En 1997, Stéphane Courtois lançait un pavé dans la mare en publiant Le Livre noir du communisme, dans lequel il établissait, avec ses coauteurs, un bilan catastrophique de l’idéologie marxiste à travers le monde, soulevant engouements et débats. Aujourd’hui, sa revue « Communisme », créée en 1982, publie chaque année un tome collectif d’actualité. Le sous-titre de l’édition 2015 est : « En Europe : L’éternel retour des communistes ». Stéphane Courtois et Patrick Moreau, tous deux chercheurs au CNRS, dressent un état des lieux, avec le concours de 18 spécialistes de 16 pays européens, tant à l’Ouest (France, Grèce, Irlande, Pays Bas,, Luxembourg, Portugal, Chypre), qu’à l’Est (République Tchèque, Slovénie, RDA, Roumanie, Bulgarie, Russie, Biélorussie, Ukraine, Estonie).
« « Éternel retour » est une manière de dire qu’à la fois ils n’ont jamais quitté la scène politique, mais qu’ils se présentent souvent sous d’autres formes de type néo-communiste ou post-communiste » dit Courtois dans une interview. « Ils n’ont pas disparu parce que les pouvoirs communistes, à la différence du pouvoir nazi allemand ou fasciste italien, n’ont pas été vaincus militairement par les démocraties ». Malgré la chute du Mur et l’implosion de la matrice URSS, ils sont toujours présents dans le paysage politique de l’espace européen, de l’Atlantique à l’Oural. Mais ont dû adopter des « stratégies de survie pacifiques » allant du maintien de l’orthodoxie marxiste léniniste à un post-communisme en cours d’élaboration, en passant éventuellement par un national-communisme – à structure communiste et à idéologie nationaliste autoritaire ».
Une reconfiguration des communistes : l’éternel retour
Patrick Moreau distingue trois variantes de reconfiguration. La variante « traditionaliste » demeure profondément révolutionnaire, ouvrière, anti-impérialiste, internationaliste et antifasciste et va de l’AKEL chypriote au puissant Parti communiste de Bohème et de Moravie (Tchéquie). La variante rouge-verte, favorable à une croissance économique mais dans le cadre d’un capitalisme « dompté », « écologique », court de la formation hollandaise GroenLinks au Socialistik Folkeparti danois. Et enfin la variante réformiste qui regroupe, entre autres, le PCF, le Die Linke allemand, le Parti du Travail suisse, et souscrit, elle, davantage, à l’économie de marché.
En Europe centrale et orientale, c’est pour mieux régner que les communistes se sont « convertis ». En Roumanie, Bulgarie, Slovénie, la nomenklatura communiste s’est mue, à la chute du Mur, en une nouvelle élite « socialiste » et « démocrate », conservant ainsi tout son monopole existant sur les champs politique, économique, judiciaire et médiatique. Le pouvoir vaut bien quelques entorses à Lénine. Courtois se demande même si cette élite n’avait pas préparé ce plan dès 1987, pour « accompagner » les révolutions, se greffer au nouveau système démocratique pour le contrôler par le biais d’influences de réseaux souterrains… Mais il éloigne la manipulation idéologique « concertée », leurs motivations restant essentiellement économiques – une corruption immense règne d’ailleurs dans les ex-satellites de l’URSS.
En Europe occidentale, beaucoup de communistes se sont rapprochés de l’extrême gauche et des écologistes pour former des alliances électorales favorables. Ça n’a pas été du meilleur aloi, le PC français en est un bel exemple. « Premier parti de France » en novembre 1946, il ne présenta même pas de candidat en 2012, se raccrochant à l’ex-trotskiste Mélenchon. Les « courroies de transmission » avec les organisations syndicales, comme la CGT, ont été mises à mal. Aujourd’hui, il ne paraît même plus « une force d’appoint » pour le PS.
« Une relecture de Marx intégrant les leçons politiques du XXIe siècle » (Courtois)
C’est un fait, le modèle marxiste léniniste traditionnel s’épuise, en 2014. Le mouvement altermondialiste, qui a prospéré en Europe dans les années 90, avait d’ailleurs relégué les communistes dans le camp des « ralliés », les anciens disciples de l’URSS s’efforçant de développer des analyses et des stratégies identiques à la social-démocratie ou aux partis socialistes. Les communistes européens se sont attelés à « une relecture de Marx intégrant les leçons politiques du XXIe siècle ». Ils tentent même de remonter jusqu’à Gracchus Babeuf, pour se laver des crimes soviétiques et continuer à prôner ce qui fait leur ADN à tous : un anticapitalisme devenu aujourd’hui antimondialisation, doublé du traditionnel anti-impérialisme contre les États-Unis.
Un nouvel internationalisme est-il néanmoins envisageable ? Il y a toujours des rassemblements. En 2007, les partis communistes russe et biélorusse avaient organisé une conférence internationale – 59 pays – à Minsk, sur le thème du « 90ème anniversaire de la grande révolution d’octobre. Intemporalité et valeur éternelle de ses idées (…) » A Bruxelles, la mouvance communiste et post-communiste a, elle, sa place : en 2004, le Groupe fédéral de la Gauche unitaire européenne, fondé par six partis dont le PCF, était le 4ème groupe en importance du parlement (49 élus) – 42 en mai 2014. L’ouvrage note également la survivance de ces institutions destinées à développer avant 89 sur le plan mondial, la propagande pour l’URSS et le « socialisme réel » : la moitié de ces ex-« organisations de front » soviétiques a encore des activités en 2014 et travaille avec des partis communistes et des formations post-communistes – ainsi, la Fédération internationale démocratique des Femmes ( FDIF) qui affirme regrouper en 2010, 660 filiales réparties entre 160 pays.
Les communistes de demain
Un état de faiblesse relatif, donc, pour ce communisme dont Courtois se demande s’il ne pourra pas un jour être « compensé par la puissance du Parti communiste chinois et des autres partis du continent asiatique » ou « l’émergence d’un puissant mouvement anti-impérialiste s’articulant autour du socialisme « bolivarien » ». Mais il y a d’immenses divergences. Et il n’y a plus de « centrale de commandement ».
Déclin et persistance, donc. Le système communiste mondial est peut-être mort, mais il existe bien, écrit Patrick Moreau, « des tentatives de réorganisation de puissants réseaux internationaux unis dans leur perspectives anticapitalistes et anti-impérialistes ». On ne peut pas éluder le tout récent succès en Grèce de SYRIZA, précisément issu des courants communistes.
Et si l’utopie communiste du XXe siècle s’est sans doute évanouie, elle s’est recomposée, chez les réformistes, un visage, dont tous les traits ne nous sont pas inconnus. Il suffit de relire leurs programmes qui rêvent à « un monde juste », « sans guerre, sans oppression, sans inégalités, sans manques », à consommation éthique – comprenez écologique. Et par quels moyens ? Un renforcement de l’action syndicale sur le plan mondial, une économie planétaire, un système de sécurité collective sous l’égide des Nations-Unies… Se lève alors une question que Courtois ne pose pas : le nouveau communisme, le post-communisme serait-il en accord avec certains des nouveaux paradigmes mondiaux qui semblent se mettre en place ?
En Europe, l’éternel retour des communistes, sous la direction de Stéphane Courtois, éditions Vendémiaire, 608 pages