Il a été crié par l’auteur de bande dessinée de gauche consensuelle Jul (Silex and the city, scénario de Lucky Luke) parce que son adaptation « modernisée » de La Belle et la Bête commandée par le ministère de l’Education Nationale n’a finalement pas été retenue. Elle devait être imprimée à 800.000 exemplaires et distribuée gratuitement aux élèves de CM2 afin qu’ils le lisent pendant leurs vacances. Mais le ministre, Elisabeth Borne, dont la plume avait préparé une préface louangeuse, a finalement renoncé, jugeant que « l’ironie et le second degré » de la brochure risquaient de troubler des enfants de dix ans « sans soutien pédagogique ». Jul parle de « dérive délirante et très très préoccupante », mais il sera dédommagé par le ministère et libre de publier son livre, qui bénéficie d’une publicité gratuite, où il le veut. Il n’y a donc, quoi qu’on pense de la décision du ministre, pas de censure, et ce qui choque le plus, du point de vue de l’Education Nationale, c’est que celle-ci se croie autorisée à gaspiller l’argent public dans des commandes pharaoniques de livres de vacances alors qu’elle n’est capable ni de maintenir l’ordre à l’école ni d’y apprendre à lire, écrire et compter.
Il y a censure et censure
Un cas de censure avérée vient en revanche de se produire en marge de l’Education Nationale. Les presses universitaires de France, PUF, ont annulé la publication de Face à l’obscurantisme woke, qui dénonçait les « idéologies décoloniales (et les) théories de la race et du genre dans les milieux actuels de la recherche en lettres et sciences humaines, en droit et même dans les sciences dures ». Joli sujet. Mais l’éditeur a estimé « que les conditions nécessaires à un accueil serein de ce livre collectif ne sont plus réunies aujourd’hui, le projet de cet ouvrage ayant été conçu il y a plus de deux ans dans un contexte bien différent ». Manière élégante de dire qu’une équipe de trois universitaires contactés par les PUF pour écrire ce livre, Pierre Vermeren, historien, Xavier-Laurent Salvador, professeur de lettres modernes et Emmanuelle Hénin, professeur de littérature comparée, ont travaillé trois ans pour rien.
Une censure vertueuse
Pour se justifier, l’éditeur s’inquiète de ce qui se passe aux Etats-Unis sous la baguette de Donald Trump, invoquant le « contexte politique et international actuel ». On craint de comprendre. Critiquer les dérives intellectuelles de l’université équivaudrait-il à faire son petit Trump ou souhaiter le malheur des Ukrainiens ? La réalité est plus simple. Les auteurs ont tout simplement été victimes d’une de ces délations vertueuses qui font le piment du totalitarisme participatif moderne. La télé en ligne de Laurent Greilsamer, Arrêt sur images, leur reproche d’être liés à l’Observatoire d’éthique universitaire, anciennement Observatoire du décolonialisme qu’il accuse d’être un « faux think tank » pour avoir publié un rapport sur le concept d’islamo-gauchisme à l’université, après que le CNRS eut refusé d’enquêter à son sujet.
Cela, c’est proprement la censure : des méchants enquêtent sur quelque chose que les bons veulent protéger, les bons décrètent les méchants incompétents afin de discréditer leur étude et de priver le public de sa publication.