Le site internet du Vatican a fait peau neuve, et la première chose que l’on remarque en ouvrant sa première page, celle consacrée au pape actuel, Léon XIV, est un lien vers son principal chapitre : « Magisterium » – le magistère. Les actualités ont migré sous d’autres nouvelles rubriques : celles concernant l’année jubilaire, le réseau mondial de prière du pape, la page de demande de billets pour les audiences et célébrations papales et le denier de Saint-Pierre. Et c’est tout un symbole : ce pape veut d’abord enseigner. Non pas écouter la base – c’était tout le sens de la synodalité selon François – mais lui dire ce qu’il faut croire, espérer et faire pour obtenir le salut ? Cela commence à y ressembler fort, et ce seul glissement surprend après douze ans qui ont largement fait penser à une pénible traversée du désert.
Ces derniers jours Léon XIV a pris la parole à de multiples reprises ; deux interventions retiennent particulièrement l’attention, celle par laquelle il a marqué le centenaire de la canonisation des saints Jean-Eudes, Jean-Marie Vianney et Thérèse de l’Enfant-Jésus et de la Sainte Face dans un message aux évêques de France, et son homélie à l’occasion du jubilé des familles, dans laquelle il a cité Humanae vitae.
Léon XIV met du baume au cœur de la France
En tournant son regard vers la France, moins d’un mois après son élection le 8 mai dernier, le pape panse assurément une blessure. Même si son prédécesseur immédiat s’est rendu plusieurs fois dans les « périphéries » de l’Hexagone – mais en assurant qu’en rendant visite à Marseille, il n’allait « pas en France » – il semblait y avoir de sa part une sourde hostilité à l’égard de la fille aînée de l’Eglise que Jean-Paul II interpella douloureusement jadis en lui demandant ce qu’elle avait fait des promesses de son baptême. Et si Léon XIV a bien cité le pape François, c’est pour rappeler ce qu’il appelle son « testament » : son encyclique sur le Sacré-Cœur.
Léon XIV, de lignée française par son père et d’une mère aux ascendances créoles, et donc française elle aussi, n’a pas tardé à envoyer un message à la Conférence des évêques de France et il l’a fait non pas en s’appuyant sur l’actualité ou en abordant une question « sociétale » de notre temps : il a parlé de la sainteté et de la nécessaire grâce de Dieu qu’il faut pour l’obtenir.
Il a invité les évêques à « donner un relief particulier à cet anniversaire » en rappelant que ces grands saints sont « des maîtres à écouter… des modèles à imiter… de puissants soutiens à prier et à invoquer » devant « l’ampleur des défis qui se présentent à la France ».
« L’histoire de France aurait pu faire l’économie de beaucoup de généraux, de rois, et de ministres : elle n’aurait pas pu se passer de ses saints », disait Henri Pourrat : c’est cette vérité-là que Léon XIV a rappelée à la France avant qu’il ne soit question de quoi que ce soit d’autre, et par les temps qui courent c’est à la fois inattendu et bousculant. Du style : « Cherchez d’abord le royaume de Dieu, et le reste vous sera donné par surcroît. »
Ces saints de France plus indispensables que des généraux, des rois et des ministres
Jean-Eudes, le curé d’Ars, la petite Thérèse « ont aimé sans réserve Jésus de manière simple, forte et authentique ; ils ont fait l’expérience de sa bonté et de sa tendresse dans une particulière proximité quotidienne, et ils en ont témoigné dans un admirable élan missionnaire », souligne le pape.
De chacun, il rappelle un trait particulier. Saint Jean-Eudes – ce grand saint de l’Eucharistie – « n’est-il pas le premier à avoir célébré le culte liturgique des Cœurs de Jésus et de Marie ; Saint Jean Marie Vianney n’est-il pas ce curé passionnément donné à son ministère qui affirmait : “Le sacerdoce, c’est l’amour du cœur de Jésus” ; et enfin, Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus et de la Sainte Face n’est-elle pas le grand Docteur en scientia amoris dont notre monde a besoin, elle qui “respira” à chaque instant de sa vie le Nom de Jésus, avec spontanéité et fraicheur, et qui enseigna aux plus petits une voie “toute facile” pour y accéder ? »
Quand ce pape parle des saints, c’est pour faire converger le regard des âmes vers Jésus, et pour montrer qu’Il est l’auteur de leur sainteté.
« Célébrer le centenaire de canonisation de ces trois Saints, c’est d’abord une invitation à rendre grâce au Seigneur pour les merveilles qu’il a accomplies en cette terre de France durant de longs siècles d’évangélisation et de vie chrétienne. Les Saints n’apparaissent pas spontanément mais, par la grâce, surgissent au sein de Communautés chrétiennes vivantes qui ont su leur transmettre la foi, allumer dans leur cœur l’amour de Jésus et le désir de le suivre. Cet héritage chrétien vous appartient encore, il imprègne encore profondément votre culture et demeure vivant en bien des cœurs », écrit Léon XIV.
Le nouveau style de Léon XIV rappelle des souvenirs oubliés
Pourquoi cette impression de recevoir du pain, et non des pierres ?
Pourquoi ce parfum d’espérance, lorsque le pape écrit : « C’est pourquoi je forme le vœu que ces célébrations ne se contentent pas d’évoquer avec nostalgie un passé qui pourrait sembler révolu, mais qu’elles réveillent l’espérance et suscitent un nouvel élan missionnaire. Dieu peut, moyennant le secours des saints qu’Il vous a donnés et que vous célébrez, renouveler les merveilles qu’Il a accomplies dans le passé. Sainte Thérèse ne sera-t-elle pas la Patronne des missions dans les contrées mêmes qui l’ont vu naître ? Saint Jean-Marie Vianney et Saint Jean Eudes ne sauront-ils pas parler à la conscience de nombreux jeunes de la beauté, de la grandeur et de la fécondité du sacerdoce, en susciter le désir enthousiaste, et donner le courage de répondre généreusement à l’appel, alors que le manque de vocations se fait cruellement sentir dans vos diocèses et que les prêtres sont de plus en plus lourdement éprouvés ? »
On en retient ceci : les merveilles que Dieu a accomplies à travers ces grands saints français ont été données gratuitement et ont pu s’épanouir dans le terrain fertile de la chrétienté ; elles semblent être le fait d’un passé lointain, renvoyer vers un temps où le manque de vocations ne se faisait pas « cruellement sentir » ; mais ce vide n’est pas total, la foi, la grâce, les vocations peuvent refleurir par l’intercession de ces grandes figures qui peuvent toujours demander et laisser passer le don de Dieu.
Et oui, on se sent revigoré – à commencer par les longues colonnes qui pérégrineront sur les routes de Chartres à la Pentecôte – en lisant : « J’invoque l’intercession de Saint Jean Eudes, de Saint Jean-Marie Vianney et de Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus et de la Sainte Face, pour votre pays et pour le Peuple de Dieu qui y pérégrine courageusement, sous les vents contraires et parfois hostiles de l’indifférentisme, du matérialisme et de l’individualisme. Qu’ils redonnent courage à ce Peuple, dans la certitude que le Christ est vraiment ressuscité, Lui, le Sauveur du monde. »
Catholiques et français toujours : c’est à croire que le pape Léon XIV y croit.
Quand Léon XIV parle aux familles, il rappelle la nécessité de la grâce
Lorsqu’il s’est exprimé, trois jours plus tard, devant la foule des familles, des enfants, des grands-parents et des personnes âgées venus pour leur jubilé, on a eu cette même impression… catholique. Léon XIV a rappelé que l’unité, la vraie, « est (…) une communion fondée sur l’amour même dont Dieu aime, d’où viennent la vie et le salut » : « En tant que telle, elle est avant tout un don que Jésus vient apporter. » En donnant à l’homme la possibilité de participer à cet amour. « Ecoutons avec admiration ces paroles : Jésus nous révèle que Dieu nous aime comme Il s’aime Lui-même. Le Père ne nous aime pas moins qu’Il n’aime son Fils unique, c’est-à-dire infiniment. Dieu n’aime pas moins, parce qu’Il aime d’abord, Il aime le premier ! » En parlant aux familles, le pape parle avant tout et d’abord de la plus infinie des communions d’amour : celle de la sainte Trinité.
Léon XIV ne laisse pas de doute : c’est la famille selon la volonté de Dieu qu’il s’agit de chérir et de défendre. « N’oublions pas : c’est dans les familles que se construit l’avenir des peuples. » Sans elles, il n’y a donc pas d’avenir. Et il ajoute, ayant donné l’exemple de couples canonisés : « En désignant comme témoins exemplaires des époux, l’Eglise nous dit que le monde d’aujourd’hui a besoin de l’alliance conjugale pour connaître et accueillir l’amour de Dieu et surmonter, par sa force qui unifie et réconcilie, les forces qui désagrègent les relations et les sociétés. »
Et il a même déclaré : « C’est pourquoi, le cœur plein de reconnaissance et d’espérance, je vous dis, à vous les époux : le mariage n’est pas un idéal, mais la norme du véritable amour entre l’homme et la femme : un amour total, fidèle, fécond (cf. Saint Paul VI, Lettre encyclique Humanae vitae, 9). Tout en vous transformant en une seule chair, cet amour vous rend capables, à l’image de Dieu, de donner la vie. »
Les mots ont du poids. On sait bien que beaucoup ont prétendu que le mariage chrétien est un « idéal » vers lequel on tend, si difficile qu’on a bien droit à la « loi de gradualité » pour en rester un peu ou beaucoup à l’écart. Léon XIV écarte cette erreur, et rappelle que le mariage exige que l’amour des époux soit « total, fidèle, fécond », parce qu’il est par nature indissoluble et ouvert à la vie.
Le pape cite Humanae vitae moins de quatre semaines après son élection
Nul ne sait comment évoluera le pontificat de Léon XIV. Mais il nous aura donné déjà cette lumière, des conseils qui sonnent vrai, exprimés avec sobriété et élégance :
« C’est pourquoi je vous encourage à être, pour vos enfants, des exemples de cohérence, en vous comportant comme vous voulez qu’ils se comportent, en les éduquant à la liberté par l’obéissance, en recherchant toujours en eux le bien et les moyens de le faire grandir. Et vous, enfants, soyez reconnaissants envers vos parents : dire “merci” pour le don de la vie et pour tout ce qui nous est donné chaque jour avec elle, c’est la première manière d’honorer son père et sa mère (cf. Ex 20, 12). Enfin, à vous, chers grands-parents et personnes âgées, je recommande de veiller sur ceux que vous aimez, avec sagesse et compassion, avec l’humilité et la patience que les années enseignent.
« Dans la famille, la foi se transmet avec la vie, de génération en génération : elle est partagée comme la nourriture sur la table et les affections du cœur. Cela en fait un lieu privilégié pour rencontrer Jésus, qui nous aime et veut notre bien, toujours. »
Merci, Saint-Père !