De Lénine à Davos : la presse russe met en garde contre une situation révolutionnaire

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La célébration du centenaire de la révolution bolchevique a bien commencé dans la presse russe. La version anglophone du média officiel rt.com publiait jeudi une tribune du journaliste John Wight, actif dans la presse de gauche comme le Huffington Post au le London Progressive Journal. Il commente les récentes statistiques publiées par Oxfam selon lesquelles huit hommes détiennent davantage de richesses que la moitié la plus pauvre de l’humanité. Sous le titre « De Lénine à Davos : une sérieuse mise en garde contre les excès du capitalisme », le journaliste évoque une situation explosive, révolutionnaire. Comme si tout était réuni pour que Lénine renaisse de ses cendres.
 
Sans tenir compte des sérieuses critiques émises à l’encontre du mode de calcul d’Oxfam, qui met dans le même panier la misère la plus absolue et l’endettement d’un tout frais diplômé des études supérieures, Wight s’étonne de l’étonnement du monde par rapport à cette inégalité de plus en plus abyssale, directement imputable au « néolibéralisme ».
 

La presse russe parle d’une situation révolutionnaire comparable à celle de 1917

 
« Lorsque la révolution russe s’est produite il y a 100 ans en 1917, c’était en réponse à un ordre économique responsable du conflit global le plus dévastateur que le monde ait jamais connu, responsable de 17 millions de victimes et d’autres millions de blessés et de mutilés. » Guerre à propos des possessions coloniales, assure le journaliste, elle visait à promouvoir les intérêts des Européens ivres de leur désir de richesse et de puissance.
 
« C’est exactement le même niveau d’avidité, avec une entière absence de souci des travailleurs et des pauvres de la part des super-riches et de l’élite, qui est la force idéologique animant le néo-libéralisme de notre temps, quoi qu’en disent ses partisans et ses apologistes. Les huit multimilliardaires évoqués dans le rapport d’Oxfam, qui possèdent davantage que 3,6 milliards d’êtres humains en 2017 sont les suivants : Bill Gates, Amancio Ortega, Warren Buffet, Carlos Slim Helu, Jeff Bezos, Mark Zuckerberg, Larry Ellison et Michael Bloomberg. Ce qui est frappant mais sans doute pas très surprenant, c’est qu’ils sont tous, à deux personnes près, américains », observe John Wight.
 

Le souvenir de Lénine agité contre les « ultra-libéraux » de Davos

 
Une telle accumulation « obscène » de richesse ne serait pas possible sans un ordre politique et économique global complice, « antithèse de la souveraineté nationale », et donc de la démocratie. Selon le journaliste, les gouvernements peuvent bien s’exprimer comme s’il possédaient le pouvoir, « en vérité ils ne sont que des courtiers aux ordres des corporations globales et de ceux qui les possèdent ».
 
Les attaques contre le néo-libéralisme, quelles que puissent être leur justesse et leur prévalence aujourd’hui dans les milieux dits populistes, servent en réalité un esprit de gauche. Et elles reviennent beaucoup dans la rhétorique russe.
 
John Wight s’étonne pour sa part de ce que ces niveaux « obscènes » d’inégalité n’aient pas déclenché une révolution sociale comparable à la révolution russe, pour aller contre « la nature irrationnelle et injuste de ce statu quo ». Et de dénoncer ce que « l’on ose encore appeler la civilisation occidentale » qui se satisfait de cet état de fait.
 
Discrètement, le journaliste appelle à la révolte en la présentant comme nécessaire devant une réalité à laquelle nous sommes devenus insensibles et que nous ne croyons pas susceptible de changer.
 

Comme si les ultra-libéraux n’avaient pas aidé le communisme…

 
« Cela nous ramène à Lénine et aux bolcheviks en 1917. Ils ont refusé d’ignorer la réalité ou de devenir insensible à son égard. Au contraire, ils ont surfé sur la vague de colère qui s’était grossie des souffrances et des injustices endurées par les masses en Russie, avec au bout du compte une révolution qui non seulement a réussi à renverser l’ordre établi dans leur propre pays, mais qui a même réussi à menacer d’en faire autant à travers toute l’Europe. Le résultat final, révèle l’histoire, a été un collapsus sociétal cataclysmique dont personne ne doit penser à tort qu’il ne se produira plus jamais. Car cela se peut », avertit l’éditorialiste.
 
Chose intéressante, il conclut : « En réalité, le seul tort des bolcheviks a peut-être été d’arriver trop tôt. Cependant, le fait que leurs semblables reviendront devient de plus en plus certains avec chaque année qui passe où le monde reste un enfer pour le grand nombre et un paradis pour le petit nombre. Nos huit multimilliardaires et les membres de l’élite de Davos devraient en prendre note. »
 
On retrouve là, à l’état chimiquement pur, un discours dialectique, inventant toujours de nouvelles luttes des classes et comptant sur leurs confrontations pour faire avancer la Révolution. Si les bolcheviks ont eu « tort » d’arriver trop tôt, c’est bien qu’il pourraient avoir raison d’arriver maintenant. Voilà un discours qui n’effraie pas les médias russes.
 

Anne Dolhein