Nous le subissons tous – faut-il encore en avoir une juste conscience. Dans Face au discours intimidant, Laurent Fidès opère une opportune et savante déconstruction de cette parole publique qui, tous les jours, veut s’imposer à nous, dans le cadre politique, social, éducatif… Et nous faire irrémédiablement baisser la tête. Cette société qui se gausse de n’avoir plus de maître, d’être libre dans sa raison et dans son droit, n’a jamais été, en réalité, si soumise.
Pour elle, on a imaginé une sorte de conscience civique globale, qui déforme peu à peu les cerveaux par un langage dénaturé et codé. Agrégé de philosophie, ancien élève de l’École Normale Supérieure, Laurent Fidès en décortique la structure, les mécanismes et l’idéologie induite, antagoniste la plupart du temps à toutes ces belles valeurs défendues, la main sur le cœur… Il porte « l’analyse sur le terrain sémantique et psychologique », pour un examen original de la police de la pensée.
Faire face au discours intimidant
C’est la « première nécessité », selon lui, d’une véritable pensée critique : la déconstruction de cette idéologie qu’on présente comme « vérité » universelle. Mais qui, en réalité, impose un système coercitif, totalitaire, en amenuisant, voire en bloquant les facultés de penser.
Le mot « démocratie » n’a jamais été aussi galvaudé, aussi renié que dans sa prétendue application modèle d’aujourd’hui. Le pluralisme politique n’est que de vitrine et sauvegarde les « valeurs » principales (mondialiste, antiraciste, multiculturaliste) : toute revendication est canalisée par de faux courants subversifs. Le peuple n’a plus de souveraineté que formelle.
La chasse aux sorcières
Laurent Fidès évoque la façon dont on compromet les « dissidents », les franchisseurs de ligne rouge, à l’instar d’un Sylvain Gouguenheim qui avait déclenché, en 2008, l’ire médiatique, en osant alléguer que l’héritage grec fut moins transmis par l’islam que par la civilisation occidentale – et chrétienne… Les Richard Millet, Michèle Tribalat,et autre Maurice G.Dantec sont sortis de « la zone d’acceptabilité » et d’ores et déjà coupables devant les hommes, menacés d’exclusion quand ils ne sont pas condamnés judiciairement.
Le système use de sophismes et de comparaisons générant l’offuscation, la compassion agressive pour les victimes – toujours les mêmes. Les esprits peinent à garder leur bon sens, rapidement acculés au fameux point Godwin… « Le discours intimidant a toujours le dernier mot ».
L’ère est à la dénonciation : il faut traquer les déviants et crucifier les pensée nauséabondes. C’est la « psychiatrisation de la pensée non conforme ». Et au diable les arguments qui ne sont pas homologués… Fidès analyse fort bien le plaidoyer pro-avortement qu’il est aisé de détricoter, même sans être chrétien (hormis le fait qu’il parle de « futurs enfants » , alors que les embryons en sont déjà) ; on clame partout les mots de liberté et de dignité, mais ce ne sont jamais celles de l’embryon qu’un eugénisme notoire choisit ou élimine.
Le conditionnement par les mots
Ce discours intimidant a véritablement « la puissance normative d’une morale religieuse » – morale qui, paradoxalement, décrie l’absolutisme des temps anciens et en crée un autre, bien pire… Fidès cite les mots si justes de Philippe Muray : c’est « l’imposition incroyablement violente d’un néo-catéchisme fabriqué hier mais qu’il convient de considérer comme éternel et qu’il est recommandé d’anônner quotidiennement comme si c’était notre langue maternelle ».
Et la terminologie est la première de leurs armes. Le langage, outil d’expression de la pensée, de dévoilement de la réalité, en devient le dévoiement… un outil d’idéologisation qui s’impose à ce qu’il veut décrire et surtout juger, précédant en quelque sorte son objet et en façonnant de fait une certaine perception : Fidès parle d’une tendance essentialiste.
La perversion du vocabulaire s’observe dans tous les domaines, à travers la religion du développement et surtout l’idéologie du progrès – il faut « avancer »… Si, de tout temps, la langue s’est trouvée codifiée par le système des idées dominantes, elle est aujourd’hui pervertie dans son essence. Et cette perception volontairement « déformée », cette « vision tronquée » n’est pas sans servir des desseins éminemment politiques.
Critique du constructivisme abstrait
« C’est un fait qu’aujourd’hui des donneurs de leçon nous disent ce que nous devons penser, et surtout ce que nous devons espérer : un monde décloisonné, sans frontières, sans peuples, enfin libéré des vieilles traditions et des ancrages, débarrassé des identités, peuplé de « citoyens du monde » dont la figure typifiée est le migrant. » La leçon est bien longue, mais le projet de plus en plus certain…
Il fallait, pour ce faire, servir une morale universaliste qui puisse tenir lieu de vérité intemporelle. Fidès a nommé les droits de l’homme… cette doctrine qui, alors même qu’elle tient son origine de la loi naturelle inspirée par Dieu, ne se revendique que d’elle-même et flotte, auto-justifiée, dans le ciel de la démocratie. Prétention indue ! Qui axe tout raisonnement « sur la seule problématique de la citoyenneté » et fait passer « toute préoccupation culturaliste pour un symptôme de repli identitaire ».
L’homme de « la fin de l’histoire » : le migrant (Fidès)
La notion même de civilisation s’en trouve abolie – sans compter l’héritage religieux. La logique de la citoyenneté finit par travailler contre la logique de l’identité. En témoigne tout le processus de « la construction européenne », comme le note Fidès. Et, plus que tout, l’ensemble de la perspective mondialiste… « Notre identité serait de ne pas en avoir » !
L’actualité le démontre magistralement : « l’homme de la mondialisation, de « la fin de l’histoire » est le migrant » (…). C’est la figure du déracinement complet ». Il faut désormais vivre « hors sol » dans une nation désespérément et uniquement « civique ».
La confusion généralisée, dans les corps et les esprits, dans les âmes, est le maître mot de ce discours de démiurge qui veut radicalement mais sournoisement changer le monde. Fidès songe à une « régression collective » de la société en proie au Système – il faut faire face.