Interrogé par plusieurs interlocuteurs, le président de la République est parti un peu dans tous les sens lundi soir, on est très loin des discours ou conférences de presse du général De Gaulle, qui menait son monde où il l’avait décidé, pour le meilleur et pour le pire. C’est la marque de fabrique Macron, son « et en même temps » se confond avec le « et avec ça qu’est-ce qu’il vous fallait » de la crémière. Dans la liste des courses figure toujours un élément saillant, comme le raton-laveur dans l’inventaire de Jacques Prévert. De sa loi de 2015 qui fit à l’époque sa célébrité ne reste dans la mémoire populaire que les « cars Macron ». Ces cars fonctionnent toujours, et c’est une exception en France. Il semble que l’on ne retient déjà de la soirée de lundi que son projet de louer des prisons pour en finir avec la surpopulation carcérale.
Macron sans tabou loue des places de prison où on en trouve
Contrairement à toutes les habitudes, Emmanuel Macron a commencé la présentation de son mémoire en défense par les Affaires étrangères. C’est étrange, car les Français ont la réputation de s’en tamponner et il prenait le risque de faire décrocher le public d’entrée de jeu. Mais cela indique à la fois l’importance qu’il donne à ce domaine et le sentiment d’y avoir réussi relativement et donc de mieux pouvoir justifier son action. C’est en gardant cela en tête qu’il faut regarder sa proposition sur les prisons. Robert Ménard, maire de Béziers, lui ayant demandé comment il réduirait l’écart croissant entre le nombre de places de prison et celui des individus qu’y envoie une justice même laxiste, il répondit : « Oui, on louera si besoin était les places de prison là où elles sont disponibles », y compris à l’étranger comme le suggérait l’édile. « Pas de tabou là-dessus. »
On loue bien des bulldozers, pourquoi pas des prisons ?
Il fallait y penser : un entrepreneur qui a besoin d’aplanir un terrain, s’il est pris par le temps ou n’a pas les moyens d’investir, va louer l’engin nécessaire : pourquoi le garde des Sceaux ne ferait-il pas de même avec des prisons ? M. Macron n’avait pas besoin de préciser que cette location se ferait à l’étranger, car il n’existe pas à notre connaissance en France de prisons privées ni d’office national de location de prisons. Et le « à l’étranger » est au cœur de la pensée présidentielle à ce sujet. Emmanuel Macron pense d’abord aux Affaires étrangères et il a fait entrer les prisons dans sa politique étrangère, ou plus exactement dans sa politique internationale, européenne, européiste et mondialiste.
Macron conserve l’esprit disruptif des cars
Jusqu’à présent ses prédécesseurs avaient traité (ou pas) avec plus ou moins de bonheur la question des prisons à l’ancienne, dans le cadre de la politique intérieure. En essayant de bâtir plus de prisons, ou, comme les socialistes, en évitant de prononcer des peines de prison, ce qui avait pour effet de laisser criminels et délinquants dans la nature et faire monter le nombre des crimes et délits, rendant plus criard encore le besoin de places de prison. Emmanuel Macron survient dans ce train-train avec un esprit hautement disruptif, comme du temps de ses cars. Il commence par un aveu : transvaser nos détenus chez nous voisin avec un contrat de location, c’est reconnaître qu’eux ne souffrent pas de surpopulation carcérale, soit qu’ils aient construit à temps, soit que le crime soit mieux maîtrisé chez eux.
L’Europe des prisons et des ratons-laveurs
Mais il présuppose aussi que les normes – de sécurité, de confort, de droits de l’homme, etc. – sont les mêmes chez eux que chez nous. Il affirme aussi que l’on pourra confier la garde des prisonniers aux administrations étrangères ou détacher à l’étranger nos matons. Il prévoit manifestement, le temps d’une phrase, toutes sortes d’accords matériels, financiers, administratifs et juridiques qui feront de l’Europe une seule prison. Et c’est là que son projet est à la fois simple et grand. On a connu, tout au début, l’Europe par le charbon et l’acier, l’Europe par l’atome (hum, hum), par le marché commun, puis l’Europe de Schengen (hum, hum, hum), l’Europe par la dette, l’Europe par la guerre en Ukraine. Voilà que notre conducator, de plus en plus inventif, vient nous vendre l’Europe des prisons. Ce n’est pas plus bête que l’Europe des ratons-laveurs.