Le discours très spirituel de Léon XIV aux catholiques d’Orient

Léon XIV catholiques Orient
 

Ce nouveau pape n’a pas fini de nous surprendre. Déjà, on commence à attendre ses textes, à en anticiper une nourriture, un message spirituel, un enseignement en un mot. Léon XIV, au 7e jour de son pontificat, recevait mardi en (l’affreuse) salle Paul VI les participants au jubilé des Eglises orientales. Et il les a gratifiés ainsi d’un des premiers grands discours de son pontificat, dont on peut tirer plusieurs leçons. La plus importante, la plus remarquable est sa profondeur spirituelle. On perçoit une grande présence des mots proprement catholiques. Le Christ au centre et le salut comme horizon…

« Combien il est important de redécouvrir, même dans l’Occident chrétien, le sens de la primauté de Dieu, la valeur de la mystagogie, de l’intercession incessante, de la pénitence, du jeûne, des larmes pour ses propres péchés et pour ceux de toute l’humanité (penthos), si typiques des spiritualités orientales ! », a dit Léon XIV aux religieux de tout rang et aux simples catholiques de rite oriental qu’il recevait en audience. Pleurer ses péchés, prier pour ceux du monde pour obtenir le pardon…

 

Pleurer ses péchés et ceux du monde

Le mot grec « penthos » fait référence à la doctrine de la componction, cette profonde conscience du péché qui envahit le chrétien lorsqu’il comprend que ses propres péchés le coupent de la plénitude de la présence divine. C’est le don des larmes, dont on emprunta le nom à la divinité grecque Πενθος qui personnifiait le chagrin et le deuil. C’est la sagesse de ceux qui savent que Dieu aime tous les hommes, et veut leur bien, mais que le péché commis exige repentir et réparation, tels que les incarnaient sainte Marie-Madeleine une fois relevée par le Christ.

« Vos spiritualités, anciennes et toujours nouvelles, sont un remède. Le sens dramatique de la misère humaine s’y confond avec l’émerveillement devant la miséricorde divine, de sorte que nos bassesses ne provoquent pas le désespoir mais invitent à accueillir la grâce d’être des créatures guéries, divinisées et élevées aux hauteurs célestes. Nous devons louer et remercier sans cesse le Seigneur pour cela », poursuivait le pape.

 

Le discours de Léon XIV aux catholiques Orient rappelle notre vocation de « divinisés »

« Divinisées » ! Le texte de l’offertoire de la messe latine traditionnelle le rappelle aussi : « Donnez-nous, par le mystère de cette eau et de ce vin, d’avoir part à la divinité de celui qui a daigné partager notre humanité. » Saint Thomas d’Aquin (après bien d’autres, en Orient comme en Occident) l’a dit à sa façon : « La grâce n’est pas autre chose qu’une certaine ressemblance de la nature divine reçue en participation. » L’homme ne l’atteint pas par soi-même, au titre de son humanité, par l’immanentisme du divin. La divinisation, il la reçoit par la grâce – celle du baptême d’abord, qui fait habiter la Sainte Trinité dans l’âme, puis par la miséricorde offerte au pécheur qui reconnaît et pleure ses fautes et demande l’absolution. Une miséricorde que l’Eglise demande d’ailleurs par le sacrifice de la messe, « pour notre salut et celui du monde entier ».

Dans un discours qui rappelle les divers martyres auxquels ont été et sont toujours soumis les chrétientés d’Orient, le pape a également souligné : « C’est un don à demander que de voir la certitude de Pâques dans chaque épreuve de la vie et de ne pas perdre courage en se rappelant, comme l’écrivait un autre Père oriental, que “le plus grand péché est de ne pas croire aux énergies de la Résurrection” (Saint Isaac De Ninive, Sermons ascétiques, I, 5). »

Cette citation est significative d’un nouveau style. Le discours du pape se révèlent ponctués de nombreuses références aux Pères de l’Eglise comme aux papes ; dans celui-ci, c’est Léon XIII qui a fourni les longues références à travers sa Lettre apostolique Orientalium dignitas de 1894.

Là aussi se trouvait une leçon dont on espère qu’elle sera significative du pontificat qui commence : celle de l’importance de la liturgie. Ce fut un plaidoyer pour les liturgies orientales traditionnelles, dont certaines « utilisent encore la langue du Seigneur Jésus ».

 

Léon XIV souligne le trésor liturgique des catholiques d’Orient

« Le Pape Léon XIII lança un appel émouvant afin que “la légitime diversité de la liturgie et de la discipline orientales […] redonne […] une grande dignité et une grande valeur à l’Eglise” (Lett. ap. Orientalium dignitas). Sa préoccupation d’alors est très actuelle, car aujourd’hui, beaucoup de nos frères et sœurs orientaux, dont plusieurs d’entre vous, contraints de fuir leur terre d’origine à cause de la guerre et des persécutions, de l’instabilité et de la pauvreté, risquent, en arrivant en Occident, de perdre, outre leur patrie, leur identité religieuse. »

Voilà des paroles qui résonnent parmi les catholiques qui ont la conviction qu’ils perdraient leur identité religieuse en perdant la liturgie latine traditionnelle. Leur espoir aimerait se renforcer en écoutant la suite :

« Il y a plus d’un siècle, Léon XIII remarquait que “la conservation des rites orientaux est plus importante qu’on ne le croit” et, à cette fin, il prescrivait même que “tout missionnaire latin, du clergé séculier ou régulier, qui, par ses conseils ou son aide, attirait un Oriental vers le rite latin” serait “destitué et exclu de sa charge” (ibid.). Nous accueillons l’appel à préserver et à promouvoir l’Orient chrétien, en particulier dans la diaspora, où il y est nécessaire de sensibiliser les Latins ; en plus de la création, lorsque cela est possible et opportun, de circonscriptions orientales. En ce sens, je demande au Dicastère pour les Eglises Orientales, que je remercie pour son travail, de m’aider à définir des principes, des normes, des lignes directrices grâce auxquels les Pasteurs latins pourront concrètement soutenir les catholiques orientaux de la diaspora afin de préserver leurs traditions vivantes et d’enrichir par leur spécificité le contexte dans lequel ils vivent. »

M’est avis qu’il sera bientôt temps d’adresser au saint-père une supplique pour qu’il nous rende la messe !

Tout le discours de Léon XIV est à lire ici, avec une sorte de soulagement qui vient autant de sa forme que de son fond.

On retiendra en particulier sa conclusion : « Et merci, merci à vous, chers frères et sœurs d’Orient, où est né Jésus, Soleil de justice, d’être “lumières du monde” (cf. Mt 5, 14). Continuez à briller par la foi, l’espérance et la charité, et par rien d’autre. Que vos Eglises soient un exemple, et que les Pasteurs promeuvent avec droiture la communion, surtout dans les Synodes des Evêques, afin qu’ils soient des lieux de collégialité et d’authentique coresponsabilité. Veillez à la transparence dans la gestion des biens, témoignez d’un dévouement humble et total au saint peuple de Dieu, sans attachement aux honneurs, aux pouvoirs du monde et à votre propre image. » Parce qu’il faut d’abord se tourner vers ce « Soleil de justice ».

On pourra dire que sans doute, le pape dispose de collaborateurs et que les mots ne sont peut-être pas exactement de lui. C’est possible. Cela voudrait dire à tout le moins que ses collaborateurs sont à la hauteur ; et forcément, ils travaillent selon ses indications. Ce n’est sans doute pas un hasard si on découvre une élégance dans l’expression, quelque peu oubliée ces derniers temps. Et des mots solennels : Léon XIV ne demande pas simplement à son auditoire de prier pour lui, mais préfère clore son allocution avec ces mots : « Je vous bénis de tout cœur, en vous demandant de prier pour l’Eglise et d’élever vos puissantes prières d’intercession pour mon ministère. »

Léon XIV, ou la possibilité du bien.

 

Jeanne Smits