Une part grandissante de Français, presque une majorité, ne veulent plus entendre parler du projet de loi El Khomri sur le travail. Dans la rue, les syndicats, CGT en tête, activent sans trop de mal une grogne qui s’intensifie. En face, Manuel Valls prétend ne pas bouger non plus. Pour – dit-il – ne pas faire « perdre du temps à la France »…
Si l’on lit avec attention le propos du premier ministre dans les colonnes du JDD, on note, avec une certaine stupéfaction, à quel point Manuel Valls lie son destin à celui du pays : « Je ne veux pas rejoindre la longue liste de ceux qui ont reculé et ont fait perdre du temps à la France. »
Valls arc-bouté sur le projet de loi Travail
Le propos reste obscur. Est-ce simplement le recul qui ferait perdre du temps à notre pays ? Ou le rejet du projet de loi gouvernemental sur le travail ?
Même imprécision en ce qui concerne le recul. Face à qui le premier ministre ne veut-il pas reculer ? Les syndicats ? Les Français ? « Renoncer devant un syndicat minoritaire qui veut imposer sa loi, c’est constater l’impossibilité de réformer, soit laisser demain la voie à la brutalité, celle de la droite », répond-il, en renvoyant dos à dos la CGT et la droite, dont la collusion ne paraît pourtant pas évidente. « Il faut toujours privilégier le temps long et le sens de l’Etat », précise-t-il. A coups de 49-3, sans doute ?
En réalité, Manuel Valls semble mettre un point d’honneur, et même sa « responsabilité », à « aller jusqu’au bout », comme il l’a dit samedi aux pétroliers et aux routiers.
Pour l’instant, cela nous promet simplement de nouveaux blocages, puisque l’intersyndicale a décidé de la poursuite du mouvement jusqu’à la prochaine journée de mobilisation nationale le 14 juin.
C’est loin le 14 juin sans essence ! Les stocks stratégiques ne sont d’ailleurs pas éternels, et y toucher trop longtemps pourrait s’avérer dangereux. Mais, promis ! « la France ne tombera pas en panne sèche ». Ah !
Il y a pire, cependant, l’impression que Manuel Valls ne sait pas vraiment ce qu’il dit. Car dans le temps même où il affiche sa détermination farouche, il ajoute : « Ma porte est toujours ouverte, je suis toujours prêt à la discussion », y compris avec la CGT avec laquelle il affirme ne pas avoir de « problème ». Mais pour quoi faire, si c’est plié d’avance ? Prendre ses interlocuteurs pour des imbéciles ?
Ne pas faire « perdre du temps à la France » ? Une bonne idée !
Le premier ministre n’est pourtant pas serein. Il s’inquiète de la violence, de « la radicalité dans la société ». Il est vrai que, en ce qui concerne la radicalité, Manuel Valls en connaît un rayon. Son modèle de discussion, c’est manifestement le monologue…
C’est pour cela sans doute qu’il impose son projet de loi en croyant être tout à la fois ouvert et réformiste. Il est vrai qu’il a de la réforme une vision simple. « Il s’agit, affirme-t-il, d’une clarification dans le syndicalisme, d’une clarification à gauche, d’une clarification de la société française. »
Il n’est pas sûr que ce raccourci de la gauche à la société française fasse précisément plaisir à nos compatriotes. Et Manuel Valls ferait sans doute gagner du temps à la France en n’imposant pas, en n’imposant plus ce débat à notre pays pendant encore onze longs mois !