Les tribulations du christianisme en Chine
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christianisme en Chine
 
Combien y a-t-il de chrétiens en Chine ? C’est difficile à évaluer, peut-être cent millions, donc 15 millions de catholiques et une foule d’églises protestantes différentes. C’est le résultat de longues tribulations missionnaires et historiques. Le christianisme en Chine est un phénomène ancien, mais à éclipses et souvent persécuté. Aujourd’hui encore.
Son implantation durable ne remonte certes qu’aux années 1840, mais il a été présent au moins deux fois dans l’histoire chinoise. Il est attesté du VIème au Xème siècle dans les oasis des déserts de l’Ouest de la Chine, en pays turc, mais aussi de manière certes marginale, en pays han. Des temples chrétiens de l’époque des Tang ont été mis à jour par des fouilles. L’orientation en diffère de celle des lieux de cultes chinois traditionnels. Les textes gravés en caractères chinois sur les stèles liturgiques surprennent, témoignant d’un syncrétisme prononcé, entre le christianisme nestorien et le bouddhisme : Maître Jésus enseigne la Voie de la Bonté, assurant un bon karma pour la vie future. Ce christianisme touchant peu de fidèles, peu orthodoxe ni solide doctrinalement, disparaît dans la crise que traverse la Chine au XIème siècle. L’Islam au contraire, bien que toujours minoritaire, réussit à la même époque à prendre racine dans l’Empire du Milieu.
 

L’éclipse Ming

Le christianisme reparaît lors de la période mongole aux XIIIème et XIVème siècles. Pékin devient même pour quelques décennies le siège d’un archevêché catholique. Des liaisons avec Rome couvrant pratiquement toute l’Asie sont établies pendant la paix mongole. Elles disparaîtront avec celle-ci. Les communautés chrétiennes, isolées, peu nombreuses, ne survivent vraisemblablement pas à l’avènement de la dynastie nationale des Mings, qui rejettent les influences étrangères. Cette époque voit probablement le martyr de plusieurs dizaines de milliers de chrétiens, inconnus, du fait de la nouvelle disparition du christianisme en Chine.
Les missionnaires européens du XVIème et XVIIème siècle, arrivés par la mer, ne réussissent guère à pénétrer en Chine, dont les autorités sont hostiles. Les Jésuites parviennent à se faire accepter dans une certaine mesure, mettant en avant ce qui intéresse l’Empire du Milieu, des objets techniques avancés, des lunettes astronomiques, des canons, et surtout des horloges, ou des sciences théoriques, en particulier les mathématiques.
 

L’expérience jésuite

Ils tentent bien de proposer le message chrétien, mais à de rarissimes exceptions, rappelant celles de saint Paul à Athènes, ils n’intéressent pas la classe des mandarins qu’ils touchent seule ; les prêches dans le peuple restent à peu près toujours interdits. Comprenant véritablement la culture chinoise, si complexe et radicalement différente de l’européenne, les Jésuites mettent au point le rite chinois, adapté. Des ordres religieux concurrents font une très mauvaise publicité à ce rite à Rome, qui finit condamné, ce qui vexe profondément l’Empereur de Chine qui en avait personnellement pris la défense en écrivant au Pape. Certains détails du rite étaient certainement à corriger ; la condamnation solennelle au début du XVIIIème siècle dessert fortement la déjà si difficile propagande chrétienne en Chine. Les ouvrages d’exposition du christianisme, écrits en chinois par les Jésuites ne touchent guère les mandarins de la dynastie Qing. Par contre, la voie impénétrable et émouvante de la Providence, des mandarins coréens, qui ont pour langue de culture le chinois, sont, eux, convaincus, et forment un petit groupe significatif, immédiatement frappé de persécutions sanglantes par les autorités de Séoul, mais qui donnera naissance, à travers bien des tribulations, à la forte minorité chrétienne de Corée.
 

Les chrétiens, corps étrangers

Les missionnaires chrétiens, catholiques, et protestants, peuvent enfin agir en Chine au milieu du XIXème siècle, protégés par les puissances européennes, ce qui limite les persécutions. Cependant ce soutien fait des chrétiens des agents de l’étranger aux yeux des mandarins et de la nette majorité de la population, naturellement très xénophobe. Le christianisme, dans une culture chinoise prompte au syncrétisme, tend à s’hybrider avec des croyances messianiques d’origine bouddhiste, ce qui donne lieu au phénomène de la secte des Taipings, conduite dans leur doctrine par des « réincarnations » guerrières de Jésus, qui contrôlent plusieurs provinces du sud de la Chine dans la période 1850-1864. Ces épisodes expliquent la perception hostile qu’ont du christianisme encore aujourd’hui beaucoup de responsables politiques chinois : lorsqu’ils évoquent une religion de l’étranger, ou le danger de révolte politique, ils songent à ce tourmenté XIXème siècle chinois, et en particulier aux Taipings, beaucoup plus qu’au matérialisme antireligieux de Marx.
Ainsi, dans la deuxième moitié du XIXème siècle, le christianisme en Chine se développe à travers des communautés dispersées et peu nombreuses, quoique convaincues, déterminées, composées de Chinois. Si les protestants recueillent l’adhésion de certains dirigeants, y compris de premier plan au XXème siècle comme Sun Yat-Sen, père de la république chinoise de 1911, les catholiques s’implantent surtout à travers le recueil des orphelins, qu’ils sauvent littéralement d’un sort fatal, la famine en particulier, le plus souvent. Ces implantations chrétiennes survivent au dramatique XXème siècle chinois, peut-être encore plus terrible que le précédent, avec les guerres civiles, l’invasion japonaise, les expériences économiques et sociales maoïstes conduisant à des famines et des meurtres de masse. Le régime communiste d’après 1949 entend à certaines périodes éradiquer à court terme la Religion, notamment sous la Révolution culturelle (1966-1976), ou au mieux, si l’on ose dire, la contrôler étroitement à travers des associations cultuelles soumises au régime.
 

Une Eglise catholique fragile et  » coupée  » en deux

Aussi est créée en 1957 l’église Patriotique Chinoise, schisme national qui frappe l’Eglise catholique, en principe rendu obligatoire par les autorités. Un Français ne peut que songer au parallèle avec l’église constitutionnelle de la Révolution française. En opposition à cette église Patriotique, subsiste une Eglise souterraine. Les fidèles seraient partagés entre les deux Eglises, dans un rapport de un à deux en faveur des catholiques clandestins. Le catholicisme s’avère techniquement vulnérable à la persécution, puisque reposant sur la Messe, qui ne peut être dite que par des prêtres, pas si nombreux, repérables, eux-mêmes ordonnés par des évêques, encore moins nombreux, tous connus. Les structures ecclésiales protestantes, reposant sur le sacerdoce universel des fidèles défini par Luther, échappent beaucoup plus facilement au contrôle strict et hostile des autorités. Leur message, souvent moins exigeant, sur le plan de la relation avec l’argent ou de la morale conjugale – tolérant la contraception en particulier -, séduit beaucoup plus de Chinois aujourd’hui.
 

Un casse-tête chinois

Les catholiques restent sommés de se déclarer, d’adhérer à l’église Patriotique. Ils ne bénéficient de nulle clause de conscience sur le contrôle obligatoire des naissances, suivant la politique dite de l’enfant unique, imposée dans les années 1970. Depuis vingt ans, des négociations ont lieu avec le Vatican pour tenter une régularisation de la situation, ou du moins aboutir à un modus vivendi ; elles n’aboutissent pas, principalement du fait de l’intransigeance des autorités chinoises. Les situations s’avèrent très variables selon les provinces et les périodes, entre alternance de quasi-tolérance de fait et une sévère répression dont l’intention est d’imposer le schisme. L’église Patriotique tient à conserver des dogmes intacts et des liturgies sérieuses, ne se distinguant pas extérieurement des catholiques en communion avec Rome. Bien des situations intermédiaires existent entre le schisme total et l’adhésion publique pleine et entière à l’autorité du Pape. Il faut se garder de jugements faciles depuis l’Europe, tout en admirant nonobstant les résistants les plus déterminés pour leur foi face à un pouvoir hostile.