Des européennes aux législatives, le jeu d’échecs de Macron

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Emmanuel Macron a surpris beaucoup de monde dimanche soir après les résultats des européennes en annonçant les législatives dès la fin du mois. Les commentateurs ont parlé de coup de poker. Mais le président de la République est plutôt un joueur d’échecs : il avait prévu celui de la liste Hayer et l’ampleur du succès du Rassemblement national, comme le montre la promptitude de sa décision et comme le confirment les entretiens qu’il a eus avec quelques conseillers. Et il joue gagnant quelle que soit la combinaison qui sortira des futures élections. Soit le réflexe républicain jouera, dans une sorte de troisième tour de la présidentielle de 2002, soit la coalition des extrêmes-droites l’emportera, et il lui refilera toutes les patates chaudes de la situation actuelle, comme cela a été le cas en Italie avec Giorgia Meloni.

 

Macron savait qu’il courait à l’échec : sa décision est réfléchie

Les sondages que l’on diffuse dans la presse, « instantanés » pris avec des échantillons très faibles, sont des machines à manipuler l’opinion, mais ceux dont se nourrit la réflexion des dirigeants (RG, plus sondages sur de gros échantillons) sont précis : Macron savait pertinemment depuis plusieurs jours l’échec retentissant de sa propre liste, et il s’est quand même impliqué dans la campagne, avec son premier ministre : c’était s’obliger à porter la responsabilité de la déroute aux européennes et aller aux législatives. Avec un équilibre des forces très particulier. A gauche, derrière un Glucksmann qui ressuscite le PS mais reste inférieur aux estimations (moins de 14 %), LFI fait bien mieux que prévu (près de 10 %), et EELV est laminée (moins de 5,5 %), suivie du PC (2,37 %). La « droite traditionnelle », sous Bellamy, atteint 7 %. Du côté de la droite radicale, derrière Bardella (31,47) et Marion Maréchal (5,46), Philippot frôle 1 %. Sur les dix pour cent qui restent, où classer les électeurs de Jean Lassalle, François Asselineau, les animalistes, etc. ?

 

Les législatives confirmeront-elles les européennes ?

D’autre part, les législatives confirmeront-elles le rejet total d’Emmanuel Macron ? On peut le penser, mais on peut aussi penser que, comme au deuxième tour de 2002 contre Jean-Marie Le Pen, ou contre Marine Le Pen en 2017, une réaction de peur de l’extrême-droite, orchestrée par Emmanuel Macron et soutenue par les médias, les associations, les sociétés de pensée, les autorités morales, parviendra à contenir le mécontentement général. On doit rappeler à ce sujet deux choses. D’abord, il y a eu 48 % d’abstentions aux européennes, ce qui fait un gros vivier de voix à capter aux législatives. Ensuite, celles-ci sont une élection à deux tours, qui supposent des alliances, des retraits et des reports au deuxième, propre à lisser, ou même à inverser, grâce à des accords d’appareils, les effets d’une vague populaire. Macron, qui, le lendemain des européennes, sa liste écrasée, n’a plus de légitimité pour gouverner, peut se retrouver au soir des législatives avec un parlement émietté où toutes les combinaisons politiques seraient possibles.

 

Macron prêt à refiler la patate chaude à « l’extrême droite »

Mais ce joueur d’échecs a prévu l’autre hypothèse. L’expérience de la présidentielle de 2022 montre que le front républicain marche de moins en moins bien, y compris à gauche. Des gilets jaunes en 2018 à la fronde des agriculteurs en 2024, la colère populaire n’a cessé de monter, et elle éclate maintenant, la carte électorale le montre, dans les campagnes et les bourgs où on ne l’attendait pas. Sans Paris, Lyon, Marseille et les grandes villes bobo (qui plébiscitent souvent Raphael Glucksmann), sans les banlieues d’immigration qui ont peu voté, « l’extrême droite » serait au-delà de la majorité. Et l’on peut imaginer qu’elle l’emporte aux législatives. Macron a envisagé le cas, comme toutes l’oligarchie européenne, depuis l’accession de Giorgia Meloni au palais Chigi et la formation du gouvernement Geert Wilders aux Pays-Bas.

 

Si le RN gagne les législatives, sa marge de manœuvre sera faible

Le cas Meloni a été particulièrement suivi, et, si le premier ministre italien agace la maçonnerie par son combat pour la famille traditionnelle, contre l’avortement, le mariage homosexuel et l’euthanasie, il a rassuré tant les milieux d’affaires que la gauche idéologue par son impuissance en matière d’immigration. Emmanuel Macron, tout en faisant du combat contre le Rassemblement national son cheval de bataille, ne s’inquiète pas de l’amener au pouvoir le cas échéant, car ce serait lui passer tous les énormes problèmes pendants qu’il est incapable de résoudre (agriculture, fracture sociale, éducation nationale, armées, insécurité, immigration), pour dégager sa propre responsabilité, en tablant qu’il s’y cassera les dents, presque sans risque : car, d’une part, la situation financière est catastrophique (endettement record, note de la France mauvaise), de l’autre, les traités qui nous lient à l’Europe et au Monde, traités commerciaux, militaires, institutionnels, rendent la marge de manœuvre d’un gouvernement national très petite.

 

Pauline Mille