L’accord sur le programme nucléaire iranien avait été conclu et salué le 14 juillet à Vienne – restait à convaincre les Républicains américains, qui criaient au danger, de concert avec le gouvernement israélien. Depuis hier, c’est chose faite au Congrès : la « résolution de désapprobation » proposée par le GOP (Parti républicain), sur la suspension des sanctions iraniennes n’a pas survécu au vote du Sénat. Le Wall Street Journal avait craint « un âpre combat au Capitole qui opposera les Républicains [majoritaires] et quelques Démocrates au président Obama dans sa tentative de mettre en place ce qui devrait rester comme une pierre angulaire de son héritage international ». Le combat fut virulent, mais la pierre angulaire est bel et bien posée. Cet accord avec l’Iran renverse l’ordre des choses , retourne de très anciennes alliances : comme le titrait le média en ligne Breitbart, « le lobby juif est mort – et c’est Obama qui l’a tué ».
Un accord nucléaire entériné à deux voix près contre le Congrès
Victoire improbable ? Certes, il s’en est fallu de peu. Aux deux chambres du Congrès américain, les Républicains disposaient de la majorité. Or, la Constitution indique clairement que tout traité négocié par le président doit avoir l’approbation des deux tiers du Sénat américain… et Obama n’avait réussi à persuader aucun Républicain.
Seulement, il n’a jamais été question de « traité » dans la bouche d’Obama, mais d’« accord exécutif » – la nuance est capitale – qu’il a d’abord voulu imposer tout de go. La loi Corker-Menendez, négociée en avril à l’initiative de certains Républicains, donnait « heureusement » un droit de regard au Congrès en cas d’accord final sur le nucléaire iranien et exigeait 60 jours d’examen pour un éventuel blocage… à la majorité des deux tiers. Ce qui signifiait aussi que le gouvernement Obama pouvait se contenter, par ricochet, d’un seul tiers de chaque Chambre du Congrès – ce qui s’est passé. Une partie des Républicains s’est donc alliée aux Démocrates pour modifier les exigences constitutionnelles et permettre à un traité d’être approuvé par un tiers des sénateurs au lieu des deux tiers exigés par la Constitution.
Jeudi 10 septembre, les sénateurs ont voté par 58 voix contre 42 dans la chambre haute du Congrès, alors que 60 voix leur étaient nécessaires pour contrer la résolution Obama. A deux voix près, l’accord iranien s’est trouvé agréé – tous les Démocrates, sauf quatre, ont voté pour. La voie est libre pour le président américain qui a immédiatement salué « une victoire pour la diplomatie, pour la sécurité nationale des États-Unis et pour la sécurité du monde » – ça en dit long – et pourra dès la semaine prochaine commencer de réduire les sanctions américaines, permettant l’arrivée en terre iranienne de centaines de milliards de dollars.
D’autres Républicains se débattent… contre « la pire erreur » du gouvernement Obama
D’autres Républicains tentent un ultime front judiciaire. Ils accusent Obama de ne pas avoir transmis aux parlementaires le protocole d’inspection négocié confidentiellement entre l’Iran et l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) : le Républicain Mike Pompeo affirme même qu’aucun membre de l’administration américaine n’a en sa possession le moindre document sur ces fameuses annexes révélées il y a quelques jours…
Les sénateurs votent également aujourd’hui une mesure interdisant toute levée de sanction contre l’Iran, et une autre sur l’accord nucléaire dans son ensemble. Les deux seront forcément en leur faveur, la majorité étant républicaine, mais resteront symboliques. Obama avait pris garde, lors de la négociation de la loi Corker-Menendez, à ce que, en contre-partie de cette « faveur » au Congrès, ce dernier ne puisse plus jamais remettre en cause son vote, sitôt ce vote effectué.
Aucun consensus politique ou populaire
Victoire à la fois éclatante et relative donc… arrachée en dépit de la majorité des représentants du peuple, en dépit du peuple lui-même qui n’approuve qu’à 21% l’accord iranien (sondage du Pew Research Center), et malgré la bataille acharnée des organisations juives américaines ( l’American Israel Public Affairs Committee – AIPAC – a largement critiqué les promesses du gouvernement).
Le gouvernement Obama s’est donné à lui-même l’imprimatur, soutenu ou plutôt docilement suivi par les dirigeants occidentaux qui n’ont pas manqué de signer une tribune quelques jours auparavant, dans le Washington Post pour exhorter les élus au vote « diplomatique » : « Nous sommes certains que l’accord pose les bases nécessaires pour résoudre de façon permanente le conflit sur le programme nucléaire iranien », y écrivaient David Cameron, Angela Merkel et François Hollande…
Cela porte à sourire lorsqu’on entend les dirigeants iraniens. Le Guide Ali Khamenei a réaffirmé mercredi que Washington restait le « Grand Satan » et qu’aucune autre négociation ne serait engagée sur des dossiers aussi sensibles que le Yémen ou la Syrie… Obama, lui, s’accroche à un accord qui les rendrait « plus capables que jamais d’affronter les activités de déstabilisation menées par l’Iran et son soutien au terrorisme » et ferait du monde « a safer place », « un endroit plus sûr »… Quelque part, sans doute. Mais les modalités restent floues – pour le quidam.
Le pouvoir exécutif a décidé contre le lobby juif
Surtout, cet événement pointe du doigt la concentration croissante et abusive du pouvoir dans la branche exécutive du gouvernement fédéral, en dépit voire en violation de l’esprit de la Constitution américaine. Obama a outrepassé son rôle, allant jusqu’à parler « des diktats du Congrès américain » : « Si le Congrès bloque l’accord », avait-il dit le 5 août, « nous perdrons quelque chose de bien plus précieux que l’accord lui-même : notre crédibilité ». Bien plutôt la réalisation de sa propre politique.
Une politique qui change considérablement la donne, au niveau géo-politique et idéologique. Le lobby pro-israélien n’est plus parole d’évangile, alors qu’elle l’était jusque-là pour toute la gent gauchiste de l’administration Obama, du Département d’État, et de tous les think tanks démocratiques de Washington. D’un point de vue collectif – non individuel, car de puissantes personnalités politiques juives se sont montrées pro-accord – le pouvoir politique juif va connaître une flagrante éclipse. Au bénéfice d’une gauche désormais seule au gouvernail et inspirée par d’autres courants idéologiques et philosophiques.
« Le monde a changé » avait titré le quotidien réformateur iranien Etemaad, au lendemain du 14 juillet – un autre 14 juillet pour changer le cours de l’Histoire ?