Léon XIV remet en garde contre l’intelligence artificielle : « Il sera très difficile de découvrir la présence de Dieu dans l’IA »

Léon garde intelligence artificielle
 

A plusieurs reprises, la biographie consacrée au pape Léon XIV par Anne Elise Allen, Léon XIV, citoyen du monde, missionnaire du XXIe siècle, évoque la pensée du nouveau pape au sujet de l’intelligence artificielle. La journaliste l’a questionné à ce sujet à divers moments des deux entretiens qu’elle a menés avec lui au mois de juillet et qu’elle propose au fil des pages. Léon XIV ne condamne pas l’IA en tant que telle, mais tient à en souligner les dangers majeurs dans la mesure où elle annonce une véritable nouvelle « révolution industrielle » qui affectera l’homme dans sa vie sociale, mais aussi et plus gravement dans sa capacité à trouver Dieu, suggère le pape. Le cœur humain « risque de se perdre », avertit-il.

Voici quelques extraits de ses propos traduits par nos soins. – J.S.

 

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Léon XIV et l’intelligence artificielle

 

Je pense que nous devons parler de ceci : la crise qui s’annonce pour la technologie, l’intelligence artificielle, pour la main-d’œuvre, et le nombre suffisant d’emplois pour les gens… Si nous automatisons le monde entier et que seules quelques personnes ont les moyens non seulement de survivre, mais aussi de bien vivre, d’avoir une vie significative, il y a un gros problème, c’est un énorme problème qui se profile à l’horizon. C’est l’une des questions que j’avais à l’esprit lorsque j’ai choisi le nom de Léon, par rapport aux événements actuels et aux défis qui nous attendent.

(…)

En ce qui concerne l’intelligence artificielle, chaque fois que j’essaie d’en dire quelque chose, je lis les nouvelles le lendemain et l’intelligence artificielle a encore progressé. Le développement qui se produit à un rythme incroyable est également préoccupant. (…) Je dirai que si nous perdons de vue la valeur de l’humanité et pensons que le monde numérique est la chose la plus importante, et que nous pensons ensuite aux personnes extrêmement riches qui investissent dans l’intelligence artificielle en ignorant totalement la valeur des êtres humains et de l’humanité, je pense que l’Eglise doit élever la voix à ce sujet. Notre vie humaine a un sens non pas grâce à l’intelligence artificielle, mais grâce aux êtres humains et à la rencontre, au fait d’être ensemble, de créer des relations et de découvrir dans ces relations humaines la présence de Dieu.

Il sera très difficile de découvrir la présence de Dieu dans l’IA. Dans les relations humaines, nous pouvons au moins trouver des signes de la présence de Dieu. Quand je parle de respect mutuel, de l’importance de la famille et des valeurs d’égalité, et de vivre et travailler ensemble en paix, ce sont des valeurs qui découlent d’une réelle compréhension du merveilleux cadeau que Dieu nous a fait en tant qu’êtres humains.

Si l’Eglise ne fait pas entendre sa voix, ou si personne ne le fait – même si l’Eglise doit certainement être l’une des voix qui s’expriment –, le danger est que le monde numérique suive son propre chemin et que nous devenions des pions, ou que nous soyons laissés de côté.

La dignité humaine a un rapport très important avec le travail que nous faisons. Le fait que nous puissions, grâce aux dons qui nous ont été donnés, produire, offrir quelque chose au monde et gagner notre vie, fait même partie du respect de soi, du respect de sa propre famille. Certaines de ces valeurs sont actuellement menacées, et l’Eglise doit donc soulever cette question.

Je m’intéresse beaucoup à ce sujet depuis deux ans, lorsque le pape François a été invité pour la première fois à rencontrer le G7 à Bari pour discuter de cette question. L’Eglise n’est absolument pas opposée aux progrès technologiques, mais je pense que perdre le lien entre la foi et la raison scientifique réduit la science à une coquille vide et froide, ce qui causera un grand tort à l’humanité. Et le cœur humain se perdrait au milieu du développement technologique, tel qu’il se présente actuellement.

(…)

C’est une très bonne question. Je ne sais pas si j’ai une réponse autre que de continuer à dire aux gens qu’il existe une vérité, la vérité authentique. Je ne suis pas très tolérant lorsque j’entends les gens dire « eh bien, c’est un ensemble alternatif de faits », quelque chose que nous entendions dans le passé. Non, les faits sont les faits. Même au cours de ces trois courts mois comme pape, un jour, en parlant à quelqu’un, on m’a demandé : « Vous allez bien ? » Et j’ai répondu : « Oui, je vais bien, pourquoi ? » « Eh bien, vous êtes tombé dans l’escalier. » J’ai répondu : « Non, je ne suis pas tombé », mais il y avait une vidéo quelque part où ils avaient créé un pape artificiel – moi – tombant dans un escalier alors qu’il marchait, et apparemment, c’était si bien fait qu’ils pensaient que c’était moi. Ce n’est qu’un petit exemple, pas très significatif, mais cela montre ce qu’il est possible de faire.

 

« L’IA comporte un danger, car on finit de créer un monde faux… »

Récemment, quelqu’un m’a demandé l’autorisation de créer une version artificielle de moi-même, afin que n’importe qui puisse se rendre sur un site web et avoir une audience personnelle avec « le pape », et ce pape créé par l’intelligence artificielle répondrait alors à leurs questions. J’ai dit : « Je ne vais pas autoriser cela. » S’il y a bien quelqu’un qui ne devrait pas être représenté par un avatar, à mon avis, c’est le pape. D’une certaine manière, les possibilités que nous offre notre créativité peuvent être utilisées à toutes sortes de fins.

J’insiste sur le fait que je ne suis absolument pas contre l’intelligence artificielle. Dans le domaine de la médecine, l’IA a permis de grandes avancées, tout comme dans d’autres domaines. Cependant, cela comporte un danger, car on finit par créer un monde faux et on se demande alors : qu’est-ce que la vérité ?

Pas plus tard qu’hier, je discutais avec un groupe, le « Jubilee of Influencers », et l’une des choses que j’ai soulignées était la nécessité de travailler ensemble pour nous assurer que nous sommes vraiment en présence de la vérité, de l’honnêteté, de la réalité, et de ne pas diffuser simplement davantage de fausses nouvelles. C’est un défi de taille, car la tentation est grande pour les gens d’y croire, et ils y croient parce qu’il semble y avoir un besoin chez certaines personnes de les recevoir. Pourquoi tous ces gens consomment-ils ces fake news ? Il se passe quelque chose. Les gens veulent croire aux complots, ils veulent rechercher toutes ces fausses informations, et c’est très destructeur.

 

Citations tirées des entretiens donnés par Léon XIV à Elise Ann Allen

 

Traduction par Jeanne Smits