Ils y viendront – bien que le temps ne soit pour l’instant qu’aux débats. Axelle Lemaire, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique, a laissé entendre qu’elle adjoindrait à son projet de loi numérique prévu pour juin, plusieurs propositions en ce sens, dont celle d’un remodelage dû aux impératifs du trop libre Internet. La loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, qui régit en grande partie la liberté d’expression en France et qui avait à cœur justement de la protéger de la censure, avait déjà été quelque peu déviée de son orientation initiale, par les amendements des loi Pleven de 1972 et Gayssot de 1990, bannissant tout acte raciste, antisémite ou xénophobe, mais aussi toute contestation des crimes contre l’humanité. Nous en aurons sûrement des nouveaux à l’été 2015 – et qui ne concerneront pas « que » le terrorisme islamique.
Internet, cet « espace sans foi ni loi »
C’était le mardi 24 mars, au Sénat, où s’est tenu un débat sur « Internet et la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse », à la demande du groupe RDSE (Rassemblement démocratique et social européen). « Les événements dramatiques du mois de janvier 2015 ont montré combien les pouvoirs publics étaient démunis face aux débordements de la liberté d’expression sur Internet et plus encore face au rôle joué par Internet dans le recrutement des terroristes, la propagande et l’apologie des idées extrémistes et anti-démocratiques. » Peut-être faut-il, du coup, adapter ou repenser les dispositions prévues par la loi et surtout les modalités de régulation par l’autorité publique et plus largement l’État…
Certains, par vraie prudence démocratique ou simple posture républicaine, ont dit leur crainte de toucher à la législation, arguant du grand pilier démocratique de cette loi de 1881. « Défendre la liberté d’expression, mais être aussi les combattants infatigables des valeurs de la République ». La posture risque d’être délicate.
Dans la majorité, les sénateurs sont allés dans le sens d’une adaptation de la loi. Et les plus vindicatifs n’étaient pas forcément à gauche – en tête, le très sarkozyste sénateur Pierre Charon : « L’État est fondé à réglementer internet », cet « espace sans foi ni loi, où se diffuse le pire de ce que l’humanité peut produire ». Il faut « combler les dents creuses apparues dans notre législation à la suite du développement d’internet ». Bref, il faut la création d’un véritable « ordre public numérique », comme l’a dit la Verte Esther Benbassa. Les écologistes, fidèles gardiens de leur héritage communiste, ont toujours été de grands amis de la liberté.
La liberté de la presse sera modifiée
Ils parlent d’« une liberté de la presse détournée » et n’ont à la bouche que le mot de sécurité qui rime en réalité avec autorité : « La liberté de la presse doit être conciliée avec une autre liberté, celle de vivre en sécurité. » On vous contrôle pour vous protéger…
Ce fut la conclusion d’Axelle Lemaire : « la loi de 1881 doit être revue. » Elle reprend les recommandations formulées par la Commission nationale consultative des droits de l’homme dans son avis du 12 février dernier, à savoir l’actualisation des notions d’espace public et privé, la création d’un référé numérique pour simplifier les procédures, le renforcement des pouvoirs du juge, l’extension du régime de la responsabilité pénale des personnes morales « au-delà des seules entreprises de presse » etc… Najat Vallaud-Belkacem l’avait dit avant elle, le 7 février 2013, lors d’une séance publique au Sénat : « nous aurons peut-être la main tremblante au moment de modifier la loi de 1881, mais sachez que cette main sera néanmoins ferme et déterminée »…
La loi de 1881 : une antichambre du Code pénal ?
Plus de répression et plus vite, c’est ce qui attendra sans doute les futurs contrevenants aux impératifs de la loi de 1881, revisitée à la sauce 2015. Ainsi, la marche du passage au pénal semblera-t-elle moins haute… Car c’est visiblement le destin de ces délits « contre la liberté d’expression ». La loi antiterrorisme de novembre 2014 a déjà sorti l’apologie du terrorisme de la loi sur la liberté de la presse, en la faisant passer au Code pénal. Et il semble que d’autres délits, comme les injures à caractère raciste, homophobe et antisémite, prennent le même chemin. A la mi-janvier, Christiane Taubira avait plaidé leur sortie de la loi de 1881, à l’École Nationale de la Magistrature. François Hollande a fait de même en annonçant quelques jours plus tard vouloir « généraliser la caractérisation raciste et antisémite comme circonstance aggravante d’un délit et de sortir la répression de la parole raciste et antisémite du droit de la presse, pour l’intégrer au droit pénal général ».
Vous aurez, in fine, un bel appareil bien répressif.
Clémentine Jallais