnement de peur, d’oppression et menaçant » est en train d’être créé par la présidence, renchérit de son côté sur les réseaux sociaux Atilla Kart, membre du même parti.
Et, de fait, trois lycéens qui manifestaient jeudi leur soutien au jeune incarcéré ont été interpellés en fin d’après-midi et quatre autres étudiants (non mineurs) sont poursuivis pour le même motif – sans être, pour leur part, interpellés.
Ce n’est qu’un début…
Finalement libéré suite à la requête déposée par son conseil, Mehmet Emin Altunses devrait donc comparaître libre, en cas de procès. A sa sortie de prison, le jeune homme a lancé aux journalistes qui l’attendaient nombreux : « Pas question de faire marche arrière ; nous allons continuer dans cette voie. »
Il y est de fait encouragé par un fort soutien populaire. D’autant que, souligne maître Sezgin Tanrikulu, par ailleurs vice-président du même parti Républicain du peuple, « la libération de l’adolescent ne change pas la situation misérable dans laquelle se trouve notre démocratie ».
Une question à laquelle, pour le moment, et malgré les risettes d’une Union européenne qui prétend admettre son pays en son sein, le président turc Erdogan ne sait quelle réponse apporter…