Liberté de la messe traditionnelle : le vibrant appel de personnalités éminentes au Royaume-Uni dans “The Times”

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De nombreuses personnalités du monde de la culture, de la politique, du spectacle et de la « haute société » en général ont signé une « lettre à la rédaction » dans The Times de Londres prenant la défense de la messe tridentine et réclamant le maintien de ce « magnifique patrimoine spirituel et culturel ». Ils se réclament explicitement de l’appel de 1971 qui avait abouti à l’« indult Agatha Christie » autorisant par exception la célébration en Angleterre et au Pays-de-Galles de la « messe de saint Pie V » : comme alors, les signataires sont des catholiques et des non catholiques, des croyants et des non croyants. Et des gens de droite comme de gauche… Ils réagissent aux rumeurs d’interdiction de la célébration de la messe traditionnelle en dehors des instituts « ex-Ecclesia Dei » – rumeurs certes contestées par La Croix mais correspondant en tout état de cause à l’esprit de Traditionis custodes qui la limite déjà de manière drastique, même si le document pontifical n’est pas appliqué partout avec la même vigueur.

L’appel est accompagné d’une magnifique tribune de Sir James MacMillan, l’un des signataires, dont nous vous proposons notre traduction intégrale ci-dessous.

Le nombre de musiciens – Sir James lui-même est compositeur – ayant participé à cet appel est remarquable. Mais il y a aussi des hommes politiques de premier plan, un nombre remarquable de Lords siégeant au Parlement, des designers et des artistes, des hommes de presse et des acteurs.

 

Plus de quarante personnalités pour la messe traditionnelle dans The Times

Les plus de quarante signataires sont bien connues au Royaume-Uni, allant du créateur de Downton Abbey Julian Fellowes à la chanteuse d’opéra Kiri Te Kanawa en passant par Bianca Jagger, ex-épouse du Rolling Stone Mick Kagger, la princesse Michael de Kent, membre de la famille royale britannique, le compositeur de Cats Andrew Lloyd Webber et le romancier et biographe d’Evelyn Waugh, A.N. Wilson.

Dans la presse britannique, et particulièrement dans des journaux historiques et prestigieux comme le Times, les « Letters to the Editor » (Lettres au rédacteur-en-chef) ont une portée réelle, et dans le cas présent la renommée et le nombre de ceux qui s’y associent fait l’effet d’une bombe.

Lisez, plutôt :

 

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L’appel pour la messe traditionnelle de 48 personnalités dans le Times

 

Monsieur,

Le 6 juillet 1971, le Times publiait un appel au pape Paul VI en faveur de la messe en latin, signé par des artistes et des écrivains catholiques et non catholiques, parmi lesquels Agatha Christie, Graham Greene et Yehudi Menuhin. Cette lettre est connue sous le nom de “lettre Agatha Christie”, car c’est son nom qui aurait incité le pape à délivrer un indult, ou autorisation, pour la célébration de la messe en latin en Angleterre et au Pays de Galles. La lettre affirmait que “le rite en question, par son magnifique texte latin, a également inspiré les réalisations inestimables […] de poètes, de philosophes, de musiciens, d’architectes, de peintres et de sculpteurs de tous les pays et à toutes les époques. Il appartient donc à la culture universelle”.

De récentes informations inquiétantes en provenance de Rome indiquent que la messe en latin va être bannie de la quasi-totalité des églises catholiques. C’est une perspective douloureuse et déroutante, en particulier pour le nombre croissant de jeunes catholiques dont la foi a été nourrie par cette messe. La liturgie traditionnelle est une “cathédrale” de textes et de gestes, qui s’est développée comme ces vénérables édifices au fil des siècles. Tous n’en apprécient pas la valeur, et cela ne pose pas de problème, mais sa destruction semble un acte injustifié et indélicat dans un monde où l’histoire peut trop facilement s’effacer dans l’oubli. La capacité de l’ancien rite à encourager le silence et la contemplation est un trésor qu’il n’est pas facile de reproduire et qui, une fois perdu, est impossible à reconstruire. Cet appel, comme le précédent, est “entièrement œcuménique et apolitique”. On y retrouve des signataires catholiques et non catholiques, des croyants et des non-croyants. Nous implorons le Saint-Siège de revenir sur tout projet de nouvelle limitation à l’accès à ce magnifique patrimoine spirituel et culturel.

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L’appel ne se limite pas à quelques pays, mais veut sauvegarder cette « cathédrale de textes et de gestes » qu’est la messe de rite latin traditionnel pour tous et partout.

 

La liste complète des signataires de l’appel du Times

Voici la liste complète des signataires, à laquelle nous ajoutons une brève notice :

Robert Agostinelli, homme d’affaires américain d’origine italienne, fondateur de la société de capital-investissement Rhône Group, membre du Council on Foreign Relations et membre fondateur de Friends of Israel Initiative.

Lord Alton of Liverpool, homme politique libéral, catholique ; il soutient les causes anti-avortement.

Lord Bailey of Paddington, né Shaun Bailey dans une famille d’origine jamaïcaine, anglican, est entré en politique dans le mouvement conservateur après s’être engagé dans les projets de soutien à la jeunesse après avoir vu nombre de ses pairs sombrer dans le crime.

Lord Bamford, retraité de la chambre des Lords, fondateur et PDG de la société familiale JCB d’engins de chantiers.

Lord Berkeley of Knighton, compositeur, notamment de musique sacrée contemporaine.

Sophie Bevan, née en 1983, soprano britannique. Par exemple : ici.

Ian Bostridge, ténor anglais, chanteur d’opéra et de récitals. Par exemple : ici.

Nina Campbell, décoratrice d’intérieur et femme d’affaires britannique née en 1945.

Meghan Cassidy, jeune violoniste.

Sir Nicholas Coleridge, président du groupe de presse Condé-Nast, président du Victoria & Albert Museum et 43e prévôt de l’école d’Eton.

Dame Imogen Cooper, pianiste classique britannique née en 1949.

Lord Fellowes of West Stafford, acteur, producteur, membre de la chambre des Lords et créateur de Downton Abbey.

Sir Rocco Forte, hôtelier britannique à la tête du groupe du même nom ayant de forts liens avec l’Italie. Catholique.

Lady Antonia Fraser, femme de lettres, biographe, historienne et romancière, épouse du prix Nobel de littérature Harold Pinter, et fille du 7e comte de Longford. Convertie au catholicisme avec ses parents et ses sept frères et sœurs alors qu’elle était adolescente. Elle a notamment écrit une biographie de Marie-Antoinette dont Sofia Coppola tira un film en 2006.

Martin Fuller, artiste contemporain.

Lady Getty, ancien mannequin. Née Victoria Holdsworth, elle s’occupe de la fondation caritative de son défunt mari, le philanthrope américano-britannique J. Paul Getty.

John Gilhooly, né en 1973, directeur artistique et exécutif du Wigmore Hall, haut-lieu de la musique de chambre à Londres.

Dame Jane Glover, née en 1949, chef d’orchestre et musicologue britannique.

Michael Gove, homme politique britannique, membre du parti conservateur, brexiteer et membre de plusieurs cabinets conservateurs depuis 2010.

Susan Hampshire, actrice anglaise de cinéma et de télévision (The Forsyte Saga) née en 1937, épouse de Pierre Granier-Deferre de 1967 à 1974.

Lord Hesketh, 3e baron de Hesketh, homme politique, ancien ministre du gouvernement du Royaume-Uni et propriétaire de l’écurie de Formule 1 Hesketh Racing.

Tom Holland, acteur britannique né en 1996, notamment chez Marvel où il incarne Spiderman.

Sir Stephen Hough, né en 1961, pianiste et compositeur classique.

Tristram Hunt, né en 1974, historien britannique, journaliste et homme politique du Parti travailliste, ancien député. Aujourd’hui directeur du Victoria and Albert Museum de Londres.

Steven Isserlis, né à Londres en 1958, violoncelliste, ici en master-class.

Bianca Jagger, née Bianca Perez-Mora y Macías le 2 mai 1945 à Managua, actrice, icône de la mode et avocate nicaraguayenne, auparavant mariée à Mick Jagger. Catholique elle-même, elle en a appelé en 2022 au pape pour prendre la défense des catholiques persécutés au Nicaragua.

Igor Levit, né en 1987 à Gorki (aujourd’hui Nijni Novgorod), pianiste germano-russe qui vit à Berlin. Ici il joue Bach.

Lord Lloyd-Webber, né en 1948, surtout connu pour ses comédies musicales comme The Phantom of the Opera.

Julian Lloyd Webber, frère d’Andrew (ci-dessus), violoncelliste.

Dame Felicity Lott, soprano anglaise francophone née en 1947. Ici dans La voix humaine de Poulenc.

Sir James MacMillan, né en 1959 à Kilwinning en Ecosse, compositeur et chef d’orchestre écossais. Compositeur de l’hymne pour l’enterrement d’Elisabeth II.

Princess Michael of Kent, Agnes Hedwig Ida von Reibnitz est l’épouse du prince Michael de Kent, membre de la famille royale britannique, cousin de la reine Elisabeth II. Catholique, née en 1945 à Karlsbad.

Baroness Monckton of Dallington Forest, membre de la chambre des Lords depuis 2024, conservatrice, actrice, née en 1953, militante caritative au service des enfants trisomiques. Catholique, elle est la sœur du climatosceptique Lord Christopher Monckton.

Lord Moore of Etchingham, né Charles Moore en 1956, ancien rédacteur en chef du Daily Telegraph, du Spectator et du Sunday Telegraph. Il est connu pour sa biographie autorisée de Margaret Thatcher. Converti au catholicisme en 1992 après que l’ordination des femmes a été autorisée dans l’église anglicane. Il fait partie de la Latin Mass Society d’Angleterre et du Pays-de-Galles.

Fraser Nelson, né en 1973, journaliste politique britannique et rédacteur en chef du magazine The Spectator, éditorialiste au Telegraph. Né catholique.

Alex Polizzi, née Alessandra Maria Luigia Polizzi di Sorrentino en 1971 à Londres, est une hôtelière britannique d’origine franco-italienne, présentatrice de la série télévisée britannique The Hotel Inspector sur Channel, sœur de Sir Rocco Forte. Catholique.

Mishka Rushdie Momen, nièce de Salman Rushdie, née à Londres en 1992, pianiste. Ici avec Steven Isserlis.

Sir András Schiff, né à Budapest en 1953, pianiste et chef d’orchestre hongrois naturalisé britannique, fils unique de deux survivants de la Shoah.

Lord Skidelsky, né Robert Skidelsky en 1939, économiste britannique d’origine russe. Il est l’auteur d’une biographie en trois volumes de John Maynard Keynes.

Lord Smith of Finsbury, né le 24 juillet 1951, homme politique britannique membre du Parti travailliste, ancien député et ministre du Cabinet. Il fut le premier membre de la chambre des communes ouvertement homosexuel

Sir Paul Smith, né le 5 juillet 1946 à Nottingham, styliste britannique.

Rory Stewart, né à Hong Kong en 1972, homme politique conservateur anti-Brexit, ancien ministre, universitaire, ancien diplomate et ancien précepteur des princes William et Harry. Il s’est présenté comme candidat à la tête du Parti conservateur en 2019.

Lord Stirrup, dit Jock Stirrup, né en 1949, ancien commandant supérieur de la Royal Air Force et chef d’état-major de la Défense de 2006 jusqu’à sa retraite fin 2010.

Dame Kiri Te Kanawa, née en 1944 en Nouvelle-Zélande, soprano néo-zélandaise d’origine māori. 600 millions de téléspectateurs ont pu la voir chanter « Let the Bright Seraphim » de Haendel lors du mariage de Charles, prince de Galles, et de Lady Diana Spencer.

Dame Mitsuko Uchida, née en 1948 à Atami, une ville côtière proche de Tokyo, pianiste classique japonaise.

Ryan Wigglesworth, compositeur, chef d’orchestre et pianiste britannique né en 1979.

AN Wilson, né en 1950, écrivain et chroniqueur anglais connu pour ses biographies critiques, ses romans et ses ouvrages d’histoire populaire. Il est chroniqueur occasionnel pour le Daily Mail et ancien chroniqueur pour le London Evening Standard.

Adam Zamoyski, né à New York en 1949, historien issu l’ancienne famille de la noblesse polonaise.

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Voici également la traduction intégrale de la tribune vigoureuse et émouvante publiée le même jour dans The Times par Sir James MacMillan, l’un des signataires.

 

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La messe traditionnelle en latin est un joyau qu’il faut conserver comme un trésor

 

Peu d’expériences sont plus poignantes que celle d’assister à la messe latine traditionnelle – une célébration religieuse dont le mélange de solennité et d’intimité laisse une impression profonde sur les non-catholiques comme sur les catholiques.

Ses chants millénaires ont inspiré des musiques sublimes à Josquin, Palestrina, Byrd, Haydn, Mozart, Beethoven et Stravinsky. Mais elle est aussi remarquable pour ses silences : les gestes minutieux du prêtre, tourné vers Jérusalem, sont accompagnés de prières chuchotées – « le murmure béni de la messe » que décrivait Robert Browning. Après le concile Vatican II, qui a donné aux catholiques la liberté de pratiquer leur culte dans leur propre langue, une faction au sein de l’Eglise a tenté d’interdire totalement la messe traditionnelle.

C’est pourquoi en 1971, des écrivains et des créateurs, parmi lesquels Agatha Christie, Vladimir Ashkenazy, Iris Murdoch et Ralph Richardson, ont lancé un appel à Rome dans le Times. Ce texte est aujourd’hui connu sous le nom de « lettre d’Agatha Christie » car, semble-t-il, le pape Paul VI a été tellement surpris d’y voir le nom de la « reine du crime » qu’il a permis à l’ancienne messe de survivre.

Au cours des décennies qui ont suivi, une minorité grandissante de catholiques a adhéré au symbolisme transcendant de cette liturgie immuable. En 2007, le pape Benoît XVI a autorisé sa célébration chaque fois qu’elle répondait aux besoins des catholiques. Elle a prospéré. En 2021, cependant, Rome a effectivement exclu la messe traditionnelle en latin de la vie paroissiale.

Cette décision a été un véritable coup de massue pour les catholiques de la génération Z qui ont trouvé leur centre d’attache spirituel dans l’ancienne liturgie. Ils sont désemparés face à la nouvelle hostilité à laquelle ils sont confrontés – mais il semble maintenant que le pire soit à venir. Selon certaines sources, le Vatican envisage d’interdire presque totalement la « messe de toujours », comme on l’appelle.

Le fait que des fonctionnaires du Vatican se livrent à cet autoritarisme mesquin et borné à l’encontre de leurs propres coreligionnaires est choquant pour un public non catholique. Heureusement, des artistes créatifs et d’autres personnalités publiques se sont à nouveau manifestés pour défendre la liberté religieuse dans une lettre adressée au Times. Parmi eux figurent des noms aussi divers et prestigieux que Sir Stephen Hough, Bianca Jagger, AN Wilson, Lord Lloyd-Webber et Dame Kiri Te Kanawa.

La liste complète des signataires comprend des catholiques, des protestants, des membres de confessions non chrétiennes et des non-croyants. Elle représente un large éventail politique et des artistes nés à 60 ans d’intervalle. Dans l’esprit de notre humanité commune, nous demandons au Saint-Siège de rendre aux catholiques la précieuse liberté de participer à la glorieuse liturgie de leurs ancêtres.

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Rome, le pape François seront-ils sensibles à cet appel de « grands » de ce monde ? Rien ne le garantit, dans la mesure où il faut bien comprendre que le rejet actuel de la liturgie traditionnelle traduit la vision historiciste, évolutionniste de l’Eglise portée par le pape François à travers sa théologie du peuple : on reproche fondamentalement aux amoureux de la liturgie traditionnelle d’être en quelque sorte des « sachants », des privilégiés, des rigides qui se murent dans des conceptions dépassées, à l’inverse de la pléthore de rites autorisés dans l’Eglise latine et qui sont censées être proches du peuple. N’est pas peuple qui veut.

Et pourtant… Et pourtant, cet appel venant d’horizons aussi étendus et d’un spectre aussi large ne peut que toucher. S’il n’émeut pas un pape François, un cardinal Roche ou un Andrea Grillo, qui lors d’un entretien récent à franchement pris position, il est porteur d’un réel souci de la transcendance et du sacré, et il désigne clairement le lieu où les trouver, et avec prestige. Déjà freinés, semble-t-il, dans leurs élans anti-traditionnels, les destructeurs d’histoire et de patrimoine, de cet édifice qui actualise dignement le sacrifice du Golgotha depuis de nombreux siècles se heurtent désormais à une opposition qui ne saurait qu’aller grandissant.

 

Jeanne Smits